Il me faut écrire pour ne pas oublier, parce qu’oublier, c’est pire que mourir. Il me faut écrire pour ordonner mes pensées et classer mes émotions. Ecrire pour raconter ma version des faits, laisser une trace du chaos qui s’installe au cœur de ma patrie. Il me faut écrire comme d’autres hurlent dans mes nuits blanches, comme l’évêque sur le pont. Ecrire comme d’autres pleurent. Il me faut écrire pour ne pas me résigner. Ecrire et ne pas me taire. Je parviens maintenant à écrire un journal, mais surtout, à écrire de la poésie.
Un jour de juillet 2020, alors qu’elle est en vacances en Espagne, une nouvelle idée de roman s’impose à Nathalie Longevial, comme elles le font souvent lorsqu’elles ont décidé d’être écrites et ont trouvé la bonne personne pour le faire : un roman qui, à travers Doro et Crescencio, raconterait la tragédie de ces milliers d’Espagnols qui ont dû fuir leur pays à cause de la dictature franquiste. Elle ne sait alors pas grand chose de cette histoire, parce qu’elle ne s’y est jusqu’alors pas tellement intéressée, et aussi parce que personne dans la famille n’en parle. Mais la grande magie fait son office, les informations viennent à elle, les cahiers de pépé Crescencio, ses poèmes, des coïncidences troublantes. Et l’imagination de la romancière fait le reste.
En août 1936, Crescencio doit quitter précipitamment sa femme Doro et leur fille, pour fuir les représailles des nationalistes et s’engager dans la lutte pour la survie de la République. A partir de ce point, deux narrations alternent : d’un côté Crescencio, qui raconte à la première personne les années de lutte jusqu’à la Retirada et son installation en France. De l’autre Doro qui, en 1947, est toujours coincée en Espagne, dans une prison où elle est torturée et où elle ne survit que grâce à la solidarité et aux souvenirs. Et malgré les années de séparation, l’amour qui ne s’éteint pas. Quelques incursions dans le temps de l’écriture, et des questions que se pose la romancière.
J’ai été très très touchée par ce roman. D’abord en tant qu’autrice : j’ai particulièrement aimé les chapitres réflexifs, qui témoignent à la fois de la grande magie qui se produit lorsqu’un roman veut être écrit et qu’il s’impose tout en nous offrant les informations dont on a besoin pour le faire. Mais surtout, dès que Nathalie a parlé de ce roman dans sa newsletter, j’ai été bouleversée par le projet lui-même, et la synchronicité par rapport à mon propre projet secret : écrire sur les grands-parents de son mari, quelle sublime déclaration d’amour !
Quand à l’histoire elle-même, elle m’a profondément touchée. Comme beaucoup j’imagine, je ne connaissais de la guerre d’Espagne que les grandes lignes, et comme le hasard (enfin le hasard… on se comprend) a fait que je l’ai lu alors que j’étais moi-même en vacances sur la frontière espagnole, dans des lieux encore marqués par la fuite des réfugiés (même si je n’ai vu que le monument qui leur est dédié au Perthus : je n’ai finalement pas eu le temps de voir la tombe d’Antonio Machado à Collioure, ni de visiter le mémorial du camp d’Argelès-sur-mer (je suis passée devant et j’ai tout de même lu les panneaux) ou le musée mémorial de l’exil de La Jonquera), je me suis sentie encore plus immergée dans l’histoire.

Une histoire terrifiante, violente : celle de la barbarie franquiste, de l’humiliation et de la misère des femmes, de la peur. Et malgré tout, malgré les années de séparation, l’ignorance de ce qu’est devenu l’autre, la lumière de l’amour qui lie un couple envers et contre tout.
Un magnifique roman, que je vous recommande sans réserve.
Un Tango pour Doro (lien affilié)
Nathalie LONGEVIAL
Le soir venu, 2025









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