Avant même d’avoir préparé nos bagages et entrepris les trois heures de route vers le New Jersey, je savais qu’il me faudrait écrire à propos de mon père. Je n’avais pas de projet, aucune idée précise de ce que cela représentait. Je ne me souviens même pas d’en avoir pris la décision. C’était là, simplement, une certitude, une obligation qui s’était imposée à moi dès l’instant où j’avais appris la nouvelle. Je pensais : mon père est parti. Si je ne fais pas quelque chose, vite, sa vie entière va disparaître avec lui.
Il n’y a que peu d’auteurs qui sont capables de griller tout le monde dans la pile vacillante des livres qui attendent d’être lus. Paul Auster est, indéniablement, de ceux-là, et dès mon retour du salon du livre, le vendredi soir, c’est avec lui que je me suis glissée sous la couette, épuisée mais curieuse (n’y voyez là aucune connotation érotique).
J’aime ses romans, évidemment, mais je crois que j’aime encore plus ses textes autobiographiques, qui ont cette extraordinaire qualité d’être tous différents et d’appréhender la vie de l’auteur sous des angles variés.
L’Invention de la solitude est constitué de deux textes écrits entre 1979 et 1981.
Le premier, à la première personne, est de facture assez classique : lorsque son père meurt, l’auteur éprouve le besoin d’aller à sa recherche et d’écrire sur lui, afin de cerner cet homme énigmatique avec qui il n’a jamais réussi à tisser de vrais liens.
Le second, Le livre de la mémoire, est plus austérien : écrit à la troisième personne, il s’interroge sur les méandres de la mémoire à travers le personnage d’A.
Publié en 1982, ce diptyque est l’un des premiers écrits de Paul Auster, à une époque charnière de sa vie : la mort de son père, puis sa séparation avec sa première femme ; il rencontrera Siri en 1981.
Et pourtant, finalement, tout est déjà là, dans ce texte-labyrinthe qui semble être par moments la matrice de ses œuvres futures, et notamment Moon Palace. Ici, Paul Auster s’interroge beaucoup sur la paternité, d’une part dans sa relation avec son père, ce qui donne des passages très émouvants, et d’autre part dans son amour pour son fils Daniel. Il parle aussi beaucoup, plus qu’ailleurs me semble-t-il, de ses origines juives.
Le second texte, sans conteste, est le plus complexe et le plus riche : tissé de poésie, c’est un texte qui pousse à méditer et à s’interroger sur le monde. Il suit une logique thématique et émotionnelle et non réellement narrative, mimant en cela l’organisation de la mémoire, et propose des réflexions absolument sublimes sur certains points.
Avec ce livre incroyablement brillant, profond, intelligent, pertinent, d’une grande richesse culturelle, Paul Auster m’a une nouvelle fois ravie !
L’Invention de la solitude (lien affilié)
Paul AUSTER
Traduit de l’américain par Christine Le Bœuf
Actes Sud, 1988









Un petit mot ?