Journal de l’amour, d’Anaïs Nin (1932-1939)

Je suis une exaltée qui ne comprend la vie que lyriquement, musicalement, avec des sentiments beaucoup plus forts que la raison. J’ai une telle soif de merveilleux, et seul le merveilleux a de la puissance sur moi. Le reste, quand je ne peux le transfigurer en merveilleux, je le laisse. La réalité ne m’en impose pas. Je ne crois qu’à l’ivresse, qu’à l’extase, et quand la vie ordinaire m’entrave, je m’en échappe par un moyen ou par un autre.

Le projet est de lire l’intégralité des volumes du journal non expurgé d’Anaïs Nin. Ce projet se heurte à plusieurs obstacles : le premier, c’est la difficulté à se procurer les livres, car les choix éditoriaux sont parfois bizarres, plusieurs éditions cohabitent, qui sont souvent épuisées. Le deuxième, c’est le texte lui-même, et je dois avouer que ce Journal de l’amour m’a donné du fil à retordre, plus encore que je n’imaginais (je savais que la première partie serait difficile) et j’ai donc mis plus d’un an à l’achever, après avoir déjà eu un peu de mal avec Henry et June – Les cahiers secrets (à cause des choix éditoriaux). Mais j’ai fini par en venir à bout, et j’ai réussi à dénicher les volumes suivants, parce que ces journaux sont d’une richesse incroyable, et m’en apprennent autant sur Anaïs Nin que sur moi-même.

Le Journal de l’amour est constitué de trois cahiers : Inceste, Le Feu, et Comme un Arc-en-Ciel. C’est le premier évidemment qui m’a donné du fil à retordre, car c’est là qu’elle évoque et vit sa liaison incestueuse avec son père, et l’épisode traumatique de l’avortement à six mois de grossesse. Dans cette période, Anaïs vit à Paris (avec un séjour à New-York) et navigue entre son mari Hugh, Henry Miller, et d’autres amants plus ou moins importants parmi lesquels les psychanalystes Allendy et Rank, et Gonzalo, qui sera une des grandes passions de sa vie, qui la détache d’ailleurs petit à petit de Miller.

Il est évidemment difficile de mettre de l’ordre dans la multiplicité des thématiques abordées dans ces volumes, sur lesquels j’ai pris des pages de notes, et qui m’ont aidée à mettre le doigt sur certains de mes fonctionnements, tant sur de nombreux points (mais pas tous heureusement) je me retrouve en elle. Ce qui est évident, c’est que même si elle continue l’écriture fictionnelle, elle prend de plus en plus conscience que la grande œuvre de sa vie, c’est ce journal, le seul lieu finalement où elle ne ment pas. Il lui permet de se construire un monde à elle : en bonne native des Poissons (il est souvent question d’astrologie), le monde réel dans sa banalité ne l’intéresse pas, et elle cherche constamment à le fuir. De ce fait, le contexte historique est comme inexistant, malgré le chaos du monde extérieur, elle se concentre sur son monde intérieur, son voyage de l’héroïne, même si elle mentionne ça et là la guerre d’Espagne et la Deuxième Guerre mondiale qui approche.

Anaïs est toujours dans les extrêmes : elle recherche l’intensité de la vie, et c’est pour cela d’ailleurs qu’elle difracte toujours l’amour. Elle a besoin de plusieurs hommes en même temps, qui chacun répondent à des besoins différents. Un seule ne peut la satisfaire, et un seul s’épuiserait d’ailleurs à essayer. Sa force de vie est tellement immense qu’elle lui donne presque un pouvoir magique : celui de rallumer la flamme dans les autres et de les faire croître. Au-delà de l’écriture, elle considère même que là est sa mission :

L’amour est l’axe de ma vie – sa respiration. L’art que je veux créer n’est qu’un sous-produit, une excroissance de l’amour, la chanson que je chante, la joie qui doit exploser, la surabondance – c’est tout.

Et pourtant, elle écrit, mais elle semble de plus en plus écrasée par Miller, même si elle a conscience de créer quelque chose de différent, qui lui permet de pallier les insuffisances de la vie. Mais, encore une fois, son journal a plus d’importance que le reste, et certains pensent même qu’il l’empêche de s’adonner à une autre écriture. Pourtant elle le revendique :

Je ne suis pas un écrivain, ni une artiste, je suis une diariste – ou documentaire. L’ai accepté. Le journal, mon œuvre principale.

Elle s’attelle donc à la relecture et à la publication du journal, parallèlement à ses autres œuvres. On notera d’ailleurs qu’elle achète une presse à imprimer, et qu’émerge le thème de l’autoédition.

Un tome très riche donc, sur lequel j’ai pris des pages et des pages de notes, toutes s’insérant dans l’une ou l’autre de mes réflexions actuelles. Elle m’a parfois agacée, et sa vie amoureuse m’épuise, mais ce que j’aime chez elle, c’est cet intense sentiment de son rôle dans le monde, qui serait celui de la Grande Prêtresse du Tarot, et son absence de tabou, ce qui est assez fort pour l’époque : son rapport au monde est païen, fait de joie et d’intensité, elle le revendique, ainsi que la sexualité comme voie de connaissance de soi. Et c’est éblouissant, malgré le premier cahier qui m’a mise très mal à l’aise !

Journal de l’amour (1932-1939) (lien affilié)
Anaïs NIN
Traduction de l’anglais par Béatrice Commengé
Stock, 1999 (LGF, 2003)

2 réponses à « Journal de l’amour, d’Anaïs Nin (1932-1939) »

  1. Avatar de lizagrece
    lizagrece

    Ce que je retiens d’Anais Nin c’est surtout que c’était un grand écrivain

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    1. Avatar de Caroline Doudet

      Ah oui, tout à fait !

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