C’est une oeuvre de pure invention, le monde de Bigaye que je décris dans ces pages n’existe pas et n’a aucune raison d’exister à l’avenir, tout comme le monde de Big Brother imaginé par maître Orwell, et si merveilleusement conté dans son livre blanc 1984, n’existait pas en son temps, n’existe pas dans le nôtre et n’a réellement aucune raison d’exister dans le futur. Dormez tranquille, bonnes gens, tout est parfaitement faux et le reste est sous contrôle.
Je n’avais pas particulièrement repéré ce roman, et il est très probable que s’il ne s’était trouvé sur à peu près toutes les premières listes de prix littéraires, je ne m’y serais pas plus intéressée que ça. Mais que voulez-vous, je suis curieuse, et cette omniprésence limite inquiétante m’a donné envie d’en savoir plus.
L’Abistan est un monde immobile, clos, figé dans un présent éternel dans lequel le peuple privé de repères ne peut plus penser et n’a a sa disposition qu’une langue pauvre et sans épaisseur. Ati, un homme qui a passé plusieurs années dans un sanatorium pour soigner sa tuberculose, commence pourtant à se poser des questions…
A bien des égards, ce roman peut faire froid dans le dos, car sa grande qualité est son analyse extrêmement fine des rouages du totalitarisme et de la pensée unique, dans un dialogue constant avec son hypotexte revendiqué : 1984 d’Orwel.
On a beaucoup glosé sur ce monde : Sansal lui-même ne cache pas que cette dictature religieuse, où domine la superstition et où la vie est organisée en une succession de rituels qui empêchent l’homme de se retrouver seul et donc de pouvoir penser, est une version dévoyée de l’Islam, un Islam qui aurait réussit à conquérir la totalité de la planète (c’est en tout cas ce qui se dit en Abistan).
Mais à y regarder de plus près, l’Abistan apparaît surtout comme un syncrétisme de tous les totalitarismes et c’est en cela qu’il est intéressant, dans cette fusion entre une dictature religieuse (pas seulement islamique : on trouve aussi certaines caractéristiques du christianisme), une dictature communiste écrasée par la bureaucratie et ou chacun doit faire régulièrement son autocritique mais qui, minée de l’intérieur, se fissure de partout, et une dictature nazie où les rebelles sont envoyés dans des camps d’extermination.
Sansal s’y entend pour donner à son monde une épaisseur inquiétante, le bâtir sur des mots d’une grande inventivité et une mythologie originale, et on espère qu’il n’est pas devin.
Le problème de ce roman, c’est qu’il est, du coup, extrêmement didactique et très peu narratif, en tout cas dans la première moitié où le narrateur nous décrit longuement les rouages de ce monde effrayant, mais où Ati n’est finalement guère présent : si cette analyse est intéressante d’un point de vue politique, d’un point de vue littéraire c’est vite lassant, d’autant qu’Ati n’a guère d’épaisseur comme personnage, sans parler de tous les autres qui ne sont que des ombres.
En outre, certains points sont difficiles à comprendre, voire peuvent passer pour incohérents.
Bref je ne comprends pas bien la présence de ce roman sur toutes les listes de prix, sauf si on place le politique (et oui, ce roman est indispensable et salutaire) au-dessus du littéraire.
2084 – La fin du monde (lien affilié)
Boualem SANSAL
Gallimard, 2015









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