Cinq méditations sur la beauté, de François Cheng : la beauté sauvera le monde

En ces temps de misères omniprésentes, de violences aveugles, de catastrophes naturelles ou écologiques, parler de la beauté pourra paraître incongru, inconvenant voir provocateur. Presque un scandale. Mais en raison de cela même, on voit qu’à l’opposé du mal, la beauté se situe bien à l’autre bout d’une réalité à laquelle nous avons à faire face. Je suis persuadé que nous avons pour tâche urgente, et permanente, de dévisager ces deux mystères qui constituent les extrémités de l’univers vivant : d’un côté, le mal ; de l’autre, la beauté.

Je n’avais jamais lu François Cheng. Par par négligence ou désintérêt. Au contraire : je me le réservais comme on garde un grand cru à la cave, pour une occasion spéciale. Et, l’autre jour, après avoir moi-même un texte sur la beauté dans mon Escale poétique d’avril, je me suis dit que ce moment était venu.

Comme le titre nous l’indique, nous avons ici cinq « méditations », qui sont presque de longs poèmes, sur la beauté : la beauté, le mal et l’unicité des êtres ; la beauté comme « cerise sur le gâteau » de la création ou au contraire comme valeur essentielle ; la beauté de l’humain ; la célébration philosophique de la beauté ; la création artistique…

Cinq méditations inspirantes et nourrissantes, à la fois simples et d’une grande profondeur, animées d’un vrai souffle, et qui m’ont appris beaucoup de choses notamment sur la pensée chinoise. Les propos de François Cheng ont beaucoup résonné en moi, m’ont posé beaucoup de questions et ont suscité nombre de réflexions, et je crois qu’ils n’ont pas encore fini de tracer leur chemin dans ma pensée. C’est absolument sublime !

Cinq méditations sur la beauté
François CHENG
Albin Michel, 2006 (Livre de poche)

Le Prophète et autres textes inédits, de Khalil Gibran : de la sagesse

Lorsque l’amour vous fait signe, suivez-le,
Bien que ses chemins soient escarpés et sinueux,
Et quand ses ailes vous étreignent, livrez-vous à lui,
Malgré l’épée cachée dans son plumage qui pourrait vous blesser.
Et dès qu’il vous adresse la parole, croyez en lui,
Même si sa voix fracasse vos rêves, comme le vent du nord saccage les jardins.

Cela fait une éternité que j’ai lu Le Prophète, tellement longtemps que je ne sais même pas ce que j’ai fait de mon exemplaire. Pourtant, cela fait partie de ces textes (c’est le cas aussi de La Voix de l’éternelle sagesse) dans lesquels il est bon de se plonger de temps en temps, car ils sont riches et inépuisables. Aussi, lorsque j’ai vu cette nouvelle édition, augmentée de textes inédits, je n’ai pas résisté.

Le Prophète est le texte le plus connu de Khalil Gibran, et conte l’histoire d’un visiteur qui a su toucher les habitants d’une île et qui, au moment de repartir, leur livre un enseignement sur tout ce qui fait la vie, de la naissance à la mort : l’amour, le mariage, la joie et la tristesse, la liberté, le temps, le plaisir… sous la forme de courts chapitres. Puissant et poétique, c’est un texte qui fait du bien à l’âme, la nourrit et la fait grandir.

Le reste est constitué de plusieurs poèmes, dont beaucoup de poèmes d’amour absolument magnifiques, de maximes et aphorismes, certaines étant absolument magnifiques et d’autres que je n’ai pas vraiment compris je l’avoue mais cela viendra peut-être, et d’ébauches de chapitres des Dieux de la terre, texte que je n’ai pas lu mais ces ébauches m’ont intriguée. Le tout illustré de tableaux de Gibran qui sont absolument magnifiques !

Un ensemble très inspirant, pas à lire d’une traite, il faut y aller lentement et laisser les mots faire leur chemin et infuser…

Le Prophète (et autres textes inédits)
Khalil GIBRAN
Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Dahdah
Pygmalion, 2021 (1923)

L’Amour de Platon à Comte-Sponville, de Catherine Merrien : penser le sentiment amoureux

Il n’y a pas d’amour (eros) heureux, ni de bonheur sans amour (philia, agapè). Cela indique à peu près le chemin : du désir comme manque au désir comme puissance, de l’amour qui prend à l’amour qui donne, de l’amour-passion à l’amour-action, de la frustration au plaisir, du deuil à la gratitude, de l’amour rêvé à l’amour vécu, de l’illusion (la cristallisation de Stendhal) à la vérité, de l’imaginaire au réel, de la passion dévorante des amoureux à la joie continuée des amants… Par quoi le couple, lorsqu’il est heureux, est le lieu d’une aventure spirituelle — parce qu’il est le creuset où la joie et la vérité se rencontrent, y compris physiquement (faire l’amour, lorsqu’on aime, c’est aussi une façon, non la moindre, de connaître l’autre, et de le reconnaître comme autre : de jouir de sa vérité, de sa réalité, de son altérité). Il ne s’agit que d’apprendre à aimer, pour autant que nous en sommes capables, à aimer vraiment. (Préface d’André Comte-Sponville)

Comme l’amour est mon sujet (d’écriture) (c’est aussi ma mission de vie et je trouve ça très beau, comme mission de vie) je ne me lasse pas des livres qui en parlent aussi, et il y a quelque temps j’étais tombée par hasard sur ce petit reader philosophique dont rien que la couverture m’a fait craquer. Et qui s’est révélé parfaitement passionnant !

L’idée est que la philosophie est ce qui nous apprend à penser, et que pour penser par soi-même il faut s’appuyer sur la pensée des autres afin de forger sa propre philosophie de l’amour. L’objectif de cet ouvrage est donc de passer en revue la pensée sur l’amour de onze grands philosophes, classés par ordre chronologique : Platon, Lucrèce et l’épicurisme, Saint Augustin, Montaigne, Descartes, Rousseau, Kant, Schopenhauer, Nietzsche et Comte-Sponville, qui rédige une magnifique préface !

Un ouvrage particulièrement stimulant intellectuellement, car il permet de faire le tour (ou à peu près) des points de vue sur le sujet et de construire sa propre pensée du sentiment amoureux : depuis le temps que j’écris sur le sujet (je suis née avec ce sujet, en fait mais c’est normal dans mon cas), j’en apprends encore, je la précise, même si elle est tout de même déjà pas mal assise. Alors évidemment ici elle se construit surtout en opposition avec cette bande de bonhommes mal embouchés (oui, ça manque évidemment de femmes) et je me suis souvent disputée avec eux, surtout lorsqu’ils croient parler d’amour et qu’il parlent en fait de tout à fait autre chose car la grâce de l’amour ne les a visiblement jamais touchés : ils ont un problème avec la sexualité (en gros, l’histoire de la philosophie de l’amour c’est opposer l’amour physique et l’amour spirituel), avec les femmes, et ils sont tout de même abominablement pessimistes.

Je caricature ? Un peu. Mais pas tant que ça : si je me suis trouvé de curieuses (et inattendues) affinités avec Descartes, les autres philosophes « classiques » m’ont donné des envies de violence. Leur système de pensée est souvent intéressant, et d’ailleurs le livre dépasse parfois son sujet et permet de refaire un point sur les courants philosophiques dans lesquels l’amour est un sujet parmi d’autres. Et c’est bien le problème, d’ailleurs : il doit être le principe de tout, sinon ça boîte. Mais surtout : comment ces esprits brillants (quand même) ont-ils pu ne pas voir que tant que l’un des deux sexes serait déconsidéré et écrasé (comme ils le font) non seulement il ne pourrait pas y avoir d’amour libre, généreux et heureux, mais (et ça en est la conséquence) le monde lui-même irait à sa perte et ne connaîtrait pas la sagesse (pistis sofia). En revanche, Comte-Sponville, qui incarne l’époque actuelle, propose une pensée lumineuse, une vraie éthique de l’amour comme but de toute une vie. Et je pense que je me repencherai sur son cas un jour ou l’autre.

Bref, un ouvrage passionnant, clair et pédagogique, qui permet de forger sa propre pensée ! Bien sûr certains choix peuvent paraître sujets à débat et il aurait pu faire mille pages, mais qu’est-ce qu’il est enrichissant !

L’Amour de Platon à Comte-Sponville
Catherine MERRIEN
Eyrolles, 2010

Enseignements sur l’amour, de Tich Nhat Hanh : la voie du coeur

Le bonheur n’est possible que si l’amour est authentique. Le véritable amour a le pouvoir de guérir et de transformer la situation et de donner un sens profond à notre vie. Il y a des gens qui comprennent la nature du véritable amour et savent comment le générer et le nourrir. Les enseignements sur l’amour que le Bouddha nous a offerts sont parfaitement clairs, d’une rigueur scientifique et tout à fait applicables de nos jours. Chacun de nous peut en tirer profit. 

Peu après avoir terminé Aimer en pleine conscienceje suis tombée sur cet autre texte de Tich Nhat Hanh, paru quelques années avant sur le même sujet. Comme le premier m’avait beaucoup donné à réfléchir, je me suis dit que j’allais poursuivre ces réflexions.

L’idée est toujours la même : que nous enseigne le bouddhisme sur l’amour ? Tich Nhat Hanh insiste à nouveau (et il a raison) sur les quatre éléments du véritable amour, les Brahmavihara : l’amour (la volonté d’offrir la joie et le bonheur), la compassion, la joie et l’équanimité qui grandissent chaque jour si on les pratique et qui peuvent mettre fin à la souffrance humaine. L’auteur aborde donc, en ce sens, la méditation de l’amour, l’amour de soi, la compréhension, comment nourrir le bonheur, , l’amour véritable, l’écoute profonde et la parole aimante, vivre ensemble en pleine conscience, l’amour maternel, comment prendre un nouveau départ, les cinq entraînements à la pleine conscience, la communauté et la pratique du toucher de la terre.

Si Aimer en pleine conscience s’adressait à un public large, celui-ci est plus complexe et approfondi même si les points abordés se rejoignent en tout cas dans la majeure partie de l’essai : l’importance de la méditation de l’amour et comment la pratiquer vraiment, la manière de cultiver les graines de joie et de bonheur, comment arroser et prendre soin de la fleur qu’est notre partenaire (il y a beaucoup de métaphores florales, et c’est très poétique), l’importance de l’écoute. Ici, l’amour est vraiment une action, voire une activité à temps plein (profession : amoureuse), en tout cas une pratique de chaque jour. Tout cela m’a à nouveau beaucoup inspirée.

Malheureusement, j’ai été beaucoup moins inspirée par la fin, dans laquelle l’auteur sort du cadre qui m’intéresse, l’amour amoureux, et revient à l’enseignement strict du bouddhisme, et donc l’amour universel : pour ma part j’ai déjà suffisamment à faire avec aimer ceux que j’aime, et puis, de toute façon, le bouddhisme n’est pas mon chemin. Cela dit, l’ensemble reste très intéressant à méditer !

Enseignements sur l’amour
Thich NHAT HANH
Traduit de l’anglais par Marianne Coulin
Albin Miche, 1999 (poche 2004)

Aimer en pleine conscience, de Thich Nhat Hanh : l’amour en action

L’amour véritable est composé de quatre éléments : la bonté aimante, la compassion, la joie et l’équanimité (maitri, karuna, mudita et upeksha en sanskrit). Si votre amour contient ces éléments, il pourra guérir et transformer, et il aura en lui l’élément de la sainteté. L’amour véritable a le pouvoir de guérir et de transformer n’importe quelle situation, et de donner un sens profond à notre vie.

Quoi de mieux, en cette veille de Noël, que de parler d’amour ? Vous allez certainement me répondre que je n’ai pas tellement besoin d’une occasion spéciale, d’habitude, pour en parler tout le temps, et il est vrai que c’est, de toute façon, mon sujet d’écriture essentiel. Mais, aujourd’hui, c’est encore plus approprié que d’habitude.

Il s’agit donc ici d’apprendre, avec Thich Nhat Hanh, à aimer en pleine conscience : non pas seulement ressentir de l’amour pour quelqu’un, mais le mettre en action, volontairement et consciemment. Dans une première partie, l’auteur observe l’amour, ce qu’il est, à savoir bien plus, encore une fois, qu’un sentiment : c’est une philosophie de vie, une manière d’habiter le monde. Dans une deuxième partie, ils nous propose donc de le mettre en pratique, à l’aide de mantras, d’écoute compatissante ou encore de la méditation de l’Amour dont je vous ai déjà parlé.

Ce n’est pas un essai qui se lit d’une traite, au contraire : j’ai mis une éternité à le lire parce que j’en lisais un chapitre (ils sont très courts, une page au maximum) par jour, le matin, pour le laisser m’imprégner le reste de la journée, nourrir mes propres réflexions (nombre de ces phrases ont rejoint mon ouvrage en cours). Et c’est vraiment un ouvrage lumineux, vibrant et beau, totalement inspirant.

L’amour, donc, est un acte et pas seulement un sentiment qui nous inonde et nous submerge : il suppose le partage, le soin, la bienveillance, et surtout l’attention aux besoins de l’autre qui, comme une fleur, a besoin qu’on l’arrose chaque jour de notre amour, c’est-à-dire qu’on lui donne ce dont il a besoin, et non ce qui nous ferait plaisir à nous (aimer consiste donc à faire l’inverse de la célèbre phrase de Lacan : vouloir donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas) — puisque tout le monde n’a pas les mêmes besoins. Mais cela suppose aussi de s’aimer soi et de savoir prendre soin de soi, parce que si l’on est totalement vide, on ne peut rien donner à l’autre.

Cela fait plusieurs semaines que cet ouvrage me nourrit chaque jour, m’inspire et me fait avancer, et je vous le conseille sans réserves : c’est évidemment très spirituel, mais je crois qu’il y a surtout du bon sens à appliquer !

Aimer en pleine conscience
Thich NHAT HANH
Traduit de l’anglais par Stéphanie Chaut
Belfond, 2016 (Pocket, 2018)

Heart talk, ça vient du cœur de Cleo Wade : des mots d’amour pour une vie plus douce

L’amour ne peut s’épanouir en pilote automatique. Il exige un dévouement ravivé à chaque instant de chaque jour. Vouez-vous à l’amour. 

Je n’avais jamais entendu parler de Cleo Wade. Artiste, poète, auteure, elle est pourtant classée par Marie-Claire US comme l’une des 50 femmes américaines les plus influentes (même si je préfère le terme inspirantes) et est surnommée « The millennial Oprah ». J’imagine que je l’ai découverte au moment le plus opportun pour moi, en tombant tout à fait par hasard (ah ! ah !) sur ce livre assez inclassable. Depuis, elle m’inspire beaucoup.

Inclassable donc (par commodité je lui attribuerai l’étiquette « philosophie »), ce livre est un recueil de pensées, de réflexions, de poèmes, qui constituent un patchwork sur l’amour et, plus généralement, tout ce qui vient du cœur.

Un ouvrage que contrairement à mon habitude je n’ai pas dévoré goulûment (j’ai dû me faire violence) mais que j’ai au contraire savouré page par page, afin de laisser chaque pensée infuser tranquillement. L’amour ici, au sens large, est conçu non seulement comme un sentiment, mais comme un verbe d’action, et même un verbe de mouvement, car il nous fait aller quelque part. Même si parfois on ne sait pas où il nous mènera, il faut suivre notre cœur. L’écouter nous parler.

A la fin de ma lecture, j’avais un livre annoté de partout (et c’est bien le but d’ailleurs, et certaines pages sont pré-annotées et soulignées en exemple. Un très joli livre, très positif, très joyeux, qui fait du bien, réconforte et fait réfléchir. Inspirant, il est à garder à portée de main pour l’ouvrir au « hasard » (qui à tous les coups n’en sera pas un : le livre s’ouvrira exactement au bon endroit) et y puiser lorsqu’on se sent un peu triste.

Heart talk. Ça vient du coeur
Cleo WADE
Traduit de l’anglais par Mathieu Farcot
Marabout, 2019

Un hosanna sans fin, de Jean d’Ormesson : pourquoi quelque chose plutôt que rien ?

Vous voilà né. Pour mourir. En attendant, il faut bien vivre.
Vivre est une occupation de tous les instants. Une expérience du plus vif intérêt. Une aventure unique. Le plus réussi des romans. Souvent un emmerdement. Trop souvent une souffrance. Parfois, pourquoi pas ? une chance et une grâce. Toujours une surprise et un étonnement à qui il arrive de se changer en stupeur. 

J’avais envie de terminer l’année avec une lecture positive et lumineuse (terminer l’année au sens de dernière lecture chroniquée et non faite). Ce récit s’est imposé de lui-même.

Nous mourrons tous. Mais le plus grand mystère n’est-il pas plutôt celui de notre naissance, que nous n’avons pas voulue. Pourquoi et comment vivre, quand on se sait voué à la finitude ? A quoi bon, puisque tout est transitoire ?

Et d’ailleurs, pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

Evidemment, pas de réponse à cette grande question : on peut croire, mais personne ne sait ce qu’il en est, si notre présence sur terre a un sens, et ce qui nous attend après — rien ? Le Paradis ? La réincarnation ? Tout est exposé avec une simplicité extrême, l’histoire de l’Univers, le hasard, la nécessité. L’amour. D’Ormesson est un agnostique qui espère que « Dieu » existe, sous quelque forme que ce soit, sinon le monde serait trop laid et injuste, et si son existence est peu probable, après tout, comme le reste non plus, pourquoi pas ? Il n’impose rien, mais a le don de mettre le doigt sur des questions qui plongent le lecteur dans des abîmes de perplexité existentielle.

Au-delà de ce vertige métaphysique, il y a ce ton primesautier unique et inimitable qui va nous manquer : en lisant, j’entendais sa voix…

Alors oui, un ouvrage lumineux et résolument optimiste, qui fait un bien fou !

Un hosanna sans fin
Jean d’ORMESSON
Heloïse d’Ormesson, 2018