Journaux de jeunesse d’Anaïs Nin (1927-1931) : devenir femme

Je ne vis plus seulement avec ma tête, mais avec tout mon corps, avec ce moi sensible et sensuel si longtemps ignoré, sensible jusqu’au bout des ongles, vibrant, chaleureux, incontrôlable. Des émotions, chaudes, violentes, me submergent. Enfin je m’embrase complètement et la vie m’est révélée de mille façons : en cet instant d’ivresse et d’enchantement dans le taxi après le Louvre, en cet instant où, allongée sur mon lit, j’ai senti une vague de sensualité fondre sur tout mon corps… Jusqu’à présent, je ne laissais passer que les froides radiations de mes pensées ; aujourd’hui, j’offre ma chair brûlante et mon sang bouillonnant. Je suis femme.

Le précédent volume des journaux de jeunesse m’avait laissée profondément perplexe, et j’avais mis une éternité à le lire. J’ai été beaucoup plus rapide avec celui-ci, le dernier, d’une part parce qu’il est plus court, mais aussi et surtout parce qu’il est passionnant. Enfin, la fleur éclôt.

C’est le journal de la métamorphose, pourrait-on dire : Anaïs Nin y reconquiert pleinement sa puissance féminine en parvenant à sortir de sa dualité et à allier la vie intérieure (toujours riche) et le corps, notamment grâce à la danse. Elle laisse s’exprimer sa coquetterie, sa sensualité, son envie de séduire et de flirter. Elle se laisse enfin habiter par le désir, écrit, danse, voyage, et découvre la psychanalyse, ce qui lui permet de comprendre (et d’exprimer) ce qui cloche avec son mariage.

Elle est prête à rencontrer Henry Miller, et à devenir Anaïs Nin.

Ce volume a été une révélation, et j’ai pris un plaisir infini à le lire : Anaïs découvre ici qui elle est, pleinement, et accepte sa sensibilité, sa sensualité, sa subjectivité aussi et cette idée que son journal sera sa plus grande œuvre. Elle se laisse traverser par la pulsion de vie, se conforme de moins en moins aux standards de la vie domestique, et trouve petit à petit, chemin faisant, sa forme littéraire, sa manière d’être au monde teintée de paganisme. Elle se cherche encore : c’est une sorte de journal de crise, notamment de couple mais aussi identitaire : femme multifacettes (« pour moi, tu es comme un harem » lui dit Hugo), elle a encore du mal à s’affirmer, mais elle est en route vers l’authenticité.

Elle cherche également à gagner de l’argent avec l’écriture, mais cela ne fonctionne pas car elle a du mal à placer ses textes, qui ne sont pas conformes aux attentes des éditeurs.

A bien des égards, la découverte de la danse lui fait beaucoup de bien en la sortant de sa tête pour la lier à son corps. Mais c’est surtout la psychanalyse et la découverte de Freud qui fait l’effet d’une bombe, et permet de comprendre tout le reste de ce premier tome et en particulier le volume précédent. J’avais noté ce curieux point aveugle qu’était la sexualité et ses relations intimes avec Hugo, et la pruderie d’Anaïs, dont elle-même s’agace d’ailleurs en relisant. La lumière freudienne, aveuglante, permet de tout expliquer.

Un tome magnifique et palpitant de vie, qui s’arrête juste avant la rencontre avec Miller, et autant vous dire que j’ai hâte de lire la suite !

Journaux de jeunesse (1914-1931)
Anaïs NIN
Traduit de l’anglais par Béatrice Commengé
Stock, 2010

Journaux de jeunesse d’Anaïs Nin : journal d’une jeune mariée (1923-1927) : l’épouse et l’écrivaine

Hier soir, je me suis endormie en me demandant ce que je faisais pour l’Amour, l’inévitable Amour, le plus grand don de Dieu. Des livres, des millers de livres me disent que l’Amour est Tout. Est-ce plus que la renommée, plus que le travail, plus que la philosophie et la science ? Certains livres répondent oui, d’autres occultent l’amour. Pour ma part, j’ai appris peu à peu, lentement, que j’avais besoin d’amour.

J’en ai mis du temps, avec ce troisième volume des journaux de jeunesse d’Anaïs Nin. Plusieurs raisons à cela, et la première est que la lecture n’en est pas facile, d’un point de vue pratique : le livre est gros, il pèse 1,3 kg, ce qui fait que je ne l’ai pas touché de l’été, ne pouvant l’emporter avec moi ; je ne l’ai repris que tardivement début décembre, sur une impulsion, et là encore je n’ai pas progressé très vite, gênée par son poids. Je tiens à l’avoir dans ma bibliothèque, avec toutes les œuvres de l’autrice, mais pour la lecture, le numérique aurait été plus simple.

Ce volume commence au lendemain du mariage d’Anaïs avec Hugh. Au fil des pages, elle découvre les joies du couple (même si elle ne dit pas un mot de sa nuit de noces, nous y reviendrons), mais aussi ses déceptions, d’autant que ce début de mariage est gâché par sa mère, de plus en plus toxique. Anaïs est, de plus, partagée entre la femme et l’écrivaine, et se fait beaucoup de nœuds au cerveau. Très vite, ils déménagent à Paris pour le travail de Hugh, et Anaïs déteste cette ville.

Ce volume ne restera pas mon préféré, ce qui explique aussi en partie le temps que j’ai mis à le terminer. Bien sûr, comme pour les autres volumes, j’ai été subjuguée par son talent, sa sensibilité, son sens du beau et de la poésie, son amour des livres (et elle donne bien des envies de lectures, malheureusement pas toujours réalisables), et je me suis beaucoup reconnue dans certaines pages.

Mais elle m’a aussi beaucoup agacée par sa pruderie : on parle tout de même d’Anaïs Nin, la grande prêtresse de l’érotisme, et j’imaginais donc que son mariage allait être, de ce côté-là, une révélation. Pas du tout : non seulement elle ne dit pas un mot de sa nuit de noces, comme je l’ai dit, ce qui m’a semblé très bizarre, mais encore toute la dimension charnelle du mariage est le point aveugle de ce volume, et semble la gêner et même la rebuter, on le sens dans sa manière de critiquer Paris et ses habitants pour leur sensualité. Anaïs est sensuelle, pourtant : elle aime le beau, le confortable, tous les plaisirs des sens mais pas encore ceux du sexe. Peut-être aussi que Hugh ne savait pas s’y prendre, je ne sais pas.

Toujours est-il que si ce volume est intéressant pour son évolution en tant qu’écrivaine, son éclosion en tant que femme tarde à venir, et je crains qu’il ne faille attendre sa rencontre avec Miller pour que la révélation se produise !

Journaux de jeunesse (1914-1931) / III. Journal d’une jeune mariée (1923-1927)
Anaïs NIN
Traduit de l’anglais par Béatrice Commengé
Stock, 2010

La pratique du journal

Je vois dans l’écriture d’un journal intime la communion d’une âme avec elle-même dans la sincérité et la liberté les plus absolues — où s’expriment la peine, la joie, les rêves et les critiques de la vie. En lui, doivent se libérer toutes nos facultés réprimées ou diminuées ; il doit être repos ou abandon, réitération positive des événements, lieu privilégié où déverser ses émotions, ses confessions, ses critiques, ses blâmes, réservoir de beauté, d’inspiration, de connaissances ; il permet aussi de suivre et de découvrir ses mêmes idées, de développer sa philosophie, il encourage à la perfection ; il est le rappel des moments les plus lucides et les plus exaltants de sa vie intellectuelle et aussi des instants les plus doux et les plus précieux de sa vie affective. (Anaïs Nin)

En fin d’année, j’ai terminé un nouveau tome de mon journal poétique, le vingtième au total et le cinquième dans sa version illustrée — un journal où je ne fais pas qu’écrire, mais dans lesquels je dessine et peins, où je colle fleurs, cartes postales, prospectus, images diverses et même photos.

Cela a été l’occasion pour moi de refeuilleter l’ensemble, de relire certains passages, et de me rendre compte à quel point ma pratique avait évolué et était devenue un des piliers de ma vie et de mon équilibre (relatif, mais équilibre tout de même).

La seule chose qui n’a pas changé, c’est la marque de mes carnets : Moleskine, pages blanches. Sinon, je suis passée du petit carnet A6 couverture souple au carnet A5 couverture rigide (que je ne transporte donc plus dans mon sac pour écrire aux terrasses des cafés, ou alors très rarement) et d’un carnet contenant exclusivement de l’écriture, au feutre noir, à un mix d’écriture (aujourd’hui à la plume) et de collages divers.

Je suis aussi passée, au fil du temps, d’une pratique erratique à une pratique strictement quotidienne. Et quand je dis strictement ce n’est pas une figure de style : j’écris dans mon journal absolument tous les jours, quel que soit mon état et le lieu où je suis. Parfois seulement quelques lignes, mais tous les jours.

C’est un véritable rituel. Avant, il se déroulait le matin, parfois en journée lorsque j’avais une problématique précise ou pour faire un tirage de Tarot puisque je fais tout dans ce journal y compris les tirages de Tarot, et le soir. Actuellement, j’ai transféré l’écriture matinale dans les pages du matin (qui ne sont pas du journaling) et je me contente d’écrire la date, les cartes du jour, et l’intention.

J’écris encore régulièrement dans la journée.

Mais le pilier central, celui qui tient tout l’édifice, c’est le journaling du soir, pour clore la journée et en faire le bilan. C’est tellement un impératif pour moi que je suis perturbée simplement si je décale l’heure pour une raison ou une autre. C’est mon moment d’introspection essentiel : comment je me sens, ce que j’ai fait dans ma journée (et souvent je colle des petits souvenirs et notamment des photos, d’autant que j’ai reçu une petite imprimante spéciale à Noël, je vous en reparle dans les favoris du mois), parfois je creuse mes pensées sur tel ou tel sujet, mes lectures et les questionnements qu’elles soulèvent. Et je termine par 3 gratitudes, même si j’avoue qu’en ce moment c’est un peu forcé certains jours.

C’est de l’hygiène, exactement comme prendre une douche ou se laver les dents, mais au niveau des émotions, et je sais que cette pratique m’a, pour ainsi dire, sauvé la vie, en ce sens qu’elle me permet déjà d’avoir une pratique quotidienne de l’écriture, ce qui est vital pour moi, mais aussi parce qu’elle m’a permis de démêler bien des pelotes, de mettre au jour peurs et blocages, blessures parfois. Ou jolies choses : il y a quelques années, c’est grâce à mon journal que j’ai pris conscience que j’étais amoureuse, parce que je parlais de lui tous les jours.

En fait, je crois que je serais prête à militer pour qu’on enseigne aux enfants, dès qu’ils savent écrire, la pratique du journal : si chacun était conscient de ce qui se passe en lui, était capable de démêler ses émotions, de repérer ses déclencheurs, je pense que le monde irait mieux !

Et vous, vous tenez un journal ?

La vie est-elle un genre littéraire ?

Je suis retombée récemment sur cette citation de Romain Gary, dans La Promesse de l’aube :

Je croyais fermement qu’on pouvait, en littérature comme dans la vie, plier le monde à son inspiration et le restituer à sa vocation véritable, qui est celle d’un ouvrage bien fait et bien pensé. Je croyais à la beauté et donc à la justice. Le talent de ma mère me poussait à vouloir lui offrir le chef-d’œuvre d’art et de vie auquel elle avait tant rêvé pour moi, auquel elle avait si passionnément cru et travaillé. Que ce juste accomplissement lui fût refusé me paraissait impossible, parce qu’il me semblait exclu que la vie pût manquer à ce point d’art. Sa naïveté et son imagination, cette croyance au merveilleux qui lui faisaient voir dans un enfant perdu dans une province de la Pologne orientale, un futur grand écrivain français et un ambassadeur de France, continuaient à vivre en moi avec toute la force des belles histoires bien racontées. Je prenais encore la vie pour un genre littéraire.

Cela m’a fait sourire, car j’ai aussi cette croyance, qui a trait à la pensée magique, que dans la vie comme en littérature, rien n’arrive par hasard, et que la vie elle aussi doit être soumise à ce principe dramaturgique (mais que l’on peut étendre à tous les genres narratifs) qu’on appelle « le fusil de Tchékhov » : si, dans le premier acte, il y a un fusil, alors ce fusil doit servir à un moment donné, sinon ce n’était pas la peine de le mettre là.

Je ne sais pas si je suis écrivain parce que j’ai cette croyance profonde, et que pour moi écrire revient finalement à donner à la vie cette cohérence, ou plutôt à la mettre en évidence, la souligner, ou bien s’il s’agit d’une déformation professionnelle. J’imagine que cela fonctionne dans les deux sens.

J’imagine surtout que c’est un travers fort répandu, et que c’est ça, aussi, Habiter poétiquement le monde : refuser que la vie n’est pas de sens, et vouloir lui en donner un, quitte parfois à tordre un peu le réel. Et je crois, de plus en plus, que ce n’est pas grave, au fond, de ne pas trop tenir compte du réel.

Toujours plongée dans les Journaux d’Anaïs Nin, je me rends compte que sa vie à elle a bien cette direction, entièrement orientée vers ce qui est son sujet, et qui est aussi le mien :

Je ne veux écrire sur rien d’autre. D’une certaine façon, je sens que c’est un sujet digne de mériter tout mon intérêt, mon adoration, mon entière dévotion. Je suis même fière d’être portée par lui, à tel point que tout le reste me paraît sans importance. C’est vrai, j’ai souvent écrit que le jour où je serais appelée à jouer un rôle dans la Vie, je devrais avant tout me montrer Femme. Et aujourd’hui j’écris, je travaille, mais avant tout je suis une femme et mon cœur et mon âme sont perdus dans les merveilles de l’amour, car c’est de l’amour que je parle, bien sûr.

C’est tout le sujet du Truc, également. Et je l’ai écrit au jour le jour, suivant un principe organisateur qui m’est apparu dès le début. Mais sans en connaître la fin. Puis j’ai continué, dans le Truc2, et je continue, même si la fin tarde à se manifester, et que si je l’arrête maintenant, ce texte ne respectera pas le principe du fusil.

Journal d’une fiancée, d’Anaïs Nin : la naissance de l’amour

Je ne veux écrire sur rien d’autre. D’une certaine façon, je sens que c’est un sujet digne de mériter tout mon intérêt, mon adoration, mon entière dévotion. Je suis même fière d’être portée par lui, à tel point que tout le reste me paraît sans importance. C’est vrai, j’ai souvent écrit que le jour où je serais appelée à jouer un rôle dans la Vie, je devrais avant tout me montrer Femme. Et aujourd’hui j’écris, je travaille, mais avant tout je suis une femme et mon cœur et mon âme sont perdus dans les merveilles de l’amour, car c’est de l’amour que je parle, bien sûr.

Deuxième volume du Journal d’Anaïs Nin, inclus dans les Journaux de jeunesse, le Journal d’une fiancée (titre prémonitoire, donné avant même de savoir ce qui allait se passer) et va de l’été 1920 à février 1923, la veille de son mariage avec Hugo Guiler.

C’est une étape importante dans sa vie, puisqu’elle rencontre son mari, découvre l’amour, continue à écrire, et travaille en posant pour des peintre. La jeune femme est en train d’éclore.

Un volume particulièrement intéressant donc dans le parcours d’Anaïs Nin, qui devient femme grâce au sentiment amoureux, qui a été finalement la grande préoccupation de toute sa vie. L’amour pour Hugo naît et grandit au fil des pages, comme toute amoureuse elle se retrouve sur des montagnes russes, et c’est d’autant plus intéressant qu’elle écrit dans le mouvement de son âme, sans connaître la fin que nous connaissons. Et dans ce volume, elle est, enfin, pleinement dans la vie alors qu’avant elle ne faisait que l’observer : elle écrit moins, mais c’est plus dense et intense.

Bien sûr, elle reste une jeune fille naïve de son époque, encore très prude et aux idées bien arrêtées sur la place des femmes, ce qui peut être agaçant (mais à remettre dans le contexte), et sa mère est de plus en plus possessive et toxique, ce qui donne quelques passages assez stupéfiants.

Un volume encore une fois d’une grande richesse, dont je ne me lasse pas de relever des citations sur l’amour, sur l’écriture, sur la pensée tant cela me nourrit. Vraiment il faut lire les journaux d’Anaïs Nin !

Journaux de jeunesse (1914-1931) / II. Journal d’une fiancée (1920-1923)
Anaïs NIN
Traduit de l’anglais par Béatrice Commengé
Stock, 2010

Journaux de jeunesse d’Anaïs Nin : journal d’enfance (1914-1920), l’éclosion d’une jeune femme

Les soirées j’écris dans ma chambrette, pour noyer dans les rythmes d’un poème mon éternelle prière pour de l’amour, de la sympathie, une audience pour mes pauvres poésies, des conseils que je mérite si peu mais dont j’ai tant besoin. J’ai tout trouvé dans les livres pour charmer ma solitude, mais ils n’enseignent pas à vivre, ils m’aident plutôt à élargir l’étendue de mon autre vie de fantaisies et de parfaite beauté.

Une de mes grandes entreprises actuelles, c’est la lecture des journaux d’Anaïs Nin, qui va sans doute m’occuper de nombreux mois. Et j’ai choisi de commencer non par le premier qui a été publié, mais le premier écrit et qui se trouve être le dernier a avoir été confié au public, le volume appelé « journaux de jeunesse« , qui couvre la période 1914-1931, et j’ai décidé d’en parler au fur et à mesure de ma lecture des différents tomes qui le constituent.

Commençons donc par ce qu’Anaïs Nin, qui donnait des titres à ses journaux, a appelé « journal d’enfance » (mais qui aurait pu s’appeler « journal d’enfance et d’adolescence »), et qui couvre la période allant de l’arrivée à New-York en 1914, moment auquel Anaïs Nin commence à écrire un journal, à 1920, lorsqu’elle change de langue et commence à écrire en anglais. Toute cette période est donc directement écrite en français.

Mon ambition étant de voir les transformations et le cheminement d’un être, ce premier journal est particulièrement important puisqu’on la voit passer de petite fille à jeune fille. Et c’est une enchantement d’assister à cette éclosion. J’avoue que les premières années sont parfois un peu pénibles à lire : cela reste un journal d’enfant, assez touchant et naïf mais souvent grandiloquent : elle a des bouffées de patriotisme et de religiosité qui ont de quoi laisser perplexe. Elle est également très sévère avec elle-même, et c’est surtout une enfant très malheureuse et triste dont le journal est le fidèle compagnon qui aide à vivre.

Et j’ai aimé la voir se métamorphoser, affirmer sa manière d’être : une enfant puis une jeune fille solitaire et rêveuse, qui s’échappe de la réalité grâce aux livres et à l’imaginaire (je l’ai déjà dit mais cette tendance à l’échappement c’est un des traits caractéristiques du signe des Poissons que nous avons en commun), très sensible à la beauté et à l’émerveillement, et qui rêve d’amour. Et très tôt, cette certitude sur son destin : écrire.

Et encore une fois, ce qui m’a frappée, c’est cette impression extrêmement troublante de me lire, à la fois l’enfant et la jeune fille que j’étais et la femme que je suis aujourd’hui, à travers ses pages. Il y a même des synchronicités, des événements similaires ou vécus similairement qui m’interpellent. Cela fait vraiment un effet très bizarre, et même si je progresse lentement j’ai hâte de lire la suite !

Journaux de jeunesse (1914-1931) / I. Journal d’enfance (1914-1920)
Anaïs NIN
Stock, 2010

Ce que je voulais vous dire, d’Anaïs Nin : la connaissance de soi

J’ai découvert que la volonté de créer, ou volonté créatrice, qui poursuit et hante l’artiste, pouvait s’appliquer à notre vie d’individu, à notre vie personnelle tout comme à une œuvre d’art : nous possédons tous une volonté, une capacité qui nous permettent de nous transformer. Il ne faut pas y voir un acte égocentrique, mais au contraire un acte qui finit par influencer et transformer toute la communauté. Ainsi, je pense que le monde changera lorsque notre conscience changera.

Je poursuis ma découverte approfondie des textes d’Anaïs Nin avec cet autre volume d’écrits théoriques et réflexifs.

Dans cet ouvrage sont rassemblés des retranscriptions de conférences et d’entretiens donnés au début des années 70, et qui permettent une vue d’ensemble de la manière dont Anaïs Nin pense le monde : la nécessité de la connaissance de soi, le refus du désespoir, l‘écriture et la créativité, le féminin et le féminisme, le partage, tels sont les thèmes essentiels pour elle qui sont abordés ici.

Je dois dire que cela faisait longtemps qu’un texte ne m’avait pas autant nourrie, émotionnellement et intellectuellement, que ce recueil ! Nourrie en tant que femme, qu’être humain et qu’écrivain. C’est une sorte de révélation existentielle, de dialogue d’âme à âme qui s’établit entre elle et moi : si je l’avais lue plus jeune j’aurais pu penser à une influence ; là j’ai l’impression de retrouver ma propre pensée sous sa plume. J’avais déjà noté cette proximité des thèmes, des obsessions, d’une manière de voir le monde en lisant ses nouvelles et ses romans mais c’est d’autant plus troublant ici. 

On trouve ici des pages essentielles sur le journal (lecture dans laquelle je viens de me lancer, et qui va sans doute m’occuper de nombreux mois, mais qui va là encore me stimuler) qui est finalement, beaucoup plus que ses romans et récits, l’œuvre de sa vie, qui lui a permis de parfaitement se connaître en tant que femme et qu’être humain, et de se mouvoir avec fluidité dans les zones d’ombres de l’inconscient (aidée aussi, sans doute, par le signe des Poissons que nous avons en commun). Elle appréhende la vie comme un voyage de l’héroïne, et tout ce qu’elle a appris sur elle-même, ainsi que son intense curiosité pour plein de sujets, lui permet aussi de s’ouvrir aux autres, de les comprendre et d’espérer un renouveau de la conscience humaine.

D’Anaïs Nin émanent au fil de ses pages beaucoup de douceur, de bienveillance et d’ouverture d’esprit. J’ai trouvé qu’elle était sévère avec Sylvia Plath, pas en tant qu’écrivain mais en tant que personne, et c’est un peu dommage. Certains de ses propos sur le féminisme radical pourront déplaire à certaines, et ont déplu d’ailleurs et c’est aussi pour ça que je l’admire : non seulement je suis d’accord avec sa pensée, ça c’est une évidence, mais en outre je trouve qu’elle ne manque pas d’un grand courage pour assumer ses idées et la personne qu’elle est.

Une lecture qui m’a stimulée et inspirée, comme on le voit grâce aux nombreux papillons collés dans mon exemplaire, et qui n’a pas fini de me nourrir !

Ce que je voulais vous dire
Anaïs NIN
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Béatrice Commengé
Stock, 1980 (Livre de Poche, 2021)