Lucifer, de Tom Kapinos

Lucifer, de Tom Kapinos

In the beginning… The Angel Lucifer was cast out of Heaven and condemned to rule Hell for eternity. Until he decided to take a vacation.

Vu mon échec avec Pie XIII, je me suis dit que Lucifer était peut être plus mon genre.

L.A, 2016. Lucifer Morningstar (« étoile du matin », qui est le nom donné à la planète Vénus, au Christ, à Marie, et donc parfois à Lucifer — selon les traditions), lassé de l’Enfer, est désormais propriétaire d’une boîte de nuit appelée lux (et que j’aurais personnellement appelée lust). Lorsqu’une de ses amies est assassinée devant son club, il voit rouge et, estimant que la justice ne fait pas son travail, s’incruste dans l’enquête de l’inspectrice Chloé Decker.

Cette série a toute les apparences d’une série policière, mais très honnêtement ce n’est pas là ce qu’elle a de plus fascinant, surtout dans la première saison. Non, ce qui fait que cette série m’a absolument passionnée, ce sont toutes ses implications métaphysiques, dont on comprend qu’elles aient heurté la sensibilité de certains catholiques américains, tant il est évident que les questionnements proposés ici sont vertigineux.

Prenons les choses dans l’ordre : Lucifer, dans la mythologie judeo-chrétienne, était le plus bel ange, le plus glorieux, celui qui portait la lumière (d’où son nom, luci (de lux, luci signifiant « la lumière) -fer (« porter »), donc « qui porte la lumière »), mais pour une raison ou une autre il s’est rebellé contre son papa et a été déchu (je simplifie parce que les textes ne s’accordent pas complètement et ça finit par être compliqué, il a beaucoup de noms, il y a des disputes à son sujet, bref, c’est galère pour s’y retrouver).

Ici, c’est bien ce qui s’est passé, à l’origine. Mais. Je ne sais pas vous, mais moi, j’ai toujours trouvé qu’il y avait une incohérence dans le personnage de Satan, le Diable, Belial, appelez-le comme vous voulez : s’il est méchant et que son but est de pousser les hommes à faire le mal, pourquoi est-ce qu’il les punirait en Enfer pour l’avoir fait ?

Pour moi, il n’y a que deux possibilités : soit Lucifer est effectivement l’Ennemi de Dieu et afin de répandre le mal sur terre il doit encourager les méchants en les récompensant, soit Lucifer n’est pas l’Ennemi de Dieu et il fait pour lui le sale boulot.

C’était tout l’enjeu du roman d’Anne Rice Melmoth le démon, qui m’avait illuminée à l’époque où je l’avais lu, et cette série n’a pas été sans me rappeler certains des développements : Lucifer est déchu parce qu’il s’est rebellé (reste à savoir pourquoi, et à mon avis c’est moins simple que ce qu’on en dit habituellement), mais en même temps on lui a confié une mission essentielle.

Lucifer, donc, n’est pas méchant. Il est beau à se damner, insolent, séducteur, le cadeau de Dieu fait aux femmes (et aux hommes aussi, d’ailleurs), il aime la fête, l’alcool, le sexe, et est doté d’un humour absolument ravageur (et sa voix me donne des frissons) (exemple d’humour : Well, the Devil actually wears Prada ou encore I am your Guardian Devil).

Et il punit les coupables, que ce soit en Enfer ou sur terre. Mais il ne les pousse pas à faire le mal et s’agace de l’image de tentateur qu’on donne de lui : il ne se perche pas sur l’épaule des gens pour leur dire ce qu’ils ont à faire. Ce que Lucifer affirme, c’est que les hommes ont leur libre-arbitre, et que s’ils font le mal, c’est leur propre choix.

Ici, il est donc question de Justice : certes ses méthodes sont parfois un peu particulières, mais finalement, c’est le Bien que recherche notre bon petit diable, punir les méchants et offrir la rédemption à ceux qui peuvent encore être sauvés.

And that is the point.

Mais alors, du coup, qu’est-ce que le Mal, qu’est-ce que le Bien ? Question complexe, et non réglée, d’abord parce que certaines actions peuvent paraître mauvaises mais ne le sont pas au regard des raisons pour lesquelles on les commet, et parce que les personnages sont tous complexes et que l’on ne sait pas toujours, finalement, de quel côté ils penchent, d’autant qu’ils évoluent à mesure qu’ils découvrent ce qui fait à la fois la force et la faiblesse de l’humanité : sa vulnérabilité, et la vulnérabilité des vulnérabilités, c’est l’amour, qui nous pousse à faire toutes sortes de choses.

Que ce soit l’ange Amenadiel, pur et intransigeant, qui laisse apparaître ses faiblesses, la démone Mazikeen, qui s’attache, ou d’autres (apparaît dans la saison 2 un personnage qui me fait bien plaisir même si j’ai du mal à le cerner).

Le seul, finalement, qui a le mauvais rôle, c’est Dieu lui-même, omniprésent même si on ne le voit jamais (oseront-ils ?). Tantôt on a l’impression qu’il n’est qu’un despote qui joue aux Sims aussi bien avec les humains qu’avec sa famille, tantôt qu’il s’en fout, tout simplement, et que quoi que les uns et les autres fassent pour le faire réagir, il demeure absent.

Cela ne peut que faire penser à cette citation de Camus dans La Peste Peut-être vaut-il mieux pour Dieu qu’on ne croie pas en lui et qu’on lutte de toutes ses forces contre la mort sans tourner les yeux vers ce ciel où il se tait. Ou à Woody Allen : Si Dieu existe, j’espère qu’il a une bonne excuse.

Que veut-Il ? Que cherche-t-Il ? On ne sait pas, mais une chose est sûre, niveau figure paternelle, on a vu mieux, et c’est aussi un des fils rouges de la série : la dimension psychanalytique et freudienne.

Une famille dysfonctionnelle qui tente tant bien que mal de régler ses problèmes de communication.

Là encore, c’est passionnant dans l’exploration qui est faite des relations entre Lucifer et son père, extrêmement complexes. Je finis d’ailleurs par me demander si Lucifer, ce n’est pas le fils prodigue, voire le petit rebelle qu’on aime plus que les autres justement parce qu’il se rebelle au lieu d’obéir aveuglément sans se poser de questions : Lucifer interroge, remet en cause, veut savoir pourquoi, ne voit pas du tout pourquoi désirer serait mal en soi et pourquoi il faudrait s’ennuyer dans la vie.

Il y perd le Paradis, mais ce qu’il trouve à la place n’est-il pas finalement mieux ?

Quant à Chloé… j’aurais aimé pouvoir en parler, mais au stade où j’en suis arrivée des épisodes (la moitié de la saison 2 : j’ai vu tous les épisodes diffusés mais la série ne reprend qu’en mai aux Etats-Unis donc il faut patienter) j’aurais peur de trop en dire.

Bref : une série pour laquelle j’ai eu un énorme coup de cœur, décadente, drôle, très esthétique, et qui permet vraiment de réfléchir à beaucoup de choses.

Contrairement à ce que j’ai lu sur certains sites orientés religieusement (oui, je suis allée voir ce qu’ils en pensaient histoire de rigoler un bon coup), il ne s’agit pas de rendre Satan et le Mal sympathiques et glamours : il s’agit au contraire de se poser des questions sur ce que représente Lucifer (nos désirs les plus profonds) et sur le Bien et le Mal, au lieu de rester enfermé dans du prêt-à-penser simplificateur.

Et ça, c’est bien. Si en plus on peut mancrusher (et je vous assure que la série a beau me faire réfléchir, je ne me prive pas non plus de fantasmer), c’est mieux.

Ma seule critique ira à celui qui traduit les sous-textes, et dont certaines propositions ont tendance à m’affliger (quickly par « fissa », je suis désolée mais non).

Lucifer
Tom KAPINOS
2016 (en cours de production)

19 réponses à « Lucifer, de Tom Kapinos »

  1. Avatar de Audrey

    J’ai regardé les 3 ou 4 premiers épisodes et j’avais bien accroché 🙂

    J’aime

    1. Avatar de Caroline Doudet (L'Irrégulière)

      C’est génial, et encore mieux au fil des épisodes !

      Aimé par 1 personne

  2. Avatar de Laura

    On me la conseille depuis un moment !
    Il faut vraiment que je lance ton avis ne fais que le confirmer !
    Merci & bon weekend !

    J’aime

  3. Avatar de Alexandra

    Ça fait tellement plaisir de voir un avis aussi construit, réfléchi et positif sur cette série que j’adore ! J’essaie de « convertir » (sans mauvais jeu de mots ;)) le plus de monde possible, parce que ça vaut le détour.

    J’aime

  4. Avatar de ducotedechezcyan
    ducotedechezcyan

    J’aime beaucoup aussi cette série 😉 Avouons-le: surtout pour Lucifer, bien plus que pour le reste ^^
    Merci pour cet avis détaillé, ça fait toujours plaisir de voir passer des billets sur les séries qu’on aime 🙂

    J’aime

    1. Avatar de Caroline Doudet (L'Irrégulière)

      C’est clair qu’il donne envie de s’adonner au pêché de luxure ^^

      J’aime

  5. Avatar de lapetitemaryquirevaitdevoyagesetdespagne

    Je suis rendue à la saison 2. Je dévore! Et il n’est pas laid du tout ce Lucifer! 🙂

    J’aime

  6. Avatar de Black Mirror, de Charlie Brooker | Cultur'elle

    […] Black mirror est donc, à la manière par exemple de la Quatrième dimension, une série anthologique : chaque épisode illustre une manière dont notre société pourrait, à cause de la technologie et de sa place grandissante dans nos vies, devenir une dystopie. De manière générale, cela commence plutôt bien (pas toujours) et, illustrant la loi de Murphy (tout ce qui est susceptible de mal tourner tournera nécessairement mal) les choses dérapent. Nous sommes ainsi plongés dans une société hyper-connectée où les gens se notent les uns les autres et où ceux qui ont des notes très élevées, les « influenceurs », ont des avantages ; des tests de réalité virtuelle un peu trop réelle ; des hackers qui jouent aux Sims avec des personnes réelles en les faisant chanter ; un programme de thérapie par immersion nostalgique ; une télé-réalité devenue la vraie vie ; une puce qui enregistre tout ce qu’on voit comme une caméra ; un parc d’attraction où les coupables de crimes sont châtiés de manière exemplaire (et qui n’est pas sans rappeler l’Enfer selon saint Lucifer)… […]

    J’aime

  7. Avatar de Série-maniac

    […] Ton crush dans le monde des séries Je crushe très souvent, mais le dernier, c’est Lucifer […]

    J’aime

  8. Avatar de Série-maniac

    […] Ton crush dans le monde des séries Je crushe très souvent, mais le dernier, c’est Lucifer […]

    J’aime

  9. Avatar de Désenchantée, de Matt Groening – Cultur'elle

    […] C’est aussi une réflexion sur l’adolescence et ses tourments, avec une jeune fille rebelle et un père totalement démuni, une belle-mère bizarre et deux amis pas tellement imaginaires pour lesquels j’ai eu un véritable coup de foudre : Elfo, qui a choisi de quitter le monde parfait où il est né parce qu’il ne voulait pas passer sa vie à rire et manger des bonbons mais connaître le malheur, et Luci, le petit démon envoyé à Bean par des gens animés sans doute de sombres desseins, qui pousse la princesse à faire des bêtises, boire et fumer des joints, se présente comme méchant, mais qui est tout mignon avec ses petites oreilles et sa queue fourchue, et qui est plus drôle que réellement méchant (mais de fait, j’ai un crush avec les démons). […]

    J’aime

  10. Avatar de Le Diable, de Dominique Labarrière : aux origines de la diabolisation de la femme – Cultur'elle

    […] je débutais, et je gardais du Diable une image très négative, malgré ma grande affection pour Lucifer. Et puis en travaillant sur cette carte, je l’ai mieux comprise : magnétique, charismatique, […]

    J’aime

  11. Avatar de Sandman, de Neil Gaiman et Allan Heinberg : le rêve est une seconde vie – Caroline Doudet

    […] arguments avancés pour ne pas redonner le rôle à Tom Ellis, pour ne pas créer de confusion avec la série qui a fait du personnage quelque chose de particulier qui n’aurait pas collé ici. Je […]

    J’aime

  12. Avatar de Hadès et Perséphone, de Scarlett St Clair : explorer son ombre et devenir une déesse – Caroline Doudet

    […] mènent une vie prospère d’entrepreneurs. Hadès, par exemple, possède une boîte de nuit (tiens donc ?) dans laquelle il propose aux humains de miser leur âme contre leur désir le plus cher. Ils […]

    J’aime

  13. Avatar de Black Mirror, de Charlie Brooker – Caroline Doudet

    […] Nous sommes ainsi plongés dans une société hyper-connectée où les gens se notent les uns les autres et où ceux qui ont des notes très élevées, les « influenceurs », ont des avantages ; des tests de réalité virtuelle un peu trop réelle ; des hackers qui jouent aux Sims avec des personnes réelles en les faisant chanter ; un programme de thérapie par immersion nostalgique ; une télé-réalité devenue la vraie vie ; une puce qui enregistre tout ce qu’on voit comme une caméra ; un parc d’attraction où les coupables de crimes sont châtiés de manière exemplaire (et qui n’est pas sans rappeler l’Enfer selon saint Lucifer)… […]

    J’aime

  14. Avatar de Sandman, de Neil Gaiman et Allan Heinberg : le rêve est une seconde vie – Caroline Doudet

    […] à fait les arguments avancés pour ne pas redonner le rôle à Tom Ellis, pour ne pas créer de confusion avec la série qui a fait du personnage quelque chose de particulier qui n’aurait pas collé ici. Je […]

    J’aime

Répondre à lapetitemaryquirevaitdevoyagesetdespagne Annuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Je suis Caroline !

Portrait plan américain d'une femme châtain ; ses bras sont appuyés sur une table et sa maingauche est près de son visage ; une bibliothèque dans le fond

Bienvenue sur mon site d’autrice et de blogueuse lifestyle, sur lequel je partage au quotidien ma manière poétique d’habiter le monde !