Ecoutez-moi, mes amis. Je vais faire une chose dont tous les fils de notre peuple se souviendront de génération en génération. Vous vous tiendrez ce soir à la Porte et m’ouvrirez quand j’arriverai avec ma servante. J’irai avec elle au camp d’Holopherne. Et avant le délai que vous avez fixé pour lui livrer la ville, Yahvé visitera Israël par ma main. Ne cherchez pas à savoir ce que je ferai car je ne vous le dirai qu’à mon retour, si au moins il est écrit que je dois revenir.
Je n’ai pas de goût particulier pour le mythe de Judith : j’ai travaillé sur cette figure lorsque je menais mes recherches sur Salomé, parce que les deux femmes sont souvent représentées avec des motifs communs, et notamment tenant dans les mains un plateau contenant la tête d’un homme, et elles sont même parfois confondues, notamment chez Klimt. Elles représentent toutes deux la femme fatale, et en cela hantent l’imaginaire masculin d’angoisses de décapitation (on ne reviendra pas sur l’interprétation psychanalytique). Mais il y a quelque chose qui m’a toujours dérangée chez Judith : cet air de ne pas y toucher et de ne pas assumer pleinement la nature érotique de sa rencontre avec Holopherne, et ses motivations patriotiques et religieuses, qui en font une sorte de Jeanne d’Arc de l’Antiquité. Disons que j’ai toujours pensé qu’il manquait quelque chose.
Mais alors, pourquoi ai-je lu ce livre ? Tout simplement parce que je voulais continuer ma découverte de la collection « autobiographie d’un mythe » des ateliers Henry Dougier, et que très bizarrement, celui sur Vénus n’est pas apparu dans mes recherches. Rassurez-vous, depuis je l’ai trouvé, on en reparlera bientôt.
Judith, donc. Jeune et très belle veuve, elle a fait le serment de rester chaste et fidèle à son mari. Mais lorsque sa ville est assiégée par les armées assyriennes menées par le général Holopherne et que se rendre semble la seule solution, elle pénètre, la nuit, dans le camp des ennemis, séduit Holopherne et profite de son sommeil pour lui couper la tête, tête qu’elle emporte avec elle et qui, exposée sur les murailles de la ville, fera fuir l’armée adverse.
J’ai beaucoup aimé cette réécriture du mythe par la voix de Judith elle-même, et le parti-pris de l’auteur de mettre en évidence ce qui n’est pas dans le texte biblique — ou plutôt, y est mais dénié : lorsqu’elle regagne la ville, Judith affirme qu’Holopherne ne l’a pas déshonorée. Et pourtant, cette dénégation semble au contraire mettre en évidence la nature érotique du lien qui s’est tissé entre Judith et Holopherne. Eros et Thanatos. Sinon, le mythe n’a pas d’intérêt, et l’histoire n’aurait as eu une telle fortune artistique et notamment picturale. Ce qui est intéressant c’est le trouble, le non-dit, qui aurait d’ailleurs pu être davantage mis en valeur.
En fait, en me repenchant sur ce mythe et sur ce personnage, j’ai compris ce qui était en jeu et la raison pour laquelle j’avais été reconduite un peu malgré moi vers ce mythe. C’est parfaitement aligné avec le projet déesse : il y est question de puissance féminine. De puissance érotique qui terrasse la puissance guerrière, déguisé en mythe patriotique et religieux.
Bien évidemment, ce qui fait la qualité de cet ouvrage est aussi sa très riche iconographie, même si je regrette que Klimt, sans doute trop sulfureux, ait été écarté (je l’ai donc mis sur ma photo d’illustration), et l’exploration de la fortune du mythe dans la littérature, qui m’a permis de découvrir des textes que je ne connaissais pas (puisque, comme je l’ai dit, je me suis surtout intéressée à Salomé).
Moi, Judith… (lien affilié)
Alain LE NINEZE
Ateliers Henry Dougier, 2022









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