Bien trop petit, de Manu Causse : un problème de taille

Tu vas découvrir, continua la voix diabolique, qu’il y a bien pire que de souffrir de son désir : c’est de ne plus en avoir du tout.

Au départ, je n’aurais jamais dû lire ce roman : c’est un texte écrit pour les adolescents, je ne suis donc pas du tout la cible, et du reste je n’en avais absolument pas entendu parler. Mais voilà, en juillet, il s’est retrouvé subitement mis en lumière, plusieurs mois après sa sortie, par un arrêté l’interdisant aux mineurs, sous prétexte de pornographie. Or, s’il y a un truc qui me fait sortir de mes gonds, c’est bien la censure, et en particulier la censure du contenu à caractère sexuel, qui s’apparente pour moi à de la pudibonderie et de la tartufferie et ne peut qu’engendrer des névroses responsables de tout ce qui ne va pas dans la société. Disons que pour moi, la sexualité est une activité saine et naturelle, qui fait partie de la vie, et je ne supporte pas qu’on corrompe la jeunesse avec cette phobie malsaine de la sexualité qui semble étreindre certains.

Donc, comme j’ai l’esprit de contradiction, j’ai eu envie de lire ce roman. Et là, premier choc : lorsque je l’ai reçu, il était enveloppé d’un blister noir, comme si j’avais acheté une revue pornographique. Vous me connaissez : des trucs lestes, j’en commande souvent et même, j’en écris, et jamais au grand jamais je n’avais reçu de publication ainsi emmaillotée, pas même Sade (que, pour la petite histoire, j’achetais tranquillement en librairie à l’âge de 15 ans, ainsi que toute la collection des lectures amoureuses de Jean-Jacques Pauvert, oserais-je dire que c’était le bon temps ?). Bref, j’étais encore plus agacée.

Après qu’un nouveau camarade se soit moqué de la taille de son sexe, Grégoire, qui est déjà introverti et souffre d’un autre problème génital, a envie de disparaître et pense que toute sa vie sexuelle est fichue, tuée dans l’œuf. Mais il aime écrire, et les petites histoires qu’il publie sur un site de fanfiction lui ouvrent de nouveaux horizons, en devenant plus oléolé (comme dit mignonnement ma maman).

J’hésite à envoyer une carte au ministre de l’Intérieur pour le remercier chaleureusement de m’avoir permis de découvrir ce petit roman extrêmement bien écrit, plein d’humour et d’esprit tout en restant à hauteur d’adolescents et de leur préoccupations : car oui, les adolescents pensent au sexe, beaucoup, en parlent, souvent, et le font, parfois, et cette question de la taille est, me suis-je laissé dire, une préoccupation assez constante pour les hommes et pas que les adolescents, et le roman aborde bien ce problème de l’injonction à la virilité, qui est l’autre face de la médaille du patriarcat.

On comprend d’ailleurs pourquoi ce roman en a crispé certains : il est question, ici, de vulnérabilité, de découverte et d’apprentissage de la sexualité, de désir et de plaisir qui ne sont ni une question de taille, ni de pouvoir, ni de domination. Il est aussi question, de manière assez habile, des fantasmes, ceux qui nous troublent, nous excitent et nous font honte en même temps, et cela aussi, il est essentiel de l’apprendre aux adolescents, tout comme le pouvoir érotique des mots puisqu’ici, toute la découverte passe par la lecture et l’écriture.

Alors oui, le contenu est sexuellement explicite, même s’il est mis a distance par le medium de l’écriture. Et c’est même du très bon érotisme, et je m’y connais : c’est subtil, sensuel et ça atteint plutôt bien son but. Et alors ? Ce n’est pas un livre pour les enfants. Les adolescents ne sont plus des enfants, ce sont des adultes en construction et la sexualité fait partie des sujets sur lesquels ils ont envie de découvrir, d’apprendre, de tester. Je ne parle pas de la dimension physiologique et mécanique, on n’est pas en cours de SVT ; je parle de désir, de trouble, de recherche de soi. Et ils le feront, quoi qu’en diront les tartuffes. Et moi, je trouve cela sain qu’ils le fassent grâce à un roman écrit pour eux, qui s’adresse à eux, plutôt qu’avec des sites pour adultes. Parce que ceux qui croient qu’il suffit de censurer un roman pour empêcher les ados d’avoir accès à la sexualité se mettent le doigt dans l’œil jusqu’au coude, ce qui est un fantasme masochiste respectable tant que tout le monde est consentant mais enfin, encore une fois, laissez les ados explorer leur sexualité tranquillement.

Bref, à poil, la censure (en référence à une sombre histoire du même style s’étant produite il y a quelques années et ayant abouti à la fabrication d’un chouette badge que j’ai ressorti).

Bien trop petit
Manu CAUSSE
Thierry Magnier, l’Ardeur, 2022