Pourquoi je continuerai à prendre mes notes à la main
On entend beaucoup parler du concept de « second cerveau », notamment pour désigner des outils comme Notion ou Obsidian. Moi-même, d’ailleurs, je considère mon Bullet Journal, et un peu Notion, comme un second cerveau, mais uniquement dans un sens opérationnel : il s’agit pour moi d’y noter les tâches à faire, les rendez-vous, les trucs à ne pas oublier, afin de m’enlever de la charge mentale (y penser), alléger mon vrai cerveau de ce qui n’est pas utile, et qu’il puisse se concentrer sur le reste.
En revanche, je suis plus que perplexe en ce qui concerne la prise de note à l’aide de tels outils, et même plus généralement sur la prise de notes numérique, que j’ai pratiquée au temps lointain de ma thèse, temps préhistorique où seuls les traitements de textes permettaient de le faire, mais je suis vite revenue à l’outil papier, et aujourd’hui encore, je reste et je resterai sur les carnets de notes. Même si je dois avouer que les vidéos où Eliott Meunier présente le magnifique graphe d’interconnexions entre ses notes sur Obsidian sont assez impressionnantes.
Des raisons matérielles et pratiques
Tout d’abord, malgré toutes les assurances offertes par les différents outils, ma grande angoisse serait qu’un jour toutes ces notes disparaissent à jamais dans les limbes informatiques. Evidemment, mes notes papier peuvent toujours disparaître aussi mais je ne sais pas pourquoi, cela m’angoisse moins.
En outre, je suis très lente pour taper sur un clavier (je n’ai aucune coordination donc je tape avec deux doigts. Oui) et cela me prendrait un temps fou. Si vraiment je sais qu’une note va avoir besoin d’être informatisée, je la prends avec mon Moleskine Smart kit. Evidemment, au quotidien, il m’arrive de prendre des notes sur mon téléphone (enfin plutôt des vocaux), mais ensuite je les transfère sur papier.
Mais ces objections matérielles ne sont pas les principales.
Des raisons cognitives
Si je prends des notes à la main, c’est tout simplement parce que ma volonté, c’est que mes notes restent dans mon cerveau biologique, et que mes notes papier sont simplement une sauvegarde. Or, si je les prends en numériques, je les retiens moins bien, et elles ne sont plus dans mon premier cerveau, ou beaucoup moins. Les études le montrent : écrire à la main, sur du papier, a des avantages cognitifs : on se souvient davantage de ce qu’on écrit à la main, sans doute parce que cela implique plusieurs sens (le toucher et le mouvement activent les mêmes zones du cerveau que celles impliquées dans l’apprentissage et la mémorisation), et que la compétence cognitivo-motrice de l’écriture manuscrite impose une plus grande attention qui favorise la mémorisation. L’information circule davantage et plus efficacement, car on utilise une plus grande partie de notre cerveau, et que les zones activées par l’écriture communiquent entre elles.
Par ailleurs, il me semble que les notes prises dans des fichiers que l’on referme ensuite active l’effet Zeigernik dont j’ai déjà parlé : le cerveau considère la tâche comme terminée, affaire classée, on oublie. Cette tendance me semble beaucoup moins prononcée si les notes sont prises à la main.
Evidemment, certains me répondront peut-être que justement, ce n’est pas grave d’oublier puisqu’on retrouvera toujours la note plus tard. Et moi, je considère que c’est grave : le danger est que le cerveau s’habitue à cette béquille, ne s’entraîne plus lui-même à retenir les informations, et que cela ne le conduise à la paresse. Et moi je ne veux pas que mes autoroutes neuronales s’abîment à force de ne pas servir.
Des raisons d’efficience et de créativité
Les notes numériques c’est bien gentil, mais j’ai fini par me rendre compte qu’elles ne m’étaient d’aucune aide, parce que je ne les consultais pas, faute parfois de savoir où elles étaient classées. J’ai une mémoire très visuelle : lorsque par exemple j’ai besoin de quelque chose qui est dans un livre, je vais directement dans la bibliothèque, je prends le livre, et il se trouve que je sais rapidement retrouver ce que je cherche parce que je me visualise en train de prendre la note, et je sais donc si c’était sur une page paire ou impaire, et à quel endroit dans la page. Idem avec les carnets : je vois dans quel carnet cela se trouve, et à quelle page à peu près.
Evidemment, des outils puissants comme Obsidian permettent de mettre des mots-clés aux notes (et ainsi de les interconnecter), mais mon fonctionnement fait que parfois, la raison pour laquelle je cherche la note n’a rien à voir avec ce dont elle parle effectivement, et donc ses mots-clés. C’est comme ça : mon cerveau passe son temps à faire se caramboler des concepts qui n’ont aucun lien objectif, carambolage dont le second cerveau ne sera pas capable.
Et lorsque je suis en manque d’inspiration, je feuillette mes carnets, mes notes, mes livres, et quelque chose finit par jaillir, parce que des liens se font, parce que feuilleter aussi (le geste) active de nouveaux circuits neuronaux, parce que la sérendipité fait que telle note prise il y a longtemps sans que je sache ce que j’allais en faire vient déployer quelque chose d’autre. Lire des notes sur ordinateurs, cela ne me semble pas très folichon…
Et puis, j’aime tellement cette joie qu’il y a dans les carnets, les stylos, les petits papillons colorés, les surligneurs. Je ne peux pas me passer du papier même si, oui, ça prend de la place. Les outils informatiques, aussi pratiques qu’ils soient, restent toujours un peu tristes (même si mon Notion est joli, ce n’est pas pareil). Les pros de l’organisation me diront que ce n’est pas grave non plus, ça, ce n’est pas l’enjeu. Mais moi, pour qui la beauté est une quête incessante, je trouve que ça l’est, grave !
Bref, je suis un dinosaure. En tout cas, les outils informatiques de prise de notes ne conviennent absolument ni à mes besoins, ni à mon fonctionnement : c’est très intéressant, et peut-être qu’ils conviennent à d’autres, mais il me semble que ce second cerveau numérique externalise ce que fait très bien notre cerveau embarqué, et je n’en ressens ni le besoin ni l’envie. Et que j’aimerais que l’on cesse de présenter ces outils comme une solution miracle qui va révolutionner la vie de tout le monde : cela n’existe pas, les outils qui conviennent à tout le monde.
Et vous, comment vous prenez vos notes ? Papier, numérique, hybride ?









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