Seins de la femme, vous qui fûtes jadis chantés, baignés d’essences et de lait, moulés en « coupes arrondies et ombiliquées », […] Vous que l’on égala à la pomme vermeille, à la pêche de velours, à l’astre, n’avez-vous connu tant de juste gloire que pour qu’un petit aréopage imbécile de tailleurs d’étoffes vous supprime, et qu’une sotte, riche d’un trésor dont elle n’est point digne, parle de vous faire « passer » comme une maladie !…
Le 1er janvier, Colette est entrée dans le domaine public (puisque cela fait 70 ans qu’elle est décédée), ce qui va permettre non seulement de nouvelles éditions de ces textes, mais aussi l’édition d’anthologies thématiques comme celle-ci, sur laquelle je me suis précipitée. Comme je l’ai raconté, mes recherches universitaires initiales portaient sur la mode, ou plus exactement sur « la parure féminine », et j’ai, un temps, envisagé d’inclure Colette dans mon corpus, avec notamment L’Ingénue libertine ; si je ne l’ai pas fait, c’est parce que je me suis rendu compte que mon sujet, c’était le regard masculin. Mais dès que j’ai vu l’annonce de cette parution, je n’ai pas pu m’empêcher d’avoir envie de m’y plonger, et de compléter ma « collection » d’anthologies de propos d’écrivains sur la mode.
Une anthologie, donc, dont la chronologie va de 1900 (Claudine à l’école) à 1951, et qui rassemble extraits de romans et de nouvelles, articles de presse et réflexions, dans lesquels Colette décrit, analyse, critique les vêtements mais aussi les coiffures, le maquillage et les cosmétiques (rappelons qu’à une époque de sa vie, elle a ouvert un institut de beauté).
Le goût de Colette pour la mode et pour l’élégance (des autres : elle-même n’était pas spécialement coquette) n’a rien d’étonnant chez une femme qui est curieuse de tout, et notamment de tout ce qui a trait à la beauté, et à la vie. Parce que la recherche de la beauté est une recherche d’idéal, et d’harmonie entre soi et le monde. L’élégance, ce n’est pas de suivre aveuglément la mode, c’est
porter un vêtement à son heure, dans son milieu et dans son climat.
C’est un goût d’esthète, et un goût d’écrivain : on sent chez elle le même plaisir de l’énumération des étoffes que dans celui d’énumérer les végétaux, avec un vocabulaire riche, précis, varié, des descriptions vivantes. Elle s’émerveille des tissus, des couleurs, des formes. De l’inventivité des femmes et des créateurs. Mais aussi de ce que le vêtement révèle de la vérité intérieure de chacun : le choix de la parure correspond à qui on est, qui on se sent être, et ce choix est constamment renouvelé car nous sommes des êtres changeants. Et comme chez Balzac, ou chez Proust, le vêtements dont elle habille ses personnages en dit plus sur eux que de longues descriptions.
Mais toute émerveillée qu’elle soit, Colette ne se montre pas moins à l’occasion critique, moqueuse, mordante. Elle s’amuse des incompréhensions masculines devant la mode. Elle-même se montre très fâchée des sourcils trop épilés, et surtout de la mode de la maigreur et de la volonté des femmes d’éliminer leurs seins. J’ai d’ailleurs trouvé cela assez curieux, vu le goût de Colette pour l’ambiguïté et le travestissement : Missy s’habillait avec des costumes masculins, et Colette aussi à l’occasion. Et finalement, j’ai trouvé que Colette avait un regard assez masculin sur le corps et la parure féminine, dont elle exalte l’artifice et le fourmillement créateur, mais aussi la joie du jeu de la séduction, tout en condamnant ce qui entrave le corps, parce que cela empêche la révélation de la grâce.
J’ai donc pris beaucoup de plaisir à ce voyage dans l’œuvre de Colette, et dans l’histoire de la mode. Mon seul regret est que les extraits ne soient ni présentés ni contextualisés. L’introduction, en revanche, est passionnante et très bien documentée. Cette anthologie sera une ressource précieuse pour le projet Adèle !
Ecrits sur la mode. L’Art de surprendre (lien affilié)
COLETTE
Bartillat, 2025









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