Le romancier — c’est à la fois ce qui le distingue et le met en danger — est terriblement exposé à la vie. Les autres artistes, du moins en partie, se tiennent en retrait ; ils se barricadent dans la solitude pendant des semaines avec un plat de pommes et une boîte de couleurs, ou bien un rouleau de papier à musique et un piano. Lorsqu’ils émergent, c’est pour oublier et se distraire. Mais le romancier n’oublie jamais et il est rarement distrait. Il remplit son verre et allume sa cigarette, il apprécie vraisemblablement tous les plaisirs de la conversation et de la table, mais toujours avec la sensation qu’il est stimulé et manipulé en même temps par la matière dont il tire son art.
Le rangement a du bon : c’est totalement par hasard que j’ai retrouvé ce recueil, entre deux autres livres de Virginia Woolf, dans ma bibliothèque. Depuis combien de temps attendait-il ainsi, bien caché ? Je ne sais absolument pas. Toujours est-il que la surprise était trop belle, et que j’ai immédiatement arrêté de ranger (de toute façon je n’avais plus de cartons) pour m’y plonger.
Ce recueil contient, outre une excellente préface d’Elise Argaud à lire absolument, sept articles de provenances diverses : « Heures en bibliothèque », « La lecture », « De la relecture des romans », « l’art de la fiction », « l’écrivain et la vie », « la chronique littéraire » et « le savoir-faire de l’écrivain ».
Tous abordent, d’une plume vive et alerte non dénuée d’humour, les rapports entre les lecteurs, l’écrivain et le critique/chroniqueur avec la littérature et avec le monde. L’intéressant avec Woolf, c’est la manière dont elle inclut son lecteur dans sa réflexion, et crée avec lui un lien de connivence qui lui permet de dépoussiérer un peu les choses, comme elle sait si bien le faire, d’autant que son expérience d’auteure, de lectrice et de chroniqueuse lui permet d’envisager tous les aspects.
L’ensemble est passionnant et éclairant, mais l’article qui m’a le plus enchantée est celui qu’elle consacre à la chronique littéraire (qu’elle distingue de la critique : le critique est dans l’analyse des œuvres du passé et la recherche de principes théoriques, alors que le chroniqueur est dans l’évaluation et la recommandation des nouveautés).
Nous sommes en 1939 et déjà, en se penchant sur l’histoire du genre, Woolf constate que la pratique ne peut que décliner, minée par le raccourcissement des articles et l’augmentation de leur nombre, si bien qu’elle ne sert plus à rien, ni au lecteur (perdu dans les avis contradictoires sur une même œuvre) ni à l’auteur (qui a besoin d’un avis éclairé sur son travail pour progresser), ni à l’éditeur, ni même au chroniqueur, frustré de ne pas pouvoir faire son travail correctement.
La « solution » que propose Woolf est un enchantement, et je vous laisse la découvrir par vous-même !
La sérendipité a vraiment du bon, car au milieu de mes cartons ce recueil m’a totalement passionnée et interrogée sur la littérature !
L’Écrivain et la vie (lien affilié)
Virginia WOOLF
Traduit de l’anglais et préfacé par Elise Argaud
Payot et Rivages, 2008









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