La nuit, je le suivais à la trace ou je le cherchais partout. Dans la journée, nous travaillions comme jamais encore auparavant. J’avais vingt ans, lui vingt-cinq, et ensemble on assemblait des assiettes extraordinaires, on se faisait goûter les yeux fermés des mélanges qui nous ravissaient, parce qu’on n’aurait jamais cru pouvoir les inventer, être aussi libres, être aussi vivants, et après le dernier service on se souriait pleins de tendresse, assis à battre des jambes sur le plan de travail, fourbus, taquins, brisés de fatigue, mais ensemble. Je refusais de voir qu’il perdait pied. Je me disais C’est tout ce que je veux. Cassio Cesare. La grande cuisine. La jeunesse. L’adversité.
Il semblerait que j’ai une rentrée littéraire de retard, et voilà encore un roman que je me réservais pour l’été depuis sa sortie : Julia Kerninon est une autrice que je suis depuis ses débuts et dont j’aime infiniment les personnages féminins, puissants et inoubliables, et je voulais donc avoir tout mon temps pour le savourer — verbe qui n’est pas choisi au hasard, puisqu’il est question ici de cuisine, de nourriture et de Rome ! Cela dit, à force d’être en retard, je suis raccord avec sa sortie en poche !
Ottavia est une femme sauvage. C’est d’ailleurs son nom de famille, Selvaggio. Elle se donne entièrement à la cuisine, son métier, passe plus de temps dans son restaurant que chez elle, et cela semble convenir à son mari, qui enseigne la littérature et s’occupe des enfants, sans chercher à la domestiquer ni à la mettre en cage. Mais un homme surgi de son passé lui révèle ce qu’elle n’avait pas compris, à l’époque, et elle se met à douter de ses choix.
Quel régal, pour filer la métaphore culinaire : j’ai encore une fois eu un coup de foudre pour ce personnage de femme sauvage, indomptable, rayonnante et puissante, et pourtant vulnérable au désir et à l’amour. Une femme très évidemment faite pour l’amour, mais peut-être pas pour le couple, et sans doute pas pour la maternité (même si elle aime ses enfants), et on ne s’étonnera pas que je m’y sois beaucoup reconnue. Et que j’aie bien évidemment été une nouvelle fois subjuguée par le talent de Julia Kerninon pour nous proposer un roman puissamment charnel, débordant de sensualité et de vie, sur fond de cuisine, de nourriture et d’Italie, car quoi de plus vivant et charnel que la cuisine italienne ? Les mots de Julia Kerninon nous transportent dans le Latium, on a l’impression d’en saisir toutes les odeurs et les goûts, et c’est un enchantement !
Un très très beau roman donc sur la force du désir, sur l’amour, sur les choix que nous faisons et qui ne nous correspondent pas toujours : un roman qui m’a éblouie, de par son héroïne et de par son écriture encore une fois parfaitement maîtrisée. Si vous ne l’avez pas encore lu, et a fortiori si vous n’avez pas encore découvert Julia Kerninon, n’hésitez pas à profiter de sa sortie en poche pour le découvrir !
Sauvage (lien affilié)
Julia KERNINON
L’Iconoclaste, 2023 (Proche, 2024)









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