Perséphone, de Benjamin Carteret

Mes mots mêlaient deux langues et mon pouvoir aurait donc prise au Ciel comme en Terre. je le décidais. Je voulais tout, sinon je ne voulais rien. C’est ce qui arriverait donc. Je n’avais cessé en grandissant de me saboter en me répétant que je n’avais pas de place, que je n’appartenais à aucun monde. Et en le disant je l’avais cru. Les autres aussi. J’avais voulu me démarquer coûte que coûte des astres sublimes qu’étaient mes parents et de leurs pouvoirs terribles. Cela n’avait eu pour effet que de m’éloigner de moi-même. Je me rendis compte ce matin-là que ce n’est pas en le combattant, mais plutôt en lui cédant, que j’allais m’emparer de mon destin.

Le mythe de Perséphone est un de ceux qui me parlent le plus, et j’étais donc très curieuse, après avoir proposé la mienne dans mon Escale Amoureuse de mars, de découvrir celle de Benjamin Carteret dans son premier roman.

Après la Titanomachie, Demeter est chargée par Zeus d’aller parmi les mortels leur apprendre l’agriculture et la dévotion aux nouveaux dieux. Elle emmène avec sa fille Korè, dont les pouvoirs ne se sont pas encore révélés, et qui rechigne à vivre ailleurs que sur l’Olympe. Mais peu à peu elle se déploie et trouve son pouvoir : elle devient déesse du Printemps, la dernière déesse de Terre. Et sa mère voudrait que, comme Artémis et Athéna, elle reste vierge et fasse vœu de chasteté, pour échapper au pouvoir masculin. Mais ce n’est pas ce qui est prévu par Gaïa : ce n’est qu’en rencontrant Hadès qu’elle sera pleinement dans son pouvoir et pourra devenir Perséphone.

Dans une langue éminemment poétique et sensuelle, Benjamin Carteret nous propose une passionnante interprétation, voire orchestration, du mythe, dans laquelle s’opposent la vision d’un monde ordonné et hiérarchisé, celle de Ciel et du patriarcat, et celle de la Puissance féminine de Terre. Le chtonien et l’ouranien. Même si les oppositions sont plus riches et nuancées, notamment sur les éléments et les polarités.

C’est avant tout l’histoire d’une émancipation : Perséphone doit se libérer de son père et de sa mère, car même si Demeter m’a paru dans ce roman beaucoup plus intéressante et touchante que dans d’autres versions du mythe, elle reste surprotectrice et assez oppressante. Mais Perséphone doit aussi se libérer de ses propres limitations, de ses peurs et de ses ombres intérieures, et c’est en ce sens que la descente aux enfers est essentielle, et se pose la question du choix : doit-on renoncer à la pulsion de vie de l’amour et du désir pour rester puissante et maîtresse de soi ? Encore une fois, l’amour pourrait bien être la clé. Un véritable travail d’individuation : aller au fond de soi pour découvrir son pouvoir et s’aligner avec la personne que l’on est.

Enfin, le roman propose une très intéressante remontée aux sources : la religion crétoise de la déesse aux serpents, la transmigration des âmes et le cycle de la vie dont la mort fait partie et bien sûr les fascinants Mystères d’Eleusis, le tout appuyé sur une évidente érudition qui se met ici à la portée de tous.

J’ai adoré ce roman, et cela faisait d’ailleurs une éternité que je ne m’étais pas plongée de longues heures durant dans une lecture qui me passionne autant. Il porte en lui la vision d’un monde harmonieux et apaisé, et il m’a fait signe à de très nombreuses reprises. J’ai découvert un nouveau mot : kalligénéia, qui engendre le beau. Et il m’a donné de nombreuses pistes de réflexion pour le projet Déesse.

Perséphone (lien affilié)
Benjamin CARTERET
Charleston, 2024

4 réponses à « Perséphone, de Benjamin Carteret »

  1. Avatar de cora85

    J’aime beaucoup ce mythe également !

    Mon prénom viendrait de Koré (la jeune fille) en grec ; et mon prénom masculin favori est Dimitri (Déméter, tu l’as sans doute compris). Belle fin de semaine !

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    1. Avatar de Caroline Doudet

      Belle fin de semaine à toi !

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  2. Avatar de Moi, Orphée… de Benjamin Carteret : autobiographie d’un mythe – Caroline Doudet

    […] ma découverte de Benjamin Carteret et de sa relecture du mythe de Perséphone qui m’a beaucoup donné à penser, je suis tombée, en farfouillant un peu, sur sa récente […]

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