Baumgartner, de Paul Auster

Baumgartner, de Paul Auster

C’est le trope que Baumgartner cherchait depuis la mort soudaine, inattendue d’Anna dix ans plus tôt, analogie s’imposant comme la plus persuasive pour décrire ce qui lui est arrivé depuis cet après-midi chaud et venteux d’août 2008, où les dieux ont jugé bon de lui dérober sa femme dans la pleine vigueur de son âge encore jeune, et soudain, ses membres ont été arrachés de son corps, tous les quatre, bras et jambes ensemble au même moment, et si sa tête et son cœur ont été épargnés par l’assaut, c’est seulement parce que les dieux pervers et moqueurs lui ont accordé le droit douteux de continuer à vivre sans elle. A présent, il est un moignon humain, un demi-homme ayant perdu la moitié de lui-même, et, oui, les membres manquants sont toujours là, ils lui font toujours mal, au point qu’il a l’impression parfois que son corps est sur le point de prendre feu et de se consumer sur place.

Depuis sa sortie, je me réservais ce roman pour l’été, sans savoir que ce serait le dernier au sens plein du terme. C’était la tradition : emporter un roman de Paul Auster en escapade estivale. Il est parti à Londres, à Lisbonne, à Amsterdam, à Bruxelles, et donc à Malaga même s’il s’y est surtout promené car c’est sur le Bassin d’Arcachon que je l’ai finalement lu, avec une impression bizarre, puisque c’est un roman de la perte, du deuil et du manque.

Cela fait dix ans qu’Anna, la femme de Sy Baumgartner, un universitaire, est morte dans un accident de baignade, et qu’il vit comme amputé. Le roman Le roman nous plonge dans les méandres de sa mémoire, des événements qui lui reviennent par vagues mais sans ordre chronologique.

Un texte inclassable, éminemment austérien, et qui sonne évidemment dans le contexte comme un testament : il y est donc question d’amour, de la force de la littérature aussi, et de perte de l’être aimé, du deuil et du manque exprimé par la métaphore de l’amputation et de la douleur du membre fantôme. La mémoire erre, sans ordre sinon celle de la conscience. Comme toujours, Auster sème des éléments autobiographiques, des clins d’oeil à ses autres romans, brouille le réel et la fiction. Et comme d’habitude, pour moi, nombre de synchronicités, nombre de signes.

J’ai beaucoup aimé la manière dont il nomme son bureau : cogitorium. Je trouve cela absolument magnifique et bien trouvé, et je pense rebaptiser le mien comme ça.

Ce n’est évidemment pas un roman qu’on peut lire comme un autre, puisqu’il est lui-même perte de quelque chose, ce qui le rend d’autant plus émouvant. Comme je l’ai écrit à sa mort, Paul Auster était un de mes écrivains préférés, un auteur essentiel dans mon parcours de lectrice et d’autrice. Il me reste encore deux ou trois romans qui ont échappé à ma vigilance et que je n’ai pas lus, pour des raisons diverses, mais évidemment, ce ne sera plus pareil.

Quant à ce court roman (on est loin du pavé 4, 3, 2, 1), je le conseille évidemment sans réserves, à ceci près que ce n’est pas celui que je conseillerais en priorité pour découvrir ce magnifique auteur.

Baumgartner (lien affilié)
Paul AUSTER
Traduit de l’américain par Anne-Laure Tissut
Actes Sud, 2024

2 réponses à « Baumgartner, de Paul Auster »

  1. Avatar de Rupture(s), de Claire Marin – Caroline Doudet

    […] Au contraire, comme une amputation (métaphore également utilisée par Paul Auster dans Baumgartner), elle laisse des traces, comme des membres fantômes encore douloureux. Et pourtant, les ruptures […]

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  2. Avatar de Favoris des favoris de 2024 – Caroline Doudet

    […] injuste, notamment avec beaucoup de romans que j’ai beaucoup aimé, mais j’ai choisi Baumgartner de Paul Auster parce qu’il n’y aura plus jamais de roman de Paul Auster, ce qui m’attriste […]

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