Ne perds pas patience envers moi. Je sais qu’il m’arrive de m’écarter du sujet, mais si je n’écris pas les choses telles qu’elles se présentent à moi, j’ai l’impression que je les perdrai définitivement. Mon esprit n’est plus tout à fait ce qu’il était. Il est plus lent, pesant et moins alerte, et suivre très loin ne serait-ce que la plus simple des pensées m’épuise. C’est donc ainsi que ça commence, malgré mes efforts. Les mots ne me viennent que lorsque je crois ne plus pouvoir les trouver, au moment où je désespère de pouvoir jamais les reprononcer. Chaque jour apporte la même lutte, le même vide, le même désir d’oublier et puis de ne pas oublier. Quand ça commence, ce n’est jamais ailleurs qu’ici, jamais ailleurs qu’à cette frontière, que le crayon se met à écrire. L’histoire commence et s’arrête, avance et puis se perd, et, entre chaque mot, quels silences, quelles paroles s’échappent et s’évanouissent pour ne jamais reparaître.
Mon Paul Auster annuel, en attendant le prochain qui, si mes informations sont exactes, devrait sortir début 2018 (et depuis le temps qu’il n’a pas sorti de roman, je piaffe). Celui dont je vais vous parler aujourd’hui, néanmoins, est très étrange…
Anna Blume écrit à son ami d’enfance depuis « le pays des choses dernières » (le titre original), où elle s’est rendue pour se lancer à la recherche de son frère William, journaliste, mystérieusement disparu. Ce qu’elle a découvert ressemble à l’Enfer : une ville en totale désagrégation, et où règnent la faim, la misère, les prédateurs et la mort, qui n’est peut-être pas finalement ce qu’il y a de pire.
Un roman assez effrayant, qui prend la forme d’un récit de voyage et en respecte globalement les codes, mais un voyage en dystopie, une sorte de post-apocalypse où toute une civilisation s’est effondrée et où les hommes sont revenus dans une sorte d’état sauvage, luttant âprement pour leur survie.
De ce qui a mené à cette situation, nous ne saurons mais rien, de même que nous ne saurons jamais quel est ce pays (ou plutôt cette ville) même si quelques indices peuvent mener à penser qu’il s’agit des Etats-Unis : ce qui importe, ce sont les conséquences de cet effondrement, la description d’un monde chaotique où les choses disparaissent et s’oublient, ne sont même plus nommées.
L’ensemble est profondément déstabilisant, à la fois finalement assez réaliste et peut-être prophétique sur l’avenir du monde, et profondément métaphorique et symbolique : en tout cas, le roman invite à la réflexion, montrant la fragilité de la civilisation qui peut s’effondrer à tout moment et ramener les hommes à l’état animal.
Même Anna, qui vient d’ailleurs, a toujours vécu dans le confort, finit par être gagnée par cette déliquescence. Et pourtant, le roman distille une lueur d’espoir : même dans ce chaos, il reste des êtres profondément humains et altruistes.
Ce roman ne se classera pas parmi mes favoris de l’auteur : je préfère largement lorsqu’il nous parle d’écriture et de création (il y a des moments ici où il le fait un peu, cela dit). Mais cela reste un roman à lire parce qu’il interroge le monde, même si probablement il n’existe aucune réponse à ses questionnements.
In the Country of Last Things (Le Voyage d’Anna Blume) (lien affilié)
Paul AUSTER
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Patrick Ferragut
Actes Sud, 1989 (Livre de Poche 1994)









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