Art et thérapie, d’Alain de Botton et John Armstrong : une autre vision de l’art

Un outil est une extension du corps, rendu nécessaire par un manque dans la constitution physique de ce dernier et permettant de satisfaire un désir. Le couteau est une solution au besoin et à l’incapacité de couper ; la bouteille, au besoin et à l’incapacité de transporter l’eau. Pour découvrir l’utilité de l’art, il faut s’interroger sur les besoins spirituels et émotionnels dont la satisfaction pose problème. Quelles sont les fragilités psychologiques que l’art peut aider à compenser ? Nous en identifions sept, dont nous déduirons sept fonctions pour l’art. Il en existe d’autres, bien sûr, mais celles-ci semblent les plus convaincantes et les plus répandues.

Cela fait longtemps que je m’intéresse à l’art-thérapie, et c’est d’ailleurs une des dimensions de mon projet pour 2021. Mais en général, quand on considère l’art comme un outil thérapeutique, c’est le processus de création qu’on envisage (c’est d’ailleurs pour cela qu’Anne-Marie Jobin affirme toujours que le résultat ne compte pas, ce en quoi je ne suis pas d’accord et c’est pour cela que je n’utilise ni son appellation ni sa méthode, mais passons) ; ici, il s’agit de voir comment les œuvres existantes peuvent nous guérir.

Dans cet essai, l’art est donc envisagé non plus en lui-même mais comme outil thérapeutique, et on lui assigne donc une mission, une fonction : élever les âmes. Après avoir exposé leur méthodologie et notamment les sept fonctions de l’art (le souvenir, l’espoir, la douleur, la recherche de l’équilibre, la compréhension de soi, le développement de soi et la capacité à apprécier), les auteurs étudient ce que l’art peut faire pour nous dans les domaines de l’amour, de la nature, de l’argent et de la politique.

Il s’agit ici d’une très intéressante réflexion sur l’art et ses fonction, qui nous oblige à redéfinir (ou en tout cas réfléchir à) notre propre rapport à l’art et à la place que nous voulons lui accorder dans notre vie, en prenant le contrepied de ce qui est souvent admis, ce qui fait un bien fou. J’ai particulièrement aimé notamment (parce que ça fait partie de mon projet) l’idée que l’art aide à nous connaître nous-même, et nous aide à exprimer qui nous sommes par les œuvres dont nous nous entourons. Très richement illustré, l’ouvrage réinterprète, réanalyse nombre d’œuvres très diverses, et si c’est parfois un petit peu tiré par les cheveux je trouve, cela reste intéressant.

Bref, un essai passionnant, qui donne une nouvelle mission à l’art dans nos vies et qui sera sans doute lu avec profit par les amateurs. De mon côté, il m’a donné plein de nouvelles idées !

Art et thérapie
Alain de BOTTON et John ARMSTRONG
Traduit de l’anglais par Lucie Perineau
Phaidon, 2014

Térébenthine, de Carole Fives : croire encore en la peinture

Et toi, qu’as-tu envie de peindre ? Qu’as-tu envie de raconter ? Tu ne sais par où commencer, tu as dix-huit ans et les sujets se bousculent : le désir, le corps, la souffrance d’être née femme dans un monde bâti pour les hommes, où les femmes, que ce soit dans les arts plastiques ou le cinéma, la littérature ou la musique, se perçoivent encore et toujours comme des objets du désir, jamais des sujets. L’urgence de devenir sujet.

Je n’avais jamais lu Carole Fives, malgré les avis très positifs sur son œuvre que je croisais souvent. J’ai manqué d’occasions. Mais ce roman là m’a vivement interpelée par son sujet : l’art, et en particulier la peinture.

Lorsqu’elle entre aux Beaux-Arts à Lille au début des années 2000 pour apprendre la peinture, la narratrice, désignée par « tu » tout au long du roman, découvre que plus personne ne peint. La mode est aux installations et aux performances, plus aux toiles et aux pinceaux. L’art d’ailleurs est mort depuis Auschwitz. Mais avec Luc et Lucie, ils s’obstinent à peindre, même s’ils son méprisés par les autres élèves.

Un roman passionnant, qui interroge l’art, la création, les femmes, la peinture, et je ne peux de mon côté qu’être fascinée par le retour de certains de ces thèmes un peu partout autour de moi. De manière différente mais tout aussi pertinente que Poison Florilegium, Térébenthine se penche sur l’histoire de l’art et la place qu’y tiennent les femmes. Place à redéfinir et à défendre. Se pose aussi la question de se donner entièrement à son art, et de résister, de tenir bon. Et, par le biais d’une mise en abyme, le passage à l’écrit, du visuel aux mots.

Bref, un court roman que j’ai beaucoup aimé.

Térébenthine
Carole FIVES
Gallimard, 2020

Le Pont des arts, de Catherine Meurisse

Cet album est en quelque sorte la suite de Mes hommes de lettres  dont je vous parlais la semaine dernière.

Ici, c’est la question de l’art en général et de la relation des écrivains à la peinture en particulier qui est abordée : Diderot et l’invention de la critique avec les Salons, Delacroix qui étrille la peinture d’Ingres chez George Sand, Zola qui explique ses vues sur l’art à Cézanne (qui ne prend pas de notes, le coquin), l’inspiration proustienne, Balzac, Picasso et le Chef d’Œuvre inconnu… 

Et c’est toujours aussi réussi, un véritable régal d’érudition et d’humour. On rit à chaque page, et on apprend des choses car sont abordés de vrais problèmes d’histoire des arts, des problèmes théoriques, des controverses, la question de la critique.

Moins narratif et historique (il se concentre sur le XIXème), cet album est du coup plus réflexif et théorique, et rend les choses vivantes et accessibles, même s’il me semble que contrairement au premier, il nécessite quelques connaissances préalables pour être pleinement savouré.

Une vraie réussite donc, que je conseille sans modération aucune !

Le Pont des Arts (lien affilié)
Catherine MEURISSE
Sarbacane, 2012

Madame Grès, quand la couture et la sculpture se rencontrent

La première rétrospective sur Madame Grès

Je voulais visiter cette exposition depuis son ouverture en mars, et j’ai donc profité de mon escapade parisienne de jeudi pour la découvrir enfin.

Avec cette rétrospective, la première jamais consacrée à ce grand nom de la mode qu’est Madame Grès, le Musée de la Mode et du Costume inaugure sa programmation hors les murs, le palais Galliera étant actuellement en travaux. Et le lieu choisi ne l’a évidemment pas été au hasard, puisque le commissaire de l’exposition, Olivier Saillard, désormais directeur du musée Galliera (il travaillait auparavant à l’Union Centrale des Arts Décoratifs et était chargé de la programmation du musée de la Mode et du Textile) a porté son choix sur le Musée Bourdelle.

Antoine Bourdelle était un sculpteur, et le musée qui lui est consacré dans le quartier Montparnasse a pour cadre ses anciens ateliers. Autant dire que ses sculptures, monumentales ou de taille plus modeste, y sont chez elles, et tout le génie de la scénographie de l’exposition consacrée à Madame Grès tient dans le dialogue entre les œuvres du sculpteur et celles de la styliste, qui (il n’y a pas de hasard) aurait elle-même souhaité être sculpteur.

Dialogue des arts

Les robes, dont on ne peut qu’admirer la simplicité, le classicisme, ne déparent pas avec l’ensemble : les œuvres de Madame Grès sont de véritables statues elles aussi, mais statues de tissu, dont la plupart sont exposées sans vitrine, afin de les rendre plus proches du visiteur.

C’est tout un pan de l’histoire de la mode qui s’expose ici, encore que « mode » ne soit peut-être pas le terme le plus adapté : en effet, le talent d’Alix comme l’appelait Worth (du nom de sa première maison de couture) est dans l’intemporel. On pourrait encore porter la plupart de ses réalisations sans avoir l’impression d’être déguisée.

D’ailleurs, à musarder parmi les œuvres avec ma robe longue taille empire et mes spartiates, je n’avais vraiment pas l’impression de détonner au milieu des robes d’inspiration antique, dont la maîtrise du drapé laisse rêveur. A noter d’ailleurs que certaines ont servi pour la mise en scène de La Guerre de Troie n’aura pas lieu.

Mon seul regret finalement est de ne pas avoir voulu m’encombrer de mon reflex, d’autant que le catalogue de l’exposition, bien que magnifique, ne rend pas compte de l‘extraordinaire scénographie, les robes exposées étant photographiées individuellement dans un espace neutre. J’ai donc fait toutes mes prises avec mon i.phone, je suis donc un peu déçue par la qualité, car les photographies ne rendent pas justice aux jeux d’ombres et de lumières et aux perspectives.

De toute façon, rien ne remplace une visite, d’autant que l’exposition, qui connaît un véritable succès, est prolongée d’un mois.

Madame Grès, la couture à l’oeuvre
Du 25 mars au 28 août 2011 au Musée Bourdelle
16, rue Antoine Bourdelle, Paris 15e (Métro Montparnasse/Bienvenüe)
Commissariat: Olivier Saillard, Laurent Cotta, Sylvie Lécallier
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h sauf jours fériés
Plein tarif 7 euros