La semaine dernière, nous avons étudié les principaux freins qui s’élèvent entre nous et notre créativité, mais j’avais envie de consacrer un article complet au pire (selon moi) : le perfectionnisme. Cette envie que tout soit parfait, et du premier coup. A quoi bon créer, si ce qu’on fait n’est pas beau, pas réussi, que parfois on n’arrive à rien et qu’on culpabilise (ça, c’est plutôt pour ceux dont la créativité est l’activité principale) ? Ôtez-vous cette idée de la tête : la créativité n’est pas une affaire de performance.
Comprendre le cycle de la créativité
Une des premières manifestations de ce perfectionnisme étouffant, c’est le désir d’être parfaitement « efficace » tous les jours. Nous verrons qu’il est important d’être régulier, et d’essayer de créer tous les jours, même un peu. Mais ça ne veut pas dire que tout ce que vous ferez sera fluide tous les jours : il y a des jours où vous aurez l’impression d’être animé par la grâce, dans un bel état de flow qui vous tiendra plusieurs heures peut-être, et d’autres jours où vous peinerez à coller 3 images sur une page (mais c’est essentiel de le faire).
Il y a des jours où vous serez dans l’expression extérieure, et d’autres où vous aurez votre puit à sec, rien n’en sortira et vous devrez tout simplement plutôt vous inspirer.
Tout est cycle : la nature avec les saisons, la lune et ses phases… et l’humain également : c’est le cas en particulier si vous êtes une femme soumise au cycle menstruel, mais de manière générale même les hommes n’ont pas une énergie constante. Et tous ces cycles interagissent les uns avec les autres, vous rendant plus ou moins centré, efficace, selon les jours, les semaines, les mois. Et cela d’autant plus que la créativité elle-même a son cycle, comme le montre Clarissa Pinkola-Estes dans The Creative Fire :

On commence et on termine par la phase d’incubation. C’est la période, pour prendre une métaphore végétale, où la graine est sous la terre, pendant l’hiver ; c’est pour les femmes la période des règles elles-mêmes, période d’intériorité et de réflexion, correspondant à la nouvelle lune au sens strict (lorsqu’il n’y a aucune lumière). Puis vient le printemps, le soleil réchauffe le sol, donnant aux graines le signal pour commencer à germer : c’est l’étincelle, un nouveau projet. Cela correspond à la première phase du cycle menstruel, pleine d’un bel élan créatif, et la phase croissante de la lune. En été, on est au point culminant, c’est la Pleine Lune et l’ovulation. Puis vient l’automne, un ralentissement, l’énergie est plus faible : les feuilles des arbres tombent pour faire de la place à celles de l’année suivante, mais c’est aussi le moment où les graines sont enfouies sous la terre ; c’est la phase décroissante de la Lune, qui correspond à la phase prémenstruelle pour les femmes. Et enfin c’est l’hiver, le repos, l’introspection, et l’incubation de nouveaux projets.
Bien sûr, tout ceci reste assez schématique, et le cycle peut se développer sur une journée, une semaine, un mois, une année… mais ce qu’il est essentiel de comprendre, c’est cette idée de cycle perpétuel, et l’accepter au lieu de se battre contre : l’énergie monte, puis redescend, c’est comme ça, même si dans les faits personne n’aime la phase de déclin. Comprendre qu’elle est normale et inévitable permet de plus facilement se mettre dans le flux créatif, et ne pas culpabiliser durant les périodes de sécheresse.
Et il faut aussi accepter que, tout comme dans la nature, certaines graines ne poussent pas, et que certaines idées n’aboutiront pas. C’est frustrant, mais malheureusement cela arrive.
Si vous avez lu Comme par magie d’Elizabeth Gilbert (et si ce n’est pas le cas je vous y encourage vraiment), vous vous souvenez sans doute de la manière dont elle décrit les idées comme de petites entités virevoltant autour de nous, attendant que nous passions un accord avec elles pour les faire naître au monde. Et bien, il arrive tout simplement que certaines idées se manifestent à nous, et que nous ne soyons pas la bonne personne pour elles. Il arrive également que ce ne soit pas le bon moment, et que certaines idées mettent très longtemps avant de commencer à pousser. Vous pouvez donc les noter, et attendre que ce soit le bon moment (vous le saurez, et il ne sert à rien de vouloir faire pousser une idée dont ce n’est pas encore le moment) : j’ai moi-même un « carnet de projets » avec de nombreuses idées dont je sais que leur heure n’est pas encore venue. J’en ai un autre qui est strictement réservé aux idées de textes et notamment des romans, et certaines attendent sagement depuis des années. Peut-être que lorsque je pourrai leur consacrer le temps qu’elles méritent, elles seront déjà allées voir ailleurs et ne seront plus pour moi. Tant pis… il faut aussi avoir confiance dans le fait que si une idée se perd, d’autres viendront.
Respecter, comprendre et accepter ce cycle de la créativité est essentiel lorsqu’on veut mener une vie créative !
Accepter d’être débutant
Une autre chose liée au perfectionnisme peut bloquer le flux de la créativité : c’est le refus de débuter. Lorsqu’on se lance dans une nouvelle activité, on a tout à apprendre, et il y a de grandes chances pour que les premiers essais ne soient pas tels qu’on le voudrait.
Alors nous renonçons, en nous disant « bon, je n’ai pas de talent ». Or, non seulement le talent, ici, n’est pas important, mais surtout, il n’existe pas, ou en tout cas pas tel qu’on le conçoit souvent, comme une prédisposition innée et un peu magique pour quelque chose. Il n’y a rien de magique, et l’entraînement et l’apprentissage sont les clés du succès. Vous ne penseriez pas vous lancer dans un marathon alors que vous n’avez jamais couru ne serait-ce qu’un kilomètre ? Et bien c’est pareil pour la créativité. Vous devez apprendre, accepter que ce que vous ferez au début ne vous satisfera pas, mais continuer. C’est une phase.

Apprendre quelque chose de nouveau, une technique par exemple, demande de sortir de sa zone de confort, accepter sa peur de l’échec (« je ne saurai jamais faire »), ne pas abandonner, apprendre, progresser, et enfin maîtriser.
Un exemple encore une fois tiré de mon expérience : l’aquarelle botanique. Je suis en plein apprentissage, mais pas encore dans la zone de grandeur, ce qui me semble intéressant pour mon propos présent. Cet apprentissage prend place dans le cadre plus grand de mon désir d’ouvrir d’autres canaux artistiques que l’écriture. Je n’avais pas touché de crayon à dessin depuis plus de 20 ans, et cela n’avait jamais été une compétence que j’avais cherché à développer, donc elle n’était pas du tout développée. Mais vraiment, pas du tout. Et je considérais que ce n’était pas pour moi.
Le programme de Julia Cameron, Libérez votre créativité (un autre ouvrage que je vous conseille vraiment de lire) m’a obligée à sortir une première fois de ma zone de confort, notamment parce qu’il y a une semaine du programme durant laquelle il est strictement interdit de lire (et j’ai considéré qu’il était également interdit de regarder films et séries) ; j’ai ressorti des carnets de dessins, cahiers, matériel de skrapbooking (une tocade qui m’avait prise il y a quelques années), acheté de la peinture et divers bidules, recueilli des images pour faire des collages et j’ai commencé à faire un truc hybride à base de mots, de dessins etc. Je faisais ça intuitivement. C’est-à-dire sans aucune technique. Avec l’aquarelle notamment, je faisais comme les enfants : je trempais le pinceau dans l’eau, puis dans les godets de peinture, et en avant, je barbouillais la page. C’était d’ailleurs très amusant. Et j’aurais pu, d’ailleurs, en rester là, dans une nouvelle zone de confort où j’avais en quelque sorte trouvé mon style, même si techniquement, c’était une horreur.
Et j’ai fini par vouloir apprendre réellement, et comme j’adore les végétaux, j’ai choisi l’aquarelle botanique, discipline exigeante qui demande, outre une excellente technique (en dessin et en peinture), de représenter le réel à l’identique, alors que je suis plutôt « impressionniste ». Gros challenge donc. J’ai porté mon choix sur le cours proposé par Anne-Solange Tardy, d’abord parce que j’aime beaucoup son travail et que je lui fais confiance (j’avais déjà suivi ses cours de photo), et qu’elle-même a documenté son processus d’apprentissage, et que l’on voit bien les progrès fulgurants qu’elle a faits en quelques mois. Alors je ne vais pas faire aussi détaillé qu’elle mais voici les premiers résultats :

En haut, c’est ma zone de confort, à savoir des cercles, des tâches de couleur, ou bien des fleurs stylisées. Alors j’aime beaucoup ce style, et j’y reviendrai sans doute, mais comme on le voit, la technique est défaillante, il y a beaucoup d’auréoles. Donc, on commence à apprendre vraiment l’aquarelle au lieu de faire n’importe quoi, et le premier cours cela donne les feuilles de roses. Dont je ne suis pas du tout contente et pourtant j’ai bien suivi les conseils, remis plusieurs fois la vidéo, mais c’est loupé. Zone de peur, résistances, j’aurais pu me dire que ce n’était pas pour moi, et laisser tomber. Ce que je n’ai pas fait : j’ai persévéré, fait les exercices plusieurs fois (j’ai adoré faire et refaire les roues chromatiques et les nuanciers). Et je me suis lancée dans les « projets pas à pas », celui-ci, la cerise, étant le deuxième, et même si c’est très loin d’être parfait, je suis très contente de ce que j’ai fait, j’ai appris et j’ai progressé.
Alors je n’atteindrai sans doute jamais l’expertise d’Anne-Solange, qui est désormais une professionnelle de l’aquarelle botanique et ce qu’elle fait est magnifique ; mais ce n’est pas parce que je n’en suis pas capable : c’est simplement parce que ce n’est pas du tout mon objectif et que je ne désire pas consacrer plusieurs heures par jour à cette activité, qui me plaît beaucoup mais n’est pas au cœur de mon activité créative.
La leçon de tout ça, c’est que pour créer, il faut accepter d’être débutant, d’apprendre, de s’entraîner, d’être parfois déçu, de persévérer : c’est comme cela qu’on grandit.
Authenticité et vulnérabilité
Et enfin, le dernier élément qui peut bloquer le flux créatif en lien avec le perfectionnisme est celui qu’en créant, on est obligé de se montrer authentique, et qu’on est donc d’autant plus vulnérable. Devant soi, et devant les autres, si on se décide à montrer ce qu’on fait, ce qui est d’ailleurs très loin d’être une obligation, sauf si créer est notre activité professionnelle évidemment.
Créer se fait sans masque : quel que soit le support utilisé, écriture, collage, peinture, tout cela à la fois dans le Journal Poétique, on va chercher la personne que nous sommes vraiment, au fond de nous ; ce n’est pas le personnage que l’on a construit et que l’on propose aux autres chaque jour qui se manifeste. Et la surprise, c’est que lorsque nous créons authentiquement, nous apprenons aussi nous-même à connaître ce moi profond. Et cela peut être dérangeant.
Pour ce dernier élément, il n’y a pas de recette miracle sinon, encore une fois, l’acceptation et la persévérance.
Mais vous allez voir, c’est joyeux, et c’est ce que nous allons aborder dans les prochains épisodes : comment vivre une vie créative, et donc une vie heureuse !









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