L’Intelligence érotique, d’Esther Perel

Je préfère me pencher sur des questions qui n’ont pas de réponses évidentes. Ce livre parle ainsi de l’érotique et de la poétique du sexe, de la nature du désir érotique, et des problèmes qui lui sont inhérents.

Dans mes recherches récentes, je suis souvent tombées sur des références à Esther Perel et à cet essai, et j’ai fini par avoir envie de le lire, car elle semblait y dire des choses très intéressantes et intelligentes. Pourtant, l’étiolement de la libido dans le couple n’est pas un sujet qui me concerne, a priori, mais j’avais l’intuition qu’il y avait beaucoup plus dans cet essai qu’une tentative de résoudre ce problème. Et il s’avère que (comme d’habitude), j’avais raison.

Tout part de ce constat qui résonne comme une fatalité : l’érosion du désir, marquée par la baisse de fréquence des rapports sexuels, dans le couple. Plus on est ensemble depuis longtemps, moins on fait l’amour. Mais pour Esther Perel, ce qui est en jeu, ce n’est pas cette question statistique de la quantité. Ce qui l’intéresse, c’est la qualité, et ce qui relève de la perte du désir et de l’érotisme, dont elle trouve l’origine dans la manière dont nous concevons le couple : nous voulons le voir comme un espace de sécurité, nous demandons à l’autre de nous protéger et de nous rassurer, nous refusons l’incertitude et exigeons la stabilité. Or, non seulement cette stabilité et de toute façon un leurre, mais elle sape la vitalité érotique : par essence, il faut qu’il y ait du mystère, de la distance, de l’incertitude (y compris l’incertitude de l’infidélité) pour qu’il y ait élan et désir. Et certains (certaines) l’ont bien compris, qui refusent l’engagement par peur de perdre cette intensité, quand d’autres s’y résignent.

Mais pour Esther Perel, ce n’est pas une fatalité : on peut penser un engagement qui n’émousserait pas le désir, et faire coexister l’amour et l’intimité, et le désir. Loin de s’exclure l’un l’autre, ils constituent simplement des langages différents, qui ne s’expriment pas au même moment, et l’intelligence érotique est justement de parvenir à rendre vivante cette distance nécessaire au désir sans pour autant nier l’amour. Amour et désir ne sont pas incompatibles : c’est comme expirer et expirer, on ne choisit pas entre les deux, c’est simplement qu’ils n’existent pas au même moment.

Bien sûr, d’autres obstacles viennent tarir le flot du désir, et Esther Perel les aborde à l’aide de passionnantes études de cas. Elle met notamment en évidence l‘ambivalence profonde de notre culture (et en particulier aux Etats-Unis) vis-à-vis de la sexualité et du plaisir, recherchés et en même temps sujets de honte, alors qu’une sexualité épanouie repose sur une attitude confiante et libérée vis-à-vis du plaisir, notamment au sein du couple dont on a parfois une image de sérieux et de pesanteur incompatible avec l’érotisme ; le même problème se pose d’ailleurs avec la maternité : si les enfants sont une menace pour le couple ce n’est pas seulement parce que la routine imposée (et les obstacles matériels) nuit à un eros qui a besoin d’imprévisible, mais c’est aussi à cause d’une certaine tendance à désexualiser les mères et à en faire des madones.

Quant aux fantasmes, clés de voute de l’imaginaire érotique, Esther Perel leur consacre plusieurs développements, pour montrer la manière dont ils se forgent (la fantasmogenèse) et leur caractère essentiel, comme contenu symbolique, et qu’ils ont toute leur place dans notre vie érotique, même si nous en avons parfois honte, car ils ne correspondent pas à l’image que nous voulons de nous-même, ou à nos convictions. Or le couple est, justement, cet espace sécurisé où ils peuvent s’exprimer.

Finalement, il faut donc réinviter l’érotisme dans le couple, sortir des convenance et recréer un espace de jeu, où la séduction a toute sa place car l’autre ne nous appartient pas et n’est jamais acquis. Et ce parce que l’érotisme est une dimension essentielle de l’amour, et que le monde en a bien besoin !

Comme vous vous en doutez, j’ai adoré cet essai stimulant, qui m’a beaucoup fait réfléchir à ma vision des choses, et surtout m’a donné beaucoup de grain à moudre pour l’Escale Amoureuse, dont la dernière édition, qui s’interroge sur les liens entre l’amour et l’érotisme, s’appuie partiellement sur cette lecture.

L’Intelligence érotique. Faire (re)vivre le désir dans son couple (lien affilié)
Esther PEREL
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Valérie Moran
Robert Laffont, 2007 (Pocket, 2013)

7 réponses à « L’Intelligence érotique, d’Esther Perel »

  1. Avatar de cora85

    Ce sujet m’évoque « Fanfan », d’A.Jardin…3Amour et désir ne sont pas incompatibles : c’est comme expirer et expirer, on ne choisit pas entre les deux, c’est simplement qu’ils n’existent pas au même moment. » : j’aime beaucoup cet extrait.

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    1. Avatar de Caroline Doudet

      Oui, je n’avais pas pensé à Fanfan… en même temps je l’ai lu quand j’avais 16 ans, ça commence à dater ^^

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      1. Avatar de cora85

        J’ai vu le film, qui m’a laissée mitigée…

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        1. Avatar de Caroline Doudet

          J’ai dû le voir après, mais je ne m’en souviens plus très bien !

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  2. Avatar de Une histoire érotique de la psychanalyse, de Sarah Chiche – Caroline Doudet

    […] entre l’amour et le désir sexuel (qui est aussi un des sujets traités par Esther Perel dans l’Intelligence érotique), la construction sexuelle et les fixations, la créativité […]

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  3. Avatar de La flamme double : amour et érotisme, d’Octavio Paz – Caroline Doudet

    […] l’Intelligence érotique, Esther Perel met en exergue cette citation, et en la lisant, non seulement j’ai été […]

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  4. Avatar de Le nouveau nom de l’amour, de Belinda Cannone – Caroline Doudet

    […] étrange que dans sa pourtant riche bibliographie l’autrice ne fasse aucune référence à Esther Perel, qui montre justement que cette fatalité n’en est pas […]

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