Van Gogh/Artaud, le suicidé de la société, au musée d’Orsay

Et il avait raison Van Gogh, on peut vivre pour l’infini, ne se satisfaire que d’infini, il y a assez d’infini sur la terre et dans les sphères pour rassasier mille grands génies, et si Van Gogh n’a pas pu combler son désir d’en irradier sa vie entière, c’est que la société lui a interdit.

Pour être honnête, n’étant pas une inconditionnelle de Van Gogh, je n’avais pas noté cette exposition en rouge (« A voir absolument ») sur mon agenda, mais en rose (« A voir éventuellement ») (oui, je suis une fille organisée). Et ce d’autant plus que l’émission La Grande expo consacrée à l’événement m’avait induite en erreur, proposant une biographie de Van Gogh, et du coup je pensais qu’il s’agissait d’une basique rétrospective.

Mais que nenni, et lorsque je m’en suis rendu compte, cette exposition a eu une promotion est est passée en rouge. Non d’ailleurs que je voue particulièrement un culte à Antonin Artaud, mais simplement je trouvais l’angle d’approche original : un artiste dans le regard d’un autre artiste.

Le point de départ et le fil rouge de l’exposition est l’ouvrage d’Artaud qui sert de titre à l’événement : Van Gogh, Le Suicidé de la société. Quelques jours avant l’ouverture de la rétrospective Vincent van Gogh organisée au musée de l’Orangerie à Paris, de janvier à mars 1947, le galeriste Pierre Loeb suggère à Artaud d’écrire un texte sur le peintre, pensant qu’un écrivain qui avait été interné pendant neuf ans dans un asile psychiatrique était le mieux placé pour comprendre l’œuvre d’un artiste considéré comme fou.

Artaud n’est pas spécialement enthousiaste, mais la publication dans la presse d’extraits du livre du Dr Beer, Du Démon de Van Gogh, sert de détonateur : Artaud, outré par l’analyse du psychiatre, commence sa rédaction sous le coup de la colère à la fin du mois de janvier 1947, contestant la thèse soutenue par Beer : il s’insurge contre le jugement porté par la société moderne sur la santé mentale de Van Gogh.

En voulant l’empêcher d’émettre « d’insupportables vérités », écrit-il, ceux que sa peinture dérangeait le poussèrent au suicide

Prenant le contre-pied de la thèse de l’aliénation, Artaud s’attache donc à démontrer comment la lucidité supérieure de Van Gogh gênait les consciences ordinaires, et il accuse alors la société, le frère du peintre et le docteur Gachet (chez qui Van Gogh a passé les derniers jours de son existence, à Auvers-sur-Oise, et le dernier à lui avoir parlé) d’être responsables de la mort prématurée de l’artiste.

Peut-être Artaud est-il un peu extrémiste dans ses positions, mais son regard sur l’œuvre de Van Gogh n’en est pas moins inspirant et éclairant. Dans cette exposition, tout se fait écho : les textes d’Artaud, peints sur les murs, et ses dessins (beaucoup d’autoportraits) répondent aux tableaux de Van Gogh que l’écrivain cite dans son livre, ainsi que dessins et lettres du peintre.

Cela reste avant tout une exposition Van Gogh, mais une belle exposition, avec quelque chose de plus qu’une simple rétrospective.

Van Gogh/Artaud, le Suicidé de la société
Commissariat : Isabelle Cahn
Musée d’Orsay
Jusqu’au 6 juillet