Au nom des nuits profondes, de Dorothée Werner

Au nom des nuits profondes, de Dorothée Werner

Comme ta mère et avant elle sa propre mère, comme toute la lignée des femmes avant toi, tu avais intégré ton infériorité intrinsèque, ta fragilité organique, ton inaptitude à prétendre plus. Depuis que tu tenais debout, tu connaissais la loi immuable : les garçons courent en hurlant de rire, cassent leurs jouets et disent des gros mots. Les filles sont soigneuses, romantiques et volontiers intimidées. En toutes circonstances, elles veillent à garder les genoux serrés. Elles font des petits pas à la manière d’un faon. Sinon elles ont l’air d’un déménageur ou d’un rugbyman : elles sortent du jeu et tombent dans le trou. Fille et bientôt femme, en tant que fille et femme, tu te soumettais librement à la norme, où aurais-tu trouvé la force de faire autrement ? Enthousiaste et bravache, soucieuse de vivre et vite, tu rêvais d’avoir un jour la même place que les autres, à l’ombre d’un homme qui t’aurait adoptée. Alors tu aimais tout, tu prenais tout, tu voulais bien tout.

Un très beau titre, très poétique, pour ce roman que j’avais très vite repéré dans les parutions de la rentrée, car il traite un sujet ô combien important : les femmes.

Parce que née fille dans un milieu bourgeois gangrené par la religion et le patriarcat tout-puissant, le personnage de ce roman s’est toujours crue inférieure, et est passée à côté du féminisme. Fille à papa puis mère au foyer, elle s’est oubliée et le fait payer cher à son enfant, la narratrice qui s’adresse à sa mère…

Un roman magistral, dont le choix narratif assez déconcertant donne à l’ensemble une tonalité assez étrange, mais qui prend pleinement son sens au fil des pages. C’est tout un destin féminin qui s’offre à nos yeux : l’écrasement par le patriarcat et l’absence de choix, le mariage et la maternité vécus comme une prison — maternité considérée comme allant de soi, seul destin féminin acceptable, et pour lequel pourtant certaines ne sont pas faites et le subissent comme un supplice.

Cela donne des passages très durs et violents, où l’on voit bien comment la toute-puissance maternelle étant leur seul pouvoir et leur enfant le seul être qu’elles peuvent dominer, certaines femmes finissent par déverser leur rage, leur frustration sur lui. Et puis vient l’éveil au féminisme, l’émancipation enfin, avec toutes ses difficultés, et la reconstruction de soi.

Un très beau roman donc, merveilleusement écrit, tissé de clins d’oeils à la littérature et à la chanson, et qui parlera sans doute à toutes les femmes, quels que soient leurs choix !

Au nom des nuits profondes (lien affilié)
Dorothée WERNER
Fayard, 2017

16 commentaires

  1. Jerome dit :

    Très beau titre, oui, et on te sent vraiment sous le charme de ce roman au féminin.

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  2. Asphodèle dit :

    Ton enthousiasme me fait le noter et pourtant je ne cours pas après les derniers livres sortis mais celui-ci me parle ! 😉

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          1. Asphodèle dit :

            Vilaine ! 😆

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  3. Miss Zen dit :

    C’est terrible, chaque fois que je passe chez toi ma liste de livres s’allonge !!!!!!!

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    1. Tu m’en vois désolée (ou non )

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  4. Mind The Gap dit :

    Pas trop de violence à la rentrée…je passe!

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  5. Le sujet me parle, évidemment !

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  6. sylire dit :

    Je n’avais pas encore repéré ce roman dans les sorties de la rentrée. Voilà qui est fait.

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