Depuis quand avait-elle commencé à tenir un carnet des odeurs ? Elle ne s’en souvenait pas exactement. Ce qui était certain, en revanche, c’est que sur les pages qu’elle noircissait, comme le faisaient en ce temps-là toutes les petites filles, figuraient déjà des descriptions ou la liste des choses qu’elle avait senties au cours de la journée. Au début, elle consignait uniquement les odeurs inconnues ou étranges qu’elle avait remarquées, ou celles qui lui avaient plu. Parfois, elle notait les mots odorants trouvés dans les livres, ou des passages consacrés au odeurs.
J’avais été extrêmement séduite par Nagori de Ryoko Sekiguchi, et comme d’habitude lorsque je suis séduite par un ouvrage, j’ai eu envie de découvrir ce que l’autrice avait écrit d’autre. Et elle avait écrit ceci : L’Appel des odeurs. Et vue l’importance du sens de l’odorat pour moi, des parfums, je l’ai pris justement comme un appel, et je m’y suis plongée avec délices.
Il est très difficile de résumer ce livre, qui n’est pas vraiment un roman, pas un essai non plus, mais une sorte de voyage olfactif constitué d’une série d’instantanés, nous faisant pénétrer dans la vie de femmes pour qui les odeurs ont une importance essentielle. Nous sommes ainsi transportés dans l’odeur des livres et des bibliothèques, l’orangerie du jardin des tuileries, dans des rêves, à l’opéra, dans un appartement à Rome, dans plusieurs chambres à coucher…
Voilà un ouvrage qui m’a bouleversée et illuminée de par sa grande poésie ! Tout, ici, a une odeur. Au fil des pages sont convoquées les effluves que l’on sent facilement, celles de la nourriture (qui est très présente), des fleurs et des parfums, celles de l’être aimé et des livres, mais aussi celles plus subtiles des lieux, du froid, de la neige, des nuits d’hiver, celles du silence et de l’absence. Tout ici est synesthésie : les sens communiquent, les tableaux et la musique se parent d’un parfum imaginaire, et la perte de l’odorat, l’anosmie, souvent évoquée, est aussi perte du « sens du monde » (plutôt que « vision du monde », puisqu’il ne s’agit pas uniquement de la vue), est appauvrissement de tous les autres sens.
J’ai follement aimé tous ces personnages dont le rapport au monde est médiatisé par les odeurs, et qui ont une magnifique manière de mettre l’odorat au centre de leur expérience existentielle. Il y a celle qui tient un « carnet d’odeurs », un journal intime dans lequel elle note et décrit (ce qui n’est pas facile, décrire une odeur) les choses senties au cours de la journée. Il y a celle qui change de parfum tous les jours, pour se transformer et lutter contre la linéarité du temps. Celle qui met du parfum pour dormir, afin de vivre des histoires différentes. Celle qui attribue des parfums à des morceaux de musique. Celle qui a une bibliothèque olfactive et achète un parfum à chaque événement marquant. Celle qui voudrait faire son testament olfactif. Autant d’idées que j’ai notées pour enrichir encore mon propre voyage sensoriel.
Bref : un ouvrage qui m’a fait voyager loin, dans mes propres souvenirs olfactifs et mon rapport aux odeurs, et qui a suscité chez moi beaucoup d’émotions parce que, comme on le sait, l’odorat (et le goût) sont les deux sens les plus profondément liés aux expériences émotionnelles. Et notamment l’amour, bien sûr, présent tout au long de ces pages.
L’Appel des odeurs (lien affilié)
Ryoko SEKIGUCHI
P.O.L, 2024









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