Un hosanna sans fin, de Jean d’Ormesson : pourquoi quelque chose plutôt que rien ?

Vous voilà né. Pour mourir. En attendant, il faut bien vivre.
Vivre est une occupation de tous les instants. Une expérience du plus vif intérêt. Une aventure unique. Le plus réussi des romans. Souvent un emmerdement. Trop souvent une souffrance. Parfois, pourquoi pas ? une chance et une grâce. Toujours une surprise et un étonnement à qui il arrive de se changer en stupeur. 

J’avais envie de terminer l’année avec une lecture positive et lumineuse (terminer l’année au sens de dernière lecture chroniquée et non faite). Ce récit s’est imposé de lui-même.

Nous mourrons tous. Mais le plus grand mystère n’est-il pas plutôt celui de notre naissance, que nous n’avons pas voulue. Pourquoi et comment vivre, quand on se sait voué à la finitude ? A quoi bon, puisque tout est transitoire ?

Et d’ailleurs, pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

Evidemment, pas de réponse à cette grande question : on peut croire, mais personne ne sait ce qu’il en est, si notre présence sur terre a un sens, et ce qui nous attend après — rien ? Le Paradis ? La réincarnation ? Tout est exposé avec une simplicité extrême, l’histoire de l’Univers, le hasard, la nécessité. L’amour. D’Ormesson est un agnostique qui espère que « Dieu » existe, sous quelque forme que ce soit, sinon le monde serait trop laid et injuste, et si son existence est peu probable, après tout, comme le reste non plus, pourquoi pas ? Il n’impose rien, mais a le don de mettre le doigt sur des questions qui plongent le lecteur dans des abîmes de perplexité existentielle.

Au-delà de ce vertige métaphysique, il y a ce ton primesautier unique et inimitable qui va nous manquer : en lisant, j’entendais sa voix…

Alors oui, un ouvrage lumineux et résolument optimiste, qui fait un bien fou !

Un hosanna sans fin
Jean d’ORMESSON
Heloïse d’Ormesson, 2018

Et moi, je vis toujours de Jean d’Ormesson

Et moi, je vis toujours de Jean d'OrmessonPlus intéressant que la politique et que cette économie qui m’a prise en otage et dont on nous rebat les oreilles, l’amour remonte à la plus haute Antiquité. Il naît avec la pensée, avec le mal, avec moi. Qu’ai-je donc fait depuis toujours ? Ah! bien sûr : Sumer, l’Egypte, la Grèce, la chute de l’Empire romain, la Chine, le monde arabe, mille ans de royauté, la Révolution française… Mais surtout : l’amour.
Les Egyptiens faisaient l’amour. Les Grecs faisaient l’amour. Les Romains faisaient l’amour. Lisez Catulle, Horace, Ovide. Je vous assure que vous faisiez l’amour en Mésopotamie et en Chine. En Inde. En Arabie. Chez les Turcs. Tout au long de la préhistoire, pendant des siècles et des siècles, et au Moyen Âge, encouragés par vos troubadours et vos Minnesänger. Dans les Amériques, en Russie, sous la neige et sous le soleil. A Bagdad, à Florence avec Boccace et son Décaméron, à Venise où l’amour tient une place considérable entre l’art, le commerce et la navigation. Et encore aujourd’hui, chez vous, et ailleurs. Partout, l’amour est à l’oeuvre pour permettre à mon règne de n’avoir pas de fin. 

La mort de Jean d’Ormesson m’a beaucoup touchée, j’aimais tellement l’entendre raconter des histoires. Alors bien sûr, il était évident que je lirais son dernier roman, au titre si prophétique finalement, comme une dernière pirouette ou un dernier clin d’oeil malicieux…

Que nous raconte-t-il ici ? Rien de moins que l’histoire de l’humanité, comme si elle était l’histoire d’un homme. La narratrice, c’est l’Histoire Universelle, qui tel le Juif errant traverse les époques et assiste à tous les événements importants, s’incarnant tantôt en homme, tantôt en femme, côtoyant les puissants et les plus humbles…

Un très beau roman, plein de poésie et de malice, empreint d’humanité, à la fois érudit et instructif et léger, qui a travers cette conscience du monde donne une cohérence à ce qui n’en a vraisemblablement pas : l’histoire de l’humanité, entre permanence et fragilité, oscillant entre le Mal et le Bien. Et, au centre de tout, essentielle, la littérature et les écrivains, comme voix de cette histoire universel. C’est presque mythique, finalement.

Si vous ne l’avez pas encore fait, lisez ce roman : c’est un plaisir de se laisser bercer, une dernière fois, par le talent de conteur de Jean d’O.

Et moi, je vis toujours
Jean d’ORMESSON
Gallimard, 2018

Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit, de Jean d’Ormesson

Quelque chose qui ressemble à un roman

Voici pourtant encore un livre, quelle audace ! Voici encore un roman — ou quelque chose, vous savez bien, qui ressemble à un roman : des histoires, quelques délires, pas de descriptions grâce à Dieu, un peu de théâtre, pourquoi pas ? et les souvenirs, épars et ramassés pêle-mêle, d‘une vie qui s’achève et d’un monde évanoui. Peut-être ce fatras parviendra-t-il, malgré tout, à jeter sur notre temps pris de doute comme un mince et dernier rayon ? Et même, qui sait ? à lui rendre enfin un peu de cette espérance qui lui fait tant défaut.

Il y a un poème d’Aragon, intitulé « Que la vie en vaut la peine », où il écrit  » C’est une chose étrange à la fin que le monde/ Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit ». De ces deux vers, Jean d’Ormesson a fait deux romans.

Le premier, C’est une chose étrange à la fin que le mondeparu à la rentrée littéraire 2010, m’avait totalement illuminée, et c’est donc avec beaucoup d’impatience que j’attendais ce Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit, suite et en même temps pas vraiment du précédent.

Comment résumer ce qui est à la fois un livre-testament placé sous l’égide du Ta Panta Rei d’Héraclite, un inventaire du passé, le roman du monde, un exercice de philosophie et une déclaration d’amour, quelque chose entre les Mémoires d’Outre-Tombe de Chateaubriand et les Essais de Montaigne ?

On ne peut pas.

Du chaos sort la lumière

Mais ce n’est pas grave, car l’essentiel n’est pas là : de ce qui pourrait être le chaos, celui d’une pensée sautillante, sort la lumière. Dès les premières pages, le lecteur est ferré et son visage s’anime d’un large sourire. Car tel est Jean d’Ormesson : il parvient, tout de suite, à installer une connivence avec son lecteur, à qui il s’adresse directement, parfois.

Ses secrets ? De l’humour, de l’érudition, un peu d’autodérision, tels sont les ingrédients de ce roman étourdissant où les chapitres virevoltent avec une énergie débordante, sur des sujets comme le temps, la science et l’histoire de l’Univers, Dieu, le hasard et la nécessité, et l’amour.

Dans une langue savoureuse, ciselée, travaillée, l’auteur nous invite à ralentir un instant dans ce monde où tout va vite et où la littérature est peut-être en train de mourir, et à réfléchir avec lui sur ce monde, l’éternité figée  qui s’oppose au temps qui passe.

C’est, en tout cas, un livre qui fait du bien. Parce qu’il invite à réfléchir, parce qu’il apprend des choses, et puis, surtout, parce qu’il nous parle beaucoup d’amour, avec ce personnage de Marie, la femme aimée du narrateur, qui se penche sur ses écrits pour le questionner ou le contredire, Marie sans qui il ne serait pas ce qu’il est, Marie qui veut passer l’éternité avec lui.

Et c’est ce qui rend ce petit livre, qui pourrait être pessimiste finalement, d’une grande gaieté, d’une grande légèreté, et en fait une invitation au bonheur.

Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit (lien affilié)
Jean d’ORMESSON de l’Académie française
Robert Laffont, 2013

C’est une chose étrange à la fin que le monde, de Jean d’Ormesson

Le roman de l’Univers

Il n’y a jamais eu qu’un roman : c’est le roman de l’univers. Et il n’y a qu’un seul romancier : c’est moi [Dieu]. Les autres, ceux qui écrivent des livres, qui obtiennent des distinctions et qui ramassent des lecteurs, qui deviennent célèbres et dont les noms flottent sur les lèvres des hommes, se contentent de combiner autrement, en se servant du langage que je leur ai donné, des fragments de ma création. On peut dire la même chose de ceux qui peignent et qui sculptent, qui font des films et du théâtre, de la musique, des opéras : ils se servent des yeux, des mains, des oreilles que je leur ai donnés pour rassembler des spectateurs, des auditeurs et des admirateurs prêts à les acclamer.

Je n’avais jusque-là jamais rien lu de Jean d’Ormesson, bien que le personnage attire plutôt ma sympathie, notamment par l’image qui en est donnée régulièrement dans la chronique de Fonelle dans le magazine ELLE. Personnage de fiction évidemment, mais tout de même. Et puis, pourquoi, en cette rentrée littéraire, ai-je eu envie de faire sa connaissance ? Je ne sais pas, mais toujours est-il que je me suis plongée avec délices dans ce roman, que j’ai littéralement dévoré.

C’est un roman ambitieux, puisqu’il ne vise rien moins que de raconter… l’histoire de l’humanité.

Il se compose de trois tableaux : dans le premier alternent « le fil du labyrinthe », à savoir l’Histoire, et « le rêve du Vieux », le Vieux en question n’étant autre que Dieu lui-même, narrateur omniscient s’il en est. On est entraîné dans un voyage à travers le temps, nourri de littérature, de philosophie et de science. Les deux autres tableaux sont plus personnels et méditatifs : « Pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien », et « La mort : un commencement ? » qui est de fait un hymne à la vie.

Hymne à la vie

Je n’irai pas plus loin dans le résumé, parce que de fait résumer ce roman (et l’auteur tient à cette appellation générique !) est proprement impossible. Ce que je peux dire en revanche, c’est que le texte fait preuve d’une érudition proprement hallucinante, que l’on apprend énormément de choses, mais que ce n’est jamais pesant. Le style est joyeux, léger, enlevé, teinté d’humour et parfois d’irrévérence.

Parfois, on est pris de vertige. Un vertige révélateur, car l’auteur emmène le lecteur à se poser des questions, à méditer des sujets auxquels il n’avait peut-être jamais vraiment pensé : l’immensité de l’univers, la physique quantique, l’amour, le temps et l’espace, la mort. Le monde, hasard ou nécessité ? Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? On ne sort pas de cette lecture comme on y est entré. L’auteur dit qu’on reconnaît les bons livres à ce qu’ils changent un peu leur lecteur, et que ce livre-là l’a un peu changé, lui. Mais j’ai envie de dire « moi aussi ». Parfaite réussite donc !

Alors pour finir, je voudrais juste remercier M. d’Ormesson (des fois qu’il passe par là) pour cet ouvrage d’une richesse et d’une profondeur incroyables, qui m’a tout simplement ravie, dans tous les sens du terme.

C’est une chose étrange à la fin que le monde (lien affilié)
Jean d’ORMESSON
Robert Laffont, 2010