Les yeux de Mona, de Thomas Schlesser

Malgré ces exceptions, Henry faisait le constat affligeant que le temps de l’enfance est, par commodité, majoritairement imprégné d’objets futiles et laids. Et Mona n’échappait pas à la règle. La beauté, la vraie beauté artistique, n’entrait que clandestinement dans son quotidien. C’était absolument normal, notait Henry : l’affinement du goût, la construction de a sensibilité viendraient plus tard. A ceci près — et cette pensée l’étrangla — que Mona avait bien failli perdre la vue et que, si ses yeux s’éteignaient définitivement dans les jours, les semaines, les mois à venir, elle n’emporterait avec elle, dans les confins de sa mémoire, que le souvenir de choses clinquantes et vaines. Une vie entière dans le noir, à composer mentalement avec ce que le monde produit de pire, sans échappatoire pour les souvenirs ? C’était impossible. C’était terrifiant.

Mon mantra, en tout cas un de mes mantras, c’est cette phrase de Dostoïevski : « la beauté sauvera le monde« . D’où l’importance dans ma vie de l’art sous toutes ses formes. Aussi, lorsque j’ai entendu parler par hasard de ce roman, qui se veut une « initiation à la beauté et à la vie« , je n’ai pas pu résister.

De peur que Mona, dix ans, ne perde la vue sans connaître la vraie beauté, la beauté de l’art, son grand-père, féru d’histoire de l’art, décide de lui constituer un réservoir dans lequel elle pourra puiser si le pire arrive. Chaque semaine, il l’emmène dans un musée, contempler une œuvre d’art, une seule, mais pendant très longtemps. D’abord au Louvre, puis à Orsay, enfin à Beaubourg. Chaque œuvre constitue une leçon qui aide Mona à grandir.

J’avoue que je n’ai pas autant aimé ce roman autant que je l’aurais voulu. D’abord parce qu’il et tout de même très didactique : même s’il se passe autre chose que les visites au musée, et notamment tout ce qui est en lien avec la recherche des raisons pour lesquelles Mona a subitement perdu la vue un soir pendant une heure (et qui sont d’ailleurs très intéressantes), le fait est que chaque chapitre est construit sur le même modèle, description de l’œuvre, observation, explication et leçon, ce que j’ai fini par trouver un peu lassant.

En outre, et là c’est très personnel, j’ai trouvé que c’était frustrant : les explications sont passionnantes, mais le choix des œuvres m’a souvent laissée dubitative : certains artistes ont peint des tableaux parfois beaucoup plus intéressants que ceux qui sont montrés, certains peintres sont absents alors que d’autres qui selon moi n’ont guère d’intérêt (Rosa Bonheur, sérieusement…) sont présentés. Dernier point : la jeunesse de Mona fait que parfois, le sens profond et les connotations (sexuelles) de certaines productions sont quelque peu édulcorées. Et cela influe, d’ailleurs, aussi sur le choix des œuvres j’imagine.

Nonobstant, ne pas avoir aimé ce roman autant que je l’aurais voulu ne signifie pas que je ne l’ai pas aimé : j’ai beaucoup apprécié la réflexion qu’il porte sur la manière dont l’art peut nous rendre meilleur, nous faire grandir, et le voyage de Mona à travers l’art est aussi un voyage initiatique, un voyage vers soi, et agit comme un « soin de l’âme » (son grand-père d’ailleurs l’emmène au musée en secret des parents, alors qu’il est supposé la conduire chez un psychiatre), surtout si on fait le lien avec ce secret de famille qui pèse sur elle.

J’ai également beaucoup appris, notamment sur des œuvres auxquelles je ne m’étais jamais intéressée plus que ça, souvent parce qu’elles ne suscitent chez moi aucune émotion, ce qui parfois reste le cas d’ailleurs mais au moins, j’en sais plus sur elles.

Et j’ai également fait de très (très très) belles découvertes, et notamment Georgia O’Keeffe : je la connaissais un peu, j’avais dû croiser ses tableaux à Beaubourg, mais je ne m’y étais pas intéressée de très près. La lecture du chapitre qui lui est consacré a été une révélation (mais vraiment vous savez, le genre d’illumination qui arrive parfois) et sitôt refermé, je me suis mise en quête d’une monographie, sans trop savoir quoi choisir. Et là, le lendemain, je passe devant le représentant des éditions Citadelles & Mazenod, tentant de regarder droit devant moi pour éviter la tentation. Sauf qu’à un moment, mon oeil, dans son coin, a vu écrit « O’Keeffe ». J’y ai vu un signe, et je vous laisse imaginer la suite. Vous entendrez donc probablement reparler d’elle prochainement, d’autant qu’elle est à l’origine d’un nouveau projet. Rien que pour cette illumination (et il y en a eu d’autres) je sais gré au roman.

Je sais gré également à Thomas Schlesser d’avoir fait un véritable effort pour proposer, dans son exploration, beaucoup de femmes, en particulier en art moderne et art contemporain.

Bref un roman un peu lourd, mais d’une grande richesse, qui permet d’apprendre et de réfléchir, et qui ravira les amateurs d’art et d’histoire des arts. A noter d’ailleurs que la jaquette est dépliable, et propose une reproduction de toutes les œuvres proposées, ce qui est bien pratique même si le format reste réduit.

Les yeux de Mona (lien affilié)
Thomas SCHLESSER
Albin Michel, 2024

6 réponses à « Les yeux de Mona, de Thomas Schlesser »

  1. Avatar de Phrenssynnes

    Je n’ai pas été capable de la terminer. J’aurais aimé avoir la photo de chaque œuvre sur la première page de chapitre au lieu d’être obligé de me référer à la jaquette. Par contre, j’ai aimé en apprendre plus sur l’histoire de l’art et je le finirai peut-être un jour.

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  2. Avatar de cora85

    Il est dans ma PAL, car je suis férue d’histoire de l’art.

    Merci d’avoir exprimé ton avis !

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    1. Avatar de Caroline Doudet

      Bonne lecture alors !

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  3. Avatar de Miss Zen

    C’est un livre que j’ai déjà failli acheter 20 fois ! Je craquerai certainement quand il sera sorti en poche.

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    1. Avatar de Caroline Doudet

      Il n’y aura plus aucune raison de résister !

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  4. Avatar de Mes favoris d’octobre 2024 – Caroline Doudet

    […] n’ai pas fini de vous rabattre les oreilles avec Georgia O’Keeffe mais vraiment, cette découverte a été une véritable épiphanie, et je ne me lasse pas de creuser la question. Je ne pouvais […]

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