Le crible de Pauline Laigneau

Dans son podcast dont j’ai déjà parlé, Pauline Laigneau propose à ses invités un questionnaire en fin d’entretien, qu’elle appelle « le crible » et que je trouve très intéressant. Et j’ai eu envie d’y réfléchir moi aussi, comme elle l’a fait dans sa dernière newsletter.

As-tu vécu un grand échec, et que t’a-t-il appris ?
Qui n’en a pas vécu ? Certain jours, quand je suis d’humeur maussade, j’ai même l’impression que ma vie entière est un immense échec. Ce qui n’est pas vrai, et je le sais très bien, mais enfin, vous voyez, il y a des moments où on voit tout en noir. Nonobstant, même en restant objective, j’ai vécu des échecs. Et si je devais en choisir un, celui qui m’a beaucoup appris, je dirais que c’est celui de ne pas trouver d’éditeur pour mes romans. Je vous en ai déjà parlé l’an dernier, lorsque j’ai annoncé ma décision de devenir autrice indépendante. Ce que j’ai appris de cet échec (que je ne vois plus comme un échec d’ailleurs), c’est d’abord que je ne devais pas attendre de validation extérieure pour affirmer qui je suis : écrivain. Le corollaire, c’est que je ne dois pas me contorsionner pour entrer dans des cases trop petites pour moi : l’édition traditionnelle ne me convient pas pour tout un tas de raisons, et tant pis, ou tant mieux d’ailleurs. Je dois trouver mon propre chemin.

Si tu devais refaire quelque chose différemment que ferais tu ?
A cette question, beaucoup répondent « rien », parce que les erreurs font partie du chemin, c’est comme ça qu’on apprend, etc. Et je comprends tout à fait l’idée. Néanmoins, si je devais faire quelque chose différemment, jamais je ne passerais l’agrégation, parce que pour le moment j’ai l’impression qu’en faisant ça j’ai signé un pacte avec mon sang et que c’est une tannée sans nom pour revenir dessus. Il est évident que ce que je suis aujourd’hui, ce « métier » que je suis en train de créer et d’inventer malgré les tempêtes, je n’aurais pas pu le devenir à 20 ans, et qu’il me fallait du temps, de l’expérience. Mais je crois que j’aurais pu l’acquérir autrement, et de manière plus intéressante. Je crois.

Qu’est-ce que tu trouves beau ?
comme je le disais l’autre jour, mon mot, c’est « émerveillement ». Et je trouve tellement de choses belles qu’il est impossible de toutes les citer. Mais comme Pauline, je dirai que ce qu’il y a de plus beau, c’est tout de même l’Amour.

Une maxime ou une citation qui te plait ? 
En ce moment (et depuis assez longtemps, mais je suis retombée dessus récemment), je suis très inspirée par cette citation de Martha Graham, que je trouve très juste et très vraie :

Il y a une vitalité, une force vitale, une énergie, une accélération qui se traduit en action à travers toi ; et parce qu’il n’y a qu’un seul toi en tout temps, cette expression est unique. Si tu la bloques, elle n’existera plus jamais par aucun autre moyen et sera perdue. Le monde ne l’aura pas. Ce n’est pas à toi de déterminer à quel point elle est bonne, ni comment elle est comparable à d’autres expressions. C’est de ta responsabilité de garder le canal ouvert.

Quelque chose qui t’irrite ?
Les gens qui ne sont pas autonomes ! J’aurais tout un article à écrire sur le sujet… Tiens, je vais le faire mercredi, je manquais d’idées !

Un sujet sur lequel tu as changé d’avis ?
Beaucoup, ces dernières années. Tout ce qui est du domaine de la spiritualité, d’abord (et sur le sujet je suis en mouvement constant). Et sur la campagne : si vous me suivez depuis longtemps, vous vous souvenez peut-être qu’à une époque, la campagne me filait des crises d’angoisses, que je n’aimais que le bitume et Paris. Aujourd’hui je rêve d’une petite maison dans la prairie.

Une croyance que tu as et qui est controversée ?
Là encore, toutes mes croyances spirituelles, l’astrologie, le tarot, ce genre de choses. Surtout que pour moi, ce n’est absolument pas opposé à la science, sauf chez quelques illuminés. Croire en l’âme et en l’univers n’empêche nullement de consulter un médecin quand on est malade. Mais parfois, j’ai l’impression de me retrouver au milieu d’un champ de bataille entre deux armées, et c’est assez inconfortable…

Un livre qui t’a marqué particulièrement et qui a forgé la personne que tu es devenue ? 
Il m’est impossible d’en citer un seul, évidemment. Donc, trois :
Le Petit Prince comme je l’ai souvent dit
Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estes
Comme par magie d’Elizabeth Gilbert

Et voilà ! Je serais curieuse de lire vos réponses !

Ma vie en mots, de Flavia Mazelin Salvi : se tourner vers l’intérieur

Autrement dit, je sis moi parce que je suis différent de vous. Se vivre comme une personne unique, consciente de ce qui la différencie et la rapproche des autres, a des conséquences majeures en termes de qualité de vie, personnelle et relationnelle. Nous avons une histoire, des désirs, des peurs, des goûts, des talents qui nous sont propres. Ils font notre singularité et donc notre valeur en tant qu’individu unique. Nous ne sommes ni insignifiant, ni interchangeable.

J’ai déjà dit mon amour infini pour les Notes de chevet de Sei Shônagon, qui trône en bonne place dans mon bureau et qui m’inspire souvent des petits textes. Je ne suis pas la seule, bien sûr, et c’est l’objet de ce petit livre de Flavia Mazelin Salvi.

Il s’agit ici d’un cahier journal à remplir, dont les entrées sont inspirées de Sei Shônagon. L’idée n’est cependant pas d’écrire pour écrire : comme nous l’indique l’excellente introduction qui aborde les bienfaits de l’écriture de soi, toutes ces propositions d’écriture permettent d’aboutir à un autoportrait poétique.

Alors écrivons. Les choses. Qui nous font voir la vie en couleur. qui nous troublent. Qui nous agacent. Qui embellissent notre quotidien ou au contraire l’assombrissent. Les gens. Qui nous inspirent. Qui nous font du bien. Sur qui on peut compter. Que nous n’aimons plus. Les lieux. Qui nous font rêver. Qui nous ressourcent. Qui ont marqué notre enfance. Qui aspirent notre énergie.

Ecrivons, au fil des jours, en suivant l’ordre des pages, ou pas du tout : ce n’est pas grave. L’important c’est d’écrire. « Connais-toi toi-même » est-il inscrit sur le fronton du temple de Delphes, et c’est un des miracles que les listes poétiques peuvent accomplir. On s’en doute, même si je n’ai pas encore fini de le remplir, j’ai pris beaucoup de plaisir avec ce journal, je l’ai trouvé très inspirant. Certaines entrées sont plus faciles que d’autres, ce qui en dit d’ailleurs beaucoup, mais c’est vraiment une bonne surprise. Je dirais que c’est un joli cadeau à faire à quelqu’un qui aime ou non l’écriture !

Ma vie en mots
Flavia MAZELIN SALVI
Le courrier du livre (Guy Tredaniel), 2022

Ce que je voulais vous dire, d’Anaïs Nin : la connaissance de soi

J’ai découvert que la volonté de créer, ou volonté créatrice, qui poursuit et hante l’artiste, pouvait s’appliquer à notre vie d’individu, à notre vie personnelle tout comme à une œuvre d’art : nous possédons tous une volonté, une capacité qui nous permettent de nous transformer. Il ne faut pas y voir un acte égocentrique, mais au contraire un acte qui finit par influencer et transformer toute la communauté. Ainsi, je pense que le monde changera lorsque notre conscience changera.

Je poursuis ma découverte approfondie des textes d’Anaïs Nin avec cet autre volume d’écrits théoriques et réflexifs.

Dans cet ouvrage sont rassemblés des retranscriptions de conférences et d’entretiens donnés au début des années 70, et qui permettent une vue d’ensemble de la manière dont Anaïs Nin pense le monde : la nécessité de la connaissance de soi, le refus du désespoir, l‘écriture et la créativité, le féminin et le féminisme, le partage, tels sont les thèmes essentiels pour elle qui sont abordés ici.

Je dois dire que cela faisait longtemps qu’un texte ne m’avait pas autant nourrie, émotionnellement et intellectuellement, que ce recueil ! Nourrie en tant que femme, qu’être humain et qu’écrivain. C’est une sorte de révélation existentielle, de dialogue d’âme à âme qui s’établit entre elle et moi : si je l’avais lue plus jeune j’aurais pu penser à une influence ; là j’ai l’impression de retrouver ma propre pensée sous sa plume. J’avais déjà noté cette proximité des thèmes, des obsessions, d’une manière de voir le monde en lisant ses nouvelles et ses romans mais c’est d’autant plus troublant ici. 

On trouve ici des pages essentielles sur le journal (lecture dans laquelle je viens de me lancer, et qui va sans doute m’occuper de nombreux mois, mais qui va là encore me stimuler) qui est finalement, beaucoup plus que ses romans et récits, l’œuvre de sa vie, qui lui a permis de parfaitement se connaître en tant que femme et qu’être humain, et de se mouvoir avec fluidité dans les zones d’ombres de l’inconscient (aidée aussi, sans doute, par le signe des Poissons que nous avons en commun). Elle appréhende la vie comme un voyage de l’héroïne, et tout ce qu’elle a appris sur elle-même, ainsi que son intense curiosité pour plein de sujets, lui permet aussi de s’ouvrir aux autres, de les comprendre et d’espérer un renouveau de la conscience humaine.

D’Anaïs Nin émanent au fil de ses pages beaucoup de douceur, de bienveillance et d’ouverture d’esprit. J’ai trouvé qu’elle était sévère avec Sylvia Plath, pas en tant qu’écrivain mais en tant que personne, et c’est un peu dommage. Certains de ses propos sur le féminisme radical pourront déplaire à certaines, et ont déplu d’ailleurs et c’est aussi pour ça que je l’admire : non seulement je suis d’accord avec sa pensée, ça c’est une évidence, mais en outre je trouve qu’elle ne manque pas d’un grand courage pour assumer ses idées et la personne qu’elle est.

Une lecture qui m’a stimulée et inspirée, comme on le voit grâce aux nombreux papillons collés dans mon exemplaire, et qui n’a pas fini de me nourrir !

Ce que je voulais vous dire
Anaïs NIN
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Béatrice Commengé
Stock, 1980 (Livre de Poche, 2021)

Outils de connaissance de soi – première partie

Parmi les sujets essentiels abordés par Anaïs Nin dans ses essais et ses conférences (conférences dont je vous reparlerai la semaine prochaine), il y a celui de la connaissance de soi et du « développement personnel », dont elle déplore qu’il soit vu comme du repli sur soi et du narcissisme, et un refus d’agir dans le monde : selon elle (et je suis bien d’accord), ce n’est que lorsqu’on se connaît soi-même que l’on est capable de diriger son action dans le monde. Surtout, une connaissance intime de soi permet une connaissance intime de l’âme humaine. L’intime est essentiel, et après tout, Socrate ne dit pas autre chose lorsqu’il cite cette phrase inscrite comme devise au fronton du temple de Delphes : « Connais-toi toi-même ».

Cette connaissance de soi, c’est, bien sûr, la base du Voyage poétique, qui repose sur la pratique de l’écriture comme guide dans ce voyage vers soi que Jung appelait « processus d’individuation ».

Mais l’autre jour, j’ai eu envie de faire le tour des outils qui peuvent déclencher cette interrogation de soi. Certains sont déjà présents dans les livrets d’activités poétiques, d’autres non. L’idée est, selon moi, qu’il ne faut jamais prendre les résultats obtenus comme un « mode d’emploi », mais plutôt comme un point de départ, pour trouver les questions à se poser.

Au premier plan, bien sûr, se trouve l’astrologie. J’ai déjà beaucoup écrit sur le sujet, mais le fait est que depuis que j’ai appris à m’en servir, tout me semble beaucoup plus clair, notamment parce que je ne m’arrête plus à mon signe solaire, qui me représente bien néanmoins mais n’est pas la seule force en présence. Et j’en découvre tous les jours où presque : dernièrement, je me suis intéressée à ma maison 8, maison plutonienne de la sexualité et des transformations, des tabous aussi. Dans cette maison j’ai mon Soleil (qui est aussi mon maître d’ascendant), une conjonction Vénus/Mercure (en opposition justement à Pluton), et le petit astéroïde appelé Eros : si cela étonne quelqu’un que j’écrive sur les thématiques de la sexualité et de la transformation, pas moi. Bref, c’est un outil passionnant, et qui s’approfondit à mesure qu’on chemine avec lui. Pour une première approche, j’ai créé l’Invitation à un voyage astrologique.

Le deuxième outil que j’aime beaucoup, c’est le test des forces de caractère, qui nous indique là où nous avons des facilités, nos capacités préexistantes dans notre manière de penser, d’agir, de sentir, d’être au monde. J’en ai déjà parlé, et c’est un outil que j’utilise dans l’Invitation à un voyage introspectif. J’ai été très étonnée l’autre jour lorsque je l’ai refait : les forces n’étant pas des compétences, elles ne peuvent pas s’acquérir. Et pourtant, il se trouve que l’amour, qui était en queue de classement, est arrivé en sixième position. Ce que j’en ai déduit, c’est que parfois certaines forces sont bien là, mais on n’y a pas encore accès, pour plein de raisons. Et que le « travail sur soi » permet de les débloquer.

Troisième outil : celui des types de personnalité inspirés par Jung, dit MBTI. Il est très connu d’ailleurs (je ne mets pas de lien car j’ai du mal à savoir quels tests sont les plus fiables, cela dit je tombe toujours sur le même résultats : INFJ). Je trouve qu’il est assez intéressant parce qu’il allie plusieurs entrées, ce qui donne finalement une image assez nuancée, plus que la simple opposition introverti/extraverti (qui est néanmoins intéressante en soi : si j’avais pris conscience plus tôt que j’étais introvertie, j’aurais fait dès le départ un autre travail alimentaire). Après, je sais quel est mon type, c’est un fonctionnement assez naturel chez moi évidemment, mais je ne l’utilise pas au quotidien.

Mercredi, je vous parlerai de deux autres outils dont l’un sur lequel je viens de me pencher plus en détails !

Se réaliser avec le tarot, de Sophie Brarda : le tarot comme outil introspectif

De quelle manière incarnez-vous les archétypes qui se meuvent à l’intérieur de vous ? Etes-vous une âme poétique, contemplative et réceptive comme le Pendu ? Avez-vous une énergie puissante et intuitive de type yin selon le mode de l’Impératrice ? Ou active et constructive de type yang comme l’Empereur ? Exprimez-vous une juvénilité et un dynamisme à la manière d’un Bateleur ? Etes-vous plus proche d’un Hermite et de son goût pour la solitude et la méditation ?

Je poursuis mon apprentissage du Tarot, qui je le rappelle est pour moi plus un outil de connaissance de soi, d’introspection et de créativité qu’un outil de divination. Et j’ai eu envie de travailler avec cet essai de Sophie Brarda, qui est exactement conçu dans cette perspective : apprendre à mieux se connaître.

L’idée est qu’à chaque jour de naissance correspondrait une personnalité, un archétype, et un arcane majeur (du tarot de Marseille, mais ça ne change pas énormément de choses dans cette perspective sauf si on est né un 8 ou un 11), et l’ouvrage étudie donc les 22 cartes (Le Mât étant pris comme 22 : j’avoue que ça m’a un peu chiffonnée mais passons, il fallait en faire quelque chose et ce n’est pas grave dans cette perspective, là encore) dans ce sens : les tendances de cette personnalité, ses points forts, ses limites, ce qu’il doit améliorer, ses objectifs, mais aussi, à l’aide d’outils introspectifs, comment chacun peut faire travailler cet archétype en lui.

Je ne suis absolument pas convaincue par l’association assez simpliste jour de naissance/numéro de carte. Et je me demande si l’auteure l’est vraiment, ou si c’est juste un principe de composition, vu ce qu’elle écrit en conclusion. Disons que cela peut constituer un point de départ, mais tous les archétypes sont en nous, à des degrés divers, parfois il faudrait davantage les faire ressortir, parfois ils nous parlent moins que d’autres, on les éteint, mais ils sont tous présents et ils sont toujours en dialogue les uns avec les autres. Donc sur ce point précis, je reste perplexe. Par contre j’ai trouvé l’analyse des arcanes et de leurs énergies très fine, très intéressante, et elle m’a bien aidé à compléter (ce n’est jamais complet de toute façon) ce que j’avais déjà travaillé. Petit fait rigolo : le matin je tire un arcane majeur (et une carte de mon propre oracle), pour voir quelles sont les énergies du jour. Et plusieurs fois, j’ai tiré l’arcane qui était l’objet de mon étude du jour…

Bref : ce livre constitue un très bon point de départ pour commencer à apprivoiser le Tarot afin d’en faire un outil de connaissance de soi, qui nous aide à cheminer…

Se réaliser avec le Tarot
Sophie BRARDA
Leduc, 2021