Méduse, de Jessie Burton

Méduse, de Jessie Burton

Il n’y a rien de plus difficile au monde que s’expliquer, raconter clairement sa propre histoire. Nous sommes tous des êtres si compliqués, que nous ayons des serpents ou pas à la place des cheveux. Qui nous sommes et pourquoi nous sommes ainsi – je ne pense pas qu’il y ait une seule âme de ce côté du mont Olympe qui sache définir facilement les courbes et les méandres que sa vie a suivis, pourquoi elle préfère un gâteau aux figues plutôt qu’un gâteau au miel, pourquoi elle est tombée amoureuse de cet homme plutôt que de son ami, pourquoi elle pleure la nuit, ou elle pleure devant la beauté, ou encore pourquoi elle pleure sans aucune raison. Et pourtant. C’est tout ce que nous pouvons faire.

L’autre jour, alors que j’étais en train de terminer la lecture de Medusa d’Isabelle Sorente, je suis tombée par hasard sur ce petit roman de Jessie Burton, au détour d’une table de librairie. J’ai trouvé la coïncidence amusante, et me suis dit qu’il y avait peut-être une piste à suivre et une thématique à creuser.

Méduse raconte. Depuis quatre ans, elle vit isolée sur une île aux rochers abrupts avec son chien, ses sœurs et son étrange chevelure sifflante, qu’elle a appris à accepter et qui fait désormais partie d’elle. L’arrivée sur l’île de Persée la métamorphose à nouveau, et elle découvre l’amour. Les deux adolescents ne peuvent pas se voir, Méduse se cache et ne révèle pas son nom, et ils ne peuvent parler que séparés par une arche de pierre. Et pourtant chacun livre à l’autre son histoire. Persée raconte sa mère, Méduse raconte le viol que lui a fait subir Poséidon et la colère d’Athéna. Mais Persée pourra-t-il accepter Méduse telle qu’elle est, et renoncer à sa mission, « tuer la Méduse », par amour ?

Le mythe de Méduse est ici le prétexte à une fable sur l’amour et la vulnérabilité. Le ton m’a tout d’abord déconcertée, avant que je ne me rende compte que le roman était publié en littérature jeunesse, que je n’étais donc pas vraiment la cible, et j’ai adapté ma lecture. De fait, il s’agit d’un très beau roman, qui parvient à traiter avec simplicité beaucoup de thèmes essentiels, et tout d’abord, comme l’histoire de Méduse nous y invite, celle de la douleur éternelle des femmes, la violence, la colère, l’absence de choix. Etre belle, c’est être une proie, et la victime est toujours coupable.

Mais, en réécrivant le mythe, Jessie Burton lui donne une autre dimension. Il se tisse entre Persée et Méduse un magnifique lien, fait de confiance et de vulnérabilité, un lien qu’on appelle l’amour, et dans lequel Méduse peut se montrer elle-même, dans son entièreté, et non réduite à sa beauté. C’est de son âme que Persée tombe amoureux, et les serpents sont ici symboliques : ils sont devenus une part d’elle-même, son ombre, et l’amour implique de prendre le risque de se montrer tel que l’on est, d’avoir confiance en l’autre. Méduse et ses serpents, c’est cette part de monstre que nous avons tous en nous.

Seulement, l’amour est aussi épreuve du feu, et en ce sens il s’agit bien d’un récit initiatique : tout le monde n’est pas prêt à nous accepter tel que nous sommes, avec nos ombre et notre lumière, et Persée ne l’est pas. Oui, on se doute bien que le mythe n’est pas devenu conte de fées, qu’ils ne se marièrent pas et n’eurent pas beaucoup d’enfants, même si Jessie Burton s’autorise à en changer la fin. Car malgré la trahison, Persée aura offert quelque chose à Méduse : trouver son être profond et s’aimer telle qu’elle est.

Un très joli roman, que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire même si, à cause du public cible, certains faits sont quelque peu édulcorés. Je trouve le parti-pris de Jessie Burton intéressant, et le résultat fait réfléchir.

Méduse (lien affilié)
Jessie BURTON
Traduit de l’anglais par Diane Ménard
Gallimard jeunesse, 2024 (Poche, 2025)

2 réponses à « Méduse, de Jessie Burton »

  1. Avatar de Miss Zen

    J’avais lu The Miniaturist avec bcp de plaisir, je me plongerais bien dans son nouveau livre

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    1. Avatar de Caroline Doudet

      Je n’ai pas encore lu le Miniaturiste mais je l’ai acheté l’autre jour pour les vacances !

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