Gilles André et Pauline Arnoult s’étaient tout juste parlé deux ou trois fois ; ils ne se connaissaient pour ainsi dire pas. Un excès d’élan dans leur maintien, une jubilation contenue mais sensible, une manière d’extravagance dans quelques gestes, la promptitude d’un regard qui se détourne, l’ampleur d’un mouvement, une atmosphère d’enivrement, quelque chose d’appesanti et de hanté, débordait d’eux pour le dire. Ils se tenaient ensemble à l’orée du plaisir. On pouvait les prendre pour des époux. Et ce pourquoi on les tenait aussitôt pour des amants qu’ils n’étaient pas non plus était aussi obscur à expliquer qu’évident à percevoir.
On peut légitimement se demander comment, avec un tel titre, ce roman a pu échapper aussi longtemps à ma gourmandise. Question légitime, mais à laquelle je n’ai aucune réponse, et à vrai dire je ne sais même plus comment j’en suis venue à me plonger enfin, avec délices, dans cette magnifique Conversation amoureuse, qui m’a bouleversée, chavirée, ravie.
Un couple se promène. Ils ne sont pas encore amants, mais cela ne saurait tarder, et rayonne autour d’eux l’aura du désir : ils en sont à la phase de la séduction, de la parade amoureuse. Lui, Gilles André, est un séducteur dans la force de l’âge, amoureux de la féminité et en plein divorce ; elle, Pauline Arnoult, est une jeune femme pourtant amoureuse de son mari, mais qui se laisse entraîner par le désir de l’autre et l’ivresse de plaire. Pendant ce temps, d’autres couples se rendent à une soirée, à laquelle nos deux futurs amants finiront par se rendre aussi.
Bouleversée, chavirée, ravie donc, les qualificatifs se bousculent pour caractériser l’effet que cette lecture a eu sur moi : subtil, finement analysé, somptueusement écrit, ce roman m’a donné envie de tout écrire tant il a fait vibrer ma corde amoureuse. C’est, je crois, ce que j’ai lu depuis longtemps de plus beau, de plus juste sur la sur cette pulsion de vie qui nous entraîne malgré nous, la circulation du désir, la séduction, la galanterie, et peut-être finalement l’amour qui naît et se déploie.
L’alternance des points de vue, entre le couple d’amants naissants et les autres couples, permet, par le biais de la polyphonie, de multiplier les discours sur l’amour, qui se heurtent et parfois se répondent dans leur déploiement : ce qu’il est pour les uns, ce qu’il est pour les autres, mais toujours il est partout car c’est finalement lui qui fait tourner le monde.
Il règne sur ce roman quelque chose de magique et de poétique, une grâce, aux accents parfois durassiens. Il ne séduira pas tout le monde : la réflexion sur l’amour et le désir s’articule autour de l’irréductibilité du masculin et du féminin, et de certains comportements qui peuvent apparaître comme stéréotypés, et je sais que cela risque de crisper certains et certaines (à noter que le roman a été publié en 2000, et je ne suis pas certaine d’ailleurs qu’Alice Ferney pourrait l’écrire de la même manière aujourd’hui sans s’attirer des foudres). C’est aussi une histoire d’infidélité : l’amour n’a rien de moral, et un certain fait concernant Pauline peut choquer. Mais moi, c’est comme cela que je vois le monde, et ce roman m’a enchantée.
La Conversation amoureuse (lien affilié)
Alice FERNEY
Actes Sud, 2000 (J’ai Lu, 2004)









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