Léviathan, de Paul Auster

Sachs aimait ces ironies, les vastes folies et les contradictions de l’histoire, la façon dont les faits ne cessaient de se retourner sur eux-mêmes. A force de se gorger de tels faits, il arrivait à lire le monde comme une œuvre d’imagination, à transformer des événements connus en symboles littéraires, tropes quelque sombre et complexe dessein enfoui dans le réel. 

Oui, je sais, j’avais déjà lu mon Paul Auster annuel. Mais nonobstant le fait que je l’avais lu un peu tôt alors que d’habitude je l’emmène avec moi en voyage, il se trouve que j’avais été un peu frustrée par Le voyage d’Anna Blumenon pas par ses qualités, c’est un très grand roman, mais parce que ce que j’aime chez Paul Auster, c’est qu’il me parle d’écriture et d’écrivains, et qu’en l’occurrence ce n’était pas le cas.

Or cela faisait très longtemps que je voulais lire Léviathan, depuis que j’avais vu le travail coopératif de Sophie Calle et de Paul Auster suite à ce roman à Beaubourg, travail qui m’avait fascinée. Voilà comment Paul Auster s’est retrouvé à Lisbonne…

Peter Aaron est écrivain. Lorsqu’un jour, par hasard, il lit un entrefilet dans le journal racontant qu’on a retrouvé le corps non identifié d’un homme tué en manipulant des explosifs, il sait, malgré l’absence totale d’indices, qu’il s’agit de son ami Benjamin Sachs. Il décide alors, dans l’urgence, avant que la police ne progresse dans l’enquête, d’écrire un livre où il raconte ce qu’il sait de son ami…

Du très, très grand Paul Auster. Comme il le fait souvent et notamment dans Le livre des illusions, il s’amuse avec la référentialité, brouillant les pistes de l’identité.

Paul Aaron a en effet bien des points communs avec Paul Auster, et pas seulement ses initiales : toute sa ligne biographique est calquée sur celle de l’auteur, les dates, certains événements, sa femme Iris (anagramme de Siri). Pourtant, évidemment, ce qui nous est raconté ici est de la pure invention, mais par ce procédé devient vraisemblableet permet de réfléchir aux liens entre la vie et l’art, au monde réel comme s’il était un roman dans lequel chercher des signes.

Et de fait, cela fonctionne au-delà des espérances de l’auteur : foisonnant de personnages d’artistes, le roman met notamment en scène Maria, dont certaines des œuvres qu’il lui attribue sont inspirés de travaux de Sophie Calle qui elle-même, en retour, a réalisé des travaux de Maria qui avaient été imaginées par Auster.

Et finalement, tout est comme ça dans le roman : jeux de miroirs et d’illusions, mise en abyme, vertige identificatoire… Cela donne un formidable roman sur la création, mais aussi sur l’Amérique, dont il interroge les valeurs et les symboles, sur l’engagement politique et le terrorisme !

Du très grand Paul Auster donc (oui, j’aime insister), ce roman prend sa place aux côtés de ceux que j’ai préférés de l’auteur (je les ai tous aimés, mais il y en a qui me nourrissent plus que d’autres et celui-là en fait partie) !

Léviathan (lien affilié)
Paul AUSTER
Traduit de l’américain par Christine Le Boeuf
Actes Sud, 1993

Les filles au lion, de Jessie Burton

On ne connaît pas forcément le sort qu’on mérite. Les moments qui changent une vie — une conversation avec un inconnu à bord d’un bateau par exemple — doivent tout au hasard. Et pourtant, personne ne vous écrit une lettre, ou ne vous choisit comme ami, sans une bonne raison. C’est ça qu’elle m’a appris : vous devez être prêt à avoir de la chance. Vous devez avancer vos pions.

Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas englouti un roman de 500p en une journée. C’est pourtant ce qui est arrivé avec ce thriller historico-artistique que j’ai lu avidement entre ma chaise longue et mon lit.

Cela fait cinq ans qu’Odelle a quitté Trinidad pour Londres, espérant y trouver les choses importantes : la culture, l’histoire et l’art. Mais malgré son diplôme de littérature anglaise la couleur de sa peau fait que, dans l’Angleterre de la fin des années 60, elle ne trouve pas de travail à sa hauteur, et doit se contenter d’un poste de vendeuse dans un magasin de chaussures, où elle s’ennuie.

Jusqu’au jour où Marjorie Quick lui donne sa chance et l’engage comme secrétaire au Skelton Institute : pour Odelle, c’est le début d’une aventure au cours de laquelle elle se lancera sur la piste d’un mystérieux tableau, et se trouvera enfin comme écrivaine

Il y a beaucoup de choses dans ce riche roman qui mêle deux temporalités, celle du Londres des années 60 et celle de l’Espagne au début de la guerre civile.

Exil, colonialisme, racisme, mais surtout art et créationArs vincit omnia affirme la devise inscrite en lettres d’or au fronton du Skelton Institute, et de fait, l’art et la culture sont au cœur de cette histoire : si Odelle est écrivain, on nous parle surtout de peinture, puisque l’intrigue tourne autour d’un prodigieux et mystérieux tableau : la reconnaissance tue-t-elle la liberté ? Comment naît la valeur d’une œuvre — et d’un peintre ? Comment créer lorsqu’on est une femme ?

Finalement, la dimension d’enquête n’est pas ce qui est le plus important même si c’est évidemment intéressant et qu’on veut connaître le fin mot de l’histoire du tableau (j’avais néanmoins plus ou moins saisi très rapidement les tenants et les aboutissants alors que je suis assez peu perspicace en général), en revanche toutes les interrogations sur la pulsion créatrice, son lien avec le désir, et la création féminine, m’ont passionnée, non sans me rappeler d’ailleurs le prodigieux Un Monde Flamboyant de Siri Hustvedt ou Big Eyes de Tim Burton.

Bref un très beau roman, dont on tourne les pages sans pouvoir s’arrêter, riche et parfaitement maîtrisé : une lecture parfaite pour l’été, que je recommande chaudement !

Les filles au lion
Jessie BURTON
Traduit de l’anglais par Jean Esch
Gallimard, 2017

Debout sur mes paupières, de Jessica L. Nelson

Elisabeth était ravie d’être mère d’un garçon et non d’une fillette : Ulysse ne se poserait pas ces questions qui l’assaillaient. Le sexe de l’homme n’est pas, à rebours de son homologue féminin, l’enjeu de toutes les guerres depuis que l’humanité existe, quoiqu’il en soit l’énergie qui manie l’épée.

Jessica Nelson est la créatrice des sublimes éditions des Saints Pères. Elle est aussi romancière, et j’étais très curieuse de découvrir son travail.

Une femme est retrouvée à demi nue, profondément endormie sur un banc parisien. Il n’en faut pas plus à la presse pour la surnommer « la Belle au banc dormant ». Mais qui est-elle, et comment en est-elle arrivée là ?

Elisabeth M, ancienne danseuse, est devenue sculptrice après avoir vue une exposition de Man Ray ; obsédée par Lee Miller, elle prépare une exposition sur le corps féminin, et notamment les seins…

Un roman (« romanquête ») dont le parti-pris narratif à de quoi déconcerter de prime abord : la voix narrative, à la fois celle de l’auteure et de la narratrice qui ne sont qu’une seule et même personne, ne cesse d’intervenir dans l’histoire* et au roman sont intégrés les dialogues de l’auteure avec son éditrice.

Cela donne le tournis, mais on comprend vite l’intérêt d’un tel procédé : si le roman met deux figures d’artistes en miroir, Lee Miller et Elisabeth M, très vite il apparaît qu’à travers elles ce sont ses propres obsessions que creuse et interroge l’auteure/narratrice, et que l’éditrice, enceinte, fait elle aussi partie de ce jeu de reflets.

Opposant l’esprit et la matière, le roman explore le corps féminin et la création qui semble être incompatible avec la maternitéLes grandes créatrices sont des femmes qui souvent n’eurent pas d’enfants — ou qui bousillèrent leur progéniture, faute d’avoir le mode d’emploi permettant de se partager entre l’œuvre d’art et l’œuvre de la chair.

Vous vous doutez combien de telles interrogations ont pu me passionner, et me plonger dans des abîmes de perplexité existentielle. Un excellent roman donc, parfaitement maîtrisé, que je conseille sans réserves !

Debout sur mes paupières
Jessica L. NELSON
Belfond, 2017

* Ce qui est d’autant plus troublant pour moi que l’éditeur en question a motivé son refus (ce qui est très bien : peu le font et c’est pénible) de mon manuscrit par le doute que pouvait générer ce procédé dans l’esprit du lecteur…

La Valse des arbres et du ciel, de Jean-Michel Guenassia

Je tiens à être honnête avec ceux qui me liront, mais surtout avec moi-même. Ces souvenirs heureux sont tout ce qui me reste et je ne veux pas qu’ils soient gâchés. Un jour, ce journal sera découvert, et cette histoire sera révélée. Pour qu’elle reste secrète, comme elle l’a été jusqu’à ce jour, il aurait fallu que je brûle ce carnet, mais je ne peux m’y résoudre, car il constitue l’unique lien qui me relie à lui et, dans ces pages, je peux relire notre histoire et retrouver ma jeunesse. Et cela, je ne peux me décider à l’effacer. Après… quelle importance.

Je l’ai déjà dit, je ne suis pas une inconditionnelle de Van Gogh. J’admire ses tableaux, mais il ne fait pas partie des peintres qui me bouleversent. Par contre, le personnage m’intrigue, et sa vie m’intéresse.

C’est le cas aussi de Jean-Michel Guenassia qui, dans son dernier roman, se consacre aux dernières semaines de la vie du peintre, celles qu’il a passées à Auvers-sur-Oise et qui se sont achevées tragiquement par son suicide. Son suicide ? C’est en tout cas la version officielle. Mais, justement, ce qui est en jeu ici, c’est une autre version. Plus romanesque mais aussi, finalement, peut-être plus vraisemblable.

C’est du point de vue de Marguerite, fille du docteur Gachet, que nous est racontée cette histoire. Marguerite a 19 ans, vient d’obtenir son baccalauréat, rêve de liberté et projette de s’enfuir en Amérique, loin du joug paternel, pour vivre enfin sa vie. Un jour, un homme tout déguenillé qu’elle prend d’abord pour un journalier, vient frapper à la porte : il veut voir le Docteur…

C’est une histoire d’amour, entre un peintre épris de liberté et pour qui sa peinture constitue l’alpha et l’oméga de l’existence, et une jeune fille tout autant assoiffée d’indépendance, qui elle-même est peintre, mais, parce qu’elle est une femme, ne peut laisser s’épanouir son talent — parce que les Beaux-Arts n’acceptent pas les femmes, et que de toute façon son père, qui ne rêve que de la marier, ne serait pas d’accord.

Or Marguerite ne veut pas être une potiche dévouée à un mari et des marmots, et c’est évidemment cette volonté d’être soi qui l’attache à Van Gogh. Et l’un des enjeux du roman est bien celui-ci : poser une réflexion sur la condition féminine de la fin du XIXe siècle, qui a parfois quelque chose de très woolfien et fait de Marguerite une jeune femme fascinante.

Mais c’est aussi un très beau portrait de Vincent van Gogh, un peu lunaire, brut, mais sincère et attachant, et pas du tout fou. Les scènes où on nous le montre en train de peindre, et celles où nous sont « décrits » ses tableaux, atteignent au sublime poétique. Guenassia parvient parfaitement à rendre le choc esthétique que peut produire cette peinture.

Exofiction ponctuée de documents d’époques (articles de journaux, lettres entre Vincent et Théo), ce roman ressuscite l’époque des impressionnistes, et propose des pistes intéressantes sur les énigmes entourant Vincent van Gogh : son suicide, les faux, mais aussi le personnage du docteur Gachet, plus trouble que ce qu’on en dit parfois !

La Valse des arbres et du ciel (lien affilié)
Jean-Michel GUENASSIA
Albin Michel, 2016

La Belle-soeur de Victor H., de Caroline Fabre-Rousseau

Dans la bataille des romantiques, la frontière entre le monde des artistes peintres et celui des hommes de lettres était floue. Les tableaux des Laurens, des Signol n’illustraient-ils pas les tragédies si prisées de Shakespeare et les romans historiques de Walter Scott ? Et dans les ateliers, il y avait autant de tableaux que de livres. Les peintres lisaient comme ils peignaient, puisant leur inspiration dans les journaux et les romans. Elle-même s’était mise à voir la peinture comme une occupation suspecte, inférieure à l’écriture ; cela datait de son retour d’Italie. A quoi bon tant d’efforts et de travail, pourquoi s’isoler dans un atelier et peindre des images, alors que le monde était agité de soubresauts, de révoltes et de combats, commentés, éclairés par la plume des journalistes et des écrivains ? Mais elle avait eu une médaille, des commandes, il fallait bien vivre

Je ne sais pas pourquoi (magie de la synchronicité ? Mais alors dans quel but ?) je suis très XIXe en ce moment, et très Victor Hugo… L’autre jour, lorsque je suis allée visiter l’exposition sur les artistes de la famille, j’ai noté le talent évident de Julie Duvidal, et c’est comme ça que j’ai fini par me retrouver à lire cette biographie que lui consacre Caroline Fabre-Rousseau.

Julie Duvidal de Montferrier, peintre d’histoire et portraitiste, est surtout connue pour avoir été la belle-sœur de Victor Hugo, dont elle a épousé le frère aîné Abel. Mais elle était surtout une peintre de talent, que l’on a un peu oubliée, mais qui mérite d’être découverte, et cette biographie se propose donc de nous y aider.

Exercice difficile que celui de la biographie, et Caroline Fabre-Rousseau s’en sort avec les honneurs, nous brossant le portrait d’une femme toute en nuances.

Indépendante pendant longtemps, elle vit de son art, expose aux Salons, répond aux commandes, et parvient ainsi à subvenir aux besoins de sa famille.

C’est qu’elle a eu la chance d’avoir un père intelligent et assez progressiste, ce qui n’est pas le cas de tout le monde, à commencer par notre Totor national qui, dans sa prime jeunesse, a sur le sujet des idées idiotes : une femme artiste, selon lui (et beaucoup) n’est qu’une prostituée, et il la méprise pour ça — plus tard, il essaie de la mettre dans son lit, avant qu’elle n’épouse Abel.

De fait, Victor Hugo n’apparaît pas toujours à son avantage dans ce texte, inconstant, égoïste et ombrageux. Au contraire, on découvre avec plaisir Abel, que l’histoire a laissé dans l’oubli, et qui mérite d’être connu.

Au-delà des personnages, Caroline Fabre-Rousseau redonne vie à une époque ; de très belles pages sont consacrées à la peinture, au Salon, on croise un Delacroix encore jeune, et des ponts s’établissent entre la littérature et la peinture.

A travers le personnage de Julie, elle interroge également le statut des femmes artistes. On l’a vu, malgré une conduite irréprochable (selon les idées de l’époque), elle est considérée comme une « femme publique », même si son talent est reconnu, qu’elle expose au Salon et y est primée, qu’on lui commande des tableaux ; en outre, elle est prise dans une espèce de contradiction : si la peinture lui permet, à certains moments de sa vie, de subvenir aux besoins de son entourage, cela ne lui plaît pas ; en fait, elle aurait toujours voulu peindre en amateur.

Elle ne se donne pas entièrement à son art, finalement, et dès qu’elle en a l’occasion, elle laisse de côté ses pinceaux pour assumer « ses devoirs d’épouse et de mère ».

Une biographie fort instructive donc, sur un personnage qui mérite d’être plus connu. A quand une rétrospective Julie Duvidal dans un grand musée parisien ?

La belle-soeur de Victor H
Caroline FABRE-ROUSSEAU
Chèvre-feuille étoilée, 2016

Les Hugo, une famille d’artistes à la maison de Victor Hugo

Dans la famille Hugo, je demande… tout le monde. Et oui : le propos de cette exposition est de montrer comment la créativité artistique a pu animer toute une famille, et lui rendre hommage à travers un parcours qui occupe toute la maison de notre cher Totor, place des Vosges, et nous permet de voyager dans la famille, de génération en génération, jusqu’à aujourd’hui.

Evidemment, à tout seigneur tout honneur, un large espace est consacré au Maître lui-même, mais pas l’écrivain : ici, c’est le dessinateur et le décorateur qui sont mis en valeur, avec notamment la reconstitution des lieux qu’il a voulu à son image : Hauteville House à Guernesey, le salon chinois de la maison de Juliette Drouet à Guernesey.

Meubles, textiles, faïences, panneaux peints, mais aussi dessins (la série des souvenirs). L’ensemble est complété par des photographies des lieux tels qu’ils étaient à l’époque, ce qui donne une curieuse impression de mise en abyme. C’est extrêmement chargé, presque baroque, et partant assez impressionnant !

Faisons désormais connaissance avec le reste de la famille, qui s’est également adonnée à l’art : Julie Duvidal de Montferrier (belle-sœur de Victor Hugo dont elle a épousé le frère Abel), peintre d’histoire et portraitiste ; Adèle Foucher-Hugo, l’épouse, qui a appris le dessin avec Julie Duvidal ; François-Victor, le fils, journaliste et traducteur de Shakespeare, qui dessine également ; Charles, le fils aîné, journaliste et photographe ; Adèle, la fille cadette, musicienne ; Léopold, le neveu (fils d’Abel et de Julie Duvidal de Montferrier), scientifique mais aussi sculpteur, peintre, dessinateur et graveur ; Georges, le petit-fils, peintre et dessinateur ; Jean, arrière petit-fils, peintre, décorateur et illustrateur ; Jean-Baptiste, arrière-arrière petit-fils, photographe, et Marie, arrière-arrière petite-fille, peintre : ces deux derniers sont encore vivants et travaillent sur la mémoire de Hauteville House.

Alors, le génie se transmet-il par le sang ? Oui et non. Certains Hugo ont clairement un talent fou, d’autres ne doivent leur succès qu’à leur nom probablement, ce qui donne une exposition parfois inégale, mais dans l’ensemble assez sympathique parce que, malgré tout, c’est amusant de constater que si le talent ne tombe pas du ciel, il est probable que le contexte familial aide à trouver la voie de la création.

Les Hugo, une famille d’artistes
Maison de Victor Hugo
Place des Vosges
Jusqu’au 18 septembre 2016

Le Caravage – Tome 1 : La palette et l’épée, de Milo Manara

En vérité, la peinture est source de plus de souffrances que de joies…

Cela faisait un moment que je tournais autour de Milo Manara (en tout bien tout honneur), subjuguée par la sensualité de ses dessins lorsque je tombais sur l’un d’eux (et cela m’arrive souvent au cours de mes recherches), mais sans pour autant oser franchir le pas, je ne sais pas pourquoi.

Mais cela ne pouvait plus durer, surtout après son passage à la Grande Librairie, et j’ai donc jeter mon dévolu sur sa dernière œuvre en date : le premier tome d’une série consacrée au peintre Caravage.

Fin de l’été 1592. Le jeune Michelangelo Merisi, originaire de Caravage près de Milan, arrive à Rome, où son talent immense lui vaut d’être rapidement remarqué. Mais sa fougue et son goût pour les prostituées, une en particulier, lui vaut aussi la haine de certains…

Du grand art ! Le souffle épique et picaresque de l’histoire du Caravage, digne d’un roman de cape et d’épée, emporte le lecteur dans un destin hors du commun : celui d’un homme habité par sa passion, à la fois lumineux et sombre comme ses tableaux, propulsé par une pulsion de vie étonnante.

Et puis, bien sûr, il y a les dessins, absolument sublimes et qui rendent totalement justice aux tableaux du peintre, dans une sorte de mise en abyme : Manara ouvre les tableaux au contexte de leur création et les insère dans son propre travail, anime l’atelier de l’artiste et nous dévoile les arcanes de sa création, avec ces prostituées qui deviennent Madones ou anges, manants sublimés en compagnons du Christ.

Il y a de la provocation chez le Caravage, mais une provocation qui, finalement, révèle la vérité des choses. Subtilement érotique (mais moins que dans d’autres œuvres), délicieusement sadique par moments, cet album est un enchantement pour esthète, amateur d’histoire de l’art comme amateurs de corps sublimés — les deux n’étant pas incompatibles.

Foncez !

Le Caravage – Tome 1 : La palette et l’épée
Milo MANARA
Glénat, 2015