Dans l’ordre des souvenirs, l’amour de la littérature a une grande supériorité sur l’amour tout court, l’amour humain. C’est que si l’on ne se rappelle pas forcément où et quand on a rencontré « l’autre », si on ne sait pas forcément quel effet « il » vous fit ce jour-là — et si on a même plutôt tendance à s’extasier de ce que, ce soir-là, on ne comprit pas tout de suite que l’autre, c’était justement « lui » —, la littérature en revanche offre à notre mémoire des coups de foudre autrement fracassants, précis et définitifs. Je sais très bien où j’ai lu, où j’ai découvert les grands livres de ma vie ; et les paysages extérieurs de ma vie alors sont là, inextricablement liés à mes paysages internes qui sont généralement ceux de l’adolescence.
Continuons à suivre la piste Françoise Sagan, nous verrons bien où elle finira par nous mener. J’étais, de fait, très curieuse de découvrir ces chroniques, rassemblées par son fils Denis Westhoff qui effectue un travail remarquable, sur tous les fronts, pour maintenir vivante la mémoire de sa mère. J’avoue que la beauté de l’objet livre a fini de me convaincre, si besoin était.
Une centaine de chroniques sont rassemblées ici, dont la date d’écriture va de 1954 à la dernière interview de Sagan en 2003. Des récits de voyage, des portraits, des critiques, des petits billets sur des sujets divers, des entretiens, des préfaces, pour des publications comme Elle, L’Express, Vogue, Le Monde, Egoïste, Femme, ou encore extraites de son recueil Avec mon meilleur souvenir.
Je suis assez convaincue, après lecture de ce recueil, que si elle avait vécu à notre époque, Françoise Sagan aurait eu un blog tant le ton, ici, est éminemment personnel : loin de l’objectivité que l’on voudrait être celle des journalistes, elle nous parle d’elle et de ses goûts, de ses expériences personnelles, alternant coups de cœurs et coups de griffes avec une évidente sincérité.
Ces chroniques sont alors autant de morceaux d’un portrait qui se dessine petit à petit, s’assemblant comme les pièces d’un puzzle ; et, immédiatement, on tombe sous le charme de cette jeune fille que l’on voit vieillir au fil des pages et des années, et de sa vision du monde : une légèreté, une désinvolture, un humour parfois ravageur. Gentiment snob et superficielle, elle apparaît aussi d’une grande profondeur.
Ce qui étonne, c’est la variété des sujets. Parfois, écrire l’article consiste à commenter le fait d’écrire l’article car le sujet l’embête. Il n’empêche : Sagan varie les registres, parle aussi bien de Verlaine que de son lit, des sondages que des chevaux, de la lecture que de sa passion pour le jeu, des gens qu’elle aime que des films qu’elle a détesté. A l’occasion elle s’engage, prend position, avec son cœur, avoue ses failles et ses faiblesses, qu’elle assume totalement !
Une lecture que j’ai vraiment adorée tant, encore une fois, je me suis sentie très proche de Sagan et de sa manière de voir le monde ! Je vous le recommande chaudement !
Chroniques 1954-2003 (lien affilié)
Françoise SAGAN
Avant-propos de Denis Westhoff
Livre de poche, 2016









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