Comment peut-on passer d’un univers où votre sœur aînée vous comprend si bien qu’elle est presque votre jumelle, où vous êtes amoureux d’une reine aux yeux immenses à cet univers catastrophique – où Marianne est morte étranglée par son petit ami, et où la reine aux yeux immenses est devenue la fille balafrée ? Oui, comment ? Quand l’univers a-t-il bifurqué ? Si je ne parviens pas à mettre de l’ordre dans ce chaos, je vais devenir fou, pense-t-il. La vie n’aura plus aucun sens et je deviendrai fou, c’est aussi simple que ça.
L’autre jour, dans l’épisode du podcast la Nymphe et la Sorcière consacré au mythe de Meduse, il a été question de ce roman, dont j’avais manqué la sortie malgré mon attention au travail d’Isabelle Sorente. Quant à Meduse, je ne m’étais jamais plus que ça intéressée à son histoire, me contentant des grandes lignes : prêtresse d’Athéna, elle est violée par Poséidon. Afin de la punir, la déesse aux yeux pers l’afflige d’une chevelure de serpents, et d’un regard qui pétrifie tous ceux qui le croisent. Elle se réfugie dans une grotte avec ses sœurs Gorgones, mais Persée, à la recherche de la gloire, parvient à lui couper la tête. Depuis, je ne cesse de croiser cette histoire partout, mais commençons par ce roman absolument prodigieux.
Depuis la mort de sa sœur, l’univers de Liam a bifurqué, et s’est comme figé, et il est obsédé par la dernière pensée de Marianne : il existe en effet un mythe selon lequel la dernière pensée d’une personne détermine tout ce qui se passera ensuite. Aidé de la meilleure amie de Marianne, Beatrix, il découvre les propres obsessions de celle qui était presque sa jumelle. Et cette histoire, c’est celle qu’écrit la narratrice, isolée dans les hauteurs de Marseille avec une Muse un peu particulière.
En réalité, il est très difficile de résumer ce ce roman, qui est presque deux en un. D’un côté, il y a l’histoire de Marianne, qui meurt dès le début d’un accident tragique et non d’un meurtre comme pourrait le laisser croire la citation en exergue. Mais la construction narrative, faite d’allers-retours entre le présent et les différents moments du passé, nous permet de davantage faire connaissance avec elle : celle d’une jeune fille lumineuse, qui ne se trouve pas jolie, et est obsédée par les monstres. Pas n’importe quels monstres : les monstres femmes, qui sont ce que les femmes deviennent lorsqu’elles cachent au monde qui elles sont, mais aussi lorsqu’elles le dévoilent. Marianne est obsédée par la douleur originelle des femmes, le sang, la violence et le deuil, cette douleur qu’une femme ne peut montrer qu’à une autre femme parce que les hommes ne doivent rien savoir. A l’histoire de Marianne se mêlent l’histoire de sa mère, de son père et de son frère, l’histoire de Beatrix, de sa mère et de sa grand-mère. Il est question des hommes, mais surtout des femmes et de leurs blessures. Et c’est là-dessus que Marianne veut écrire : les lignées féminines :
Que faire de la douleur des femmes, que faire de la douleur des monstres ? Que faire de la douleur transmise de mère en fille ?
La transformer, par l’écriture. Mais Marianne n’en aura pas le temps. Et c’est là qu’intervient la deuxième ligne narrative, celle de l’écrivaine et de sa Muse, l’écrivaine qui écrit cette histoire, à moins qu’elle ne soit écrite par elle. Cette ligne est porteuse d’une très intéressante réflexion sur l’écriture et la transmission.
Ce n’est pas un roman qui raconte l’histoire de Meduse, mais pourtant Meduse est partout, en filigrane, dans le thème du monstre femme qui a engendré toutes les femmes par les gouttes de sans qu’elle a perdues, et les motifs du serpent et de la pétrification. Dans ce roman prodigieux, et que je n’ai pas lâché à partir du moment où je l’ai ouvert, chaque détail fait sens. Il est question, plus largement, de la mémoire des femmes, de cet inconscient collectif millénaire qui nous relie toutes : la douleur. Il est aussi question, avec Liam, de physique quantique et de multivers.
Nous reparlerons très vite de ces thèmes, car c’est visiblement ce que j’ai à explorer actuellement. Mais si vous n’avez pas lu ce roman, je vous le recommande vivement : de mon côté, il n’a pas fini de m’inspirer et de m’accompagner !
Medusa (lien affilié)
Isabelle SORENTE
JC Lattès, 2024









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