Nous aurons été vivants, de Laurence Tardieu : laisser passer la lumière

Elle se rappelle qu’il y a longtemps, très longtemps, elle aimait marcher ainsi, au hasard dans Paris. Elle avait alors toujours une bouteille d’eau sur elle. Mais cette Hannah qui portait le même nom qu’elle aujourd’hui, était-ce la même personne ? Etait-ce bien elle ? Elle a beau chercher, elle n’en retrouve pas la trace. Les souvenirs, oui, bien sûr, les souvenirs, elle les possède quelque part, dans sa tête. D’ailleurs, si elle fait un effort pour se remémorer le passé, elle retrouve des images, des moments. Mais les traces intérieures, les morsures intérieures, la pulsation intérieure — la joie intérieure de cette Hannah d’alors —, où sont-elles aujourd’hui ? Dans quel trou noir ont-elles sombré ? Rien n’en aurait donc été conservé ? La vie pourrait anéantir celle qu’on était, l’anéantir totalement ? 

Je n’ai lu aucun roman de Laurence Tardieu (ne me demandez pas pourquoi, il n’y a pas de raison particulière, à part l’habituelle « on ne peut décidément pas tout lire »). Par contre, j’avais beaucoup aimé (forcément) L’écriture et la vie. Alors, aucune hésitation pour découvrir ce roman…

Un matin d’avril, sur le trottoir d’en face, Hannah croit voir Lorette, sa fille, disparue sans laisser de traces sept ans auparavant. Le temps, alors, se fissure. Mais la vie d’Hannah n’est pas la seule à basculer ce jour-là : Simon, son frère, Lydie, sa meilleure amie, et Paul, le mari de cette dernière, vont aussi voir s’écrouler toutes leurs certitudes

Un magnifique roman sur le temps et les souvenirs, ces moments de basculement qui nous poussent à chercher du sens et partir en quête de soi.

Si plusieurs personnages gravitent autour d’elle, c’est bien Hannah le point focal de l’histoire, et on peut dire qu’elle est un magnifique personnage, absolument fascinant : une femme artiste, pour qui la peinture est le seul moyen d’être au monde, de s’y ancrer, elle dont l’histoire est hantée par l’Histoire, celle de l’Europe de l’Est et ses blessures dont il est difficile de parler ; sa fille, au début, est une entrave, une rivale à sa passion, et pourtant, lorsqu’elle disparaît Hannah cesse de peindre.

Elle n’est plus vivante, et toute la force de ce roman est de montrer comment laisser à nouveau passer la lumière.

Un roman plein de vie et d’émotions, d’une grande sensibilité, qui m’a beaucoup touchée et profondément émue : il est habité d’une forme de grâce qui nous montre le chemin et parle directement à l’âme…

Nous aurons été vivants (lien affilié)
Laurence TARDIEU
Stock, 2019

L’envoûtement de Lili Dahl, de Siri Hustvedt

Il y avait trois semaines qu’elle l’observait. Depuis le début du mois de mai, elle se mettait chaque matin à sa fenêtre pour le regarder. C’était toujours de bonne heure, un peu avant l’aube, et à sa connaissance il ne s’en était jamais aperçu. Le premier matin, en ouvrant les yeux, Lily avait remarqué une lumière provenant d’une fenêtre de l’hôtel Stuart, de l’autre côté de la rue, et lorsqu’elle s’était approchée elle l’avait vu dans le rectangle éclairé : un homme très beau, debout devant une grande toile. Vêtu seulement d’un caleçon, il était resté pendant une minute d’une telle immobilité dans la chaleur nocturne que Lily avait douté de sa réalité. Et puis il avait bougé, il s’était mis à peindre en utilisant son corps entier, et elle l’avait regardé s’étirer, se pencher, se fendre et même s’agenouiller devant la toile.

Autant Paul, c’est souvent, autant Siri, cela faisait une éternité que je n’avais rien lu d’elle, pas faute pourtant d’être toujours subjuguée par ce qu’elle écrit — et d’avoir ce roman sur mes étagères depuis le salon du livre 2015 (oui, tout ça).

Bon, on va dire que le moment n’était pas encore arrivé et que c’est maintenant que j’en avais besoin (mon intuition me dit à quel moment je dois lire quel roman, et dans celui-ci certaines choses m’ont effectivement été « utiles » pour ma progression personnelle).

Dans une petite ville du Minnesota, la jeune Lily vit seule dans une petite chambre au-dessus du café où elle a commencé à travailler quelques mois auparavant, juste après avoir terminé le lycée. De sa fenêtre, elle observe Edouard Shapiro, un peintre venu de New-York sur lequel les rumeurs vont bon train.

Dans la chambre d’à côté vit Mabel, une ancienne professeure (sur laquelle les rumeurs vont bon train) qui écrit une autobiographie où les rêves et leur influence sur la vie tiennent une grande importance. Mais des choses étranges commencent à se produire autour de Lily.

Envoûtement, enchantement, c’est bien l’effet que produit ce texte, qui oscille sans cesse entre onirique et réalisme et entraîne le lecteur dans une inquiétante étrangeté.

Mené de main de maître (mais peut-on en attendre moins de l’auteure ?), il est tissé de références au Songe d’une nuit d’été mais l’ambiance m’a surtout fait penser à Twin Peaks et plus généralement aux films de David Lynch : un monde où on ne sait plus bien où est le rêve et où est la réalité — et où toutes les clés ne sont pas données.

Et c’est ces mystères non résolus, qui nous laissent à la frontière du visible et de l’invisible, qui nous permettent de nous interroger sur le rôle des rêves dans notre vie, et leur influence. Le tout agrémenté, comme souvent chez l’auteure, de passages absolument stupéfiants sur la peinture : lorsqu’Edouard peint ses étranges tableaux, le monde réel s’évanouit.

Un roman dont les pages se tournent presque toutes seules tant on est happé par l’univers construit par Siri Hustvedt : à lire de toute urgence si vous ne l’avez pas déjà fait !

L’Envoûtement de Lily Dahl (lien affilié)
Siri HUSTVEDT
Traduit de l’américain par Christine Le Boeuf
Actes Sud, 1996 (Babel, 1999)

Gabriële, de Anne et Claire Berest

Jamais Gabriële ne parlera d’amour. Jamais elle ne dira : je l’aimais et il m’aimait. Ce qui se passe entre eux est un face-à-face d’où jaillissent la pensée et la création, c’est le début d’une infinie conversation, au sens étymologique du terme, aller et venir sur une même rivière, dans un même pays.

C’est sur le fil que j’ai lu ce roman, car c’est sinon la, du moins l’une de mes toutes dernières lectures de rentrée littéraire de septembre, avant de me lancer à l’assaut de celle de janvier. Et quelle lecture !

Anne et Claire Berest n’ont jamais connu leur arrière-grand-mère maternelle, Gabriële Buffet Picabia, morte de vieillesse en 1985. On comprendra à la fin pourquoi. Mais pourtant, elles ont eu envie d’apprendre à la connaître, en lui consacrant ces pages. Tout commence lorsqu’elle a 27 ans : femme libre, sans attaches, elle est musicienne, compositrice, et vit à Berlin, sans doute à l’aube d’une belle carrière, lorsque surgit dans sa vie Francis Picabia, que lui présente son frère Jean…

Quelle histoire que ce destin d’une femme libre, habitée par l’art et que rien d’autre n’intéresse et surtout pas les hommes, une femme qui refuse de se soumettre à ce qui est la normalité pour son époque, être épouse et mère, une femme révolutionnaire, qui veut se libérer du carcan de la tradition, dans sa vie mais aussi dans l’art, où elle se situe à l’avant-garde (et le sera toujours), et qui finit en toute conscience par sacrifier cette liberté pour un homme qui déboule dans sa vie comme un ouragan et bouleverse tout — après lui, elle n’écrira plus, et ne vivra que pour lui, tant il a besoin d’elle.

Entre eux, toujours, une attirance totale, mais toujours plus cérébrale que charnelle, ou plutôt un érotisme cérébral, et un désir toujours triangulaire car le couple s’adjoint régulièrement un troisième personnage, le plus important étant Duchamp, mais aussi Apollinaire.

Encore que, le plus important, c’est l’art, et le récit nous emporte dans un tourbillon de créativité, celle d’une époque bohème et foisonnante où naissent les avant-gardes, Gabriële en étant finalement le catalyseur : sans elle, Picabia n’aurait pas été Picabia.

Et là est peut-être la clé de cette énigme : Gabriële a-t-elle aliéné sa propre carrière à son mari, à l’homme, ou l’a-t-elle sacrifiée au peintre, à l’artiste, à l’art ? Génie sans limites, qui a besoin du désir pour créer, Picabia est surtout totalement instable et souffre de périodes d’intense enthousiasme suivies de longs moments d’abattement complet — ce qu’on n’appelle pas encore la bipolarité, et Gabriële, plus que sa muse, est son tuteur et l’origine de tout. Finalement, en étant Mme Picabia, elle fait œuvre.

Un couple magnifique, magnétique, intense — le seul problème est qu’ils n’auraient jamais dû avoir d’enfants, car ces petits êtres bruyants et dépendants n’étaient pour eux qu’un poids, et du reste Picabia est tellement lui-même quelque part un enfant que ces quatre là étaient de trop, Gabriële étant totalement absorbée par son mari.

D’où l’absence totale de Gabriële dans la vie des deux auteures, qui de manière admirable parviennent à redonner vie à cette femme, à en faire un très beau portrait appuyé sur de solides recherches, tout en gardant une certaine distance.

Un texte très réussi !

Gabriële (lien affilié)
Anne et Claire Berest
Stock, 2017

Frida, de Julie Taymor

Il y a eu deux accidents dans ma vie, Diego, l’autocar puis toi. Tu es indéniablement le pire. 

Je n’avais jamais vu ce film, alors même que depuis longtemps je m’intéresse beaucoup à Frida Kahlo, la femme et l’œuvre. Il faut dire qu’à sa sortie, j’étais plutôt occupée, et après, je n’en ai pas trop eu l’occasion. L’autre soir, je suis tombée dessus par hasard, et j’ai donc comblé cette impardonnable lacune.

Adaptation d’un roman de Hayden Herrera, le film retrace le parcours exceptionnel de cette femme libre que fut Frida Kahlo : l’accident de bus aux séquelles irréversibles qui la poursuivront toute sa vie, sa peinture totalement atypique, son engagement communiste, sa bisexualité et sa liaison supposée avec Trotsky, et bien sûr, sa passion faite de hauts et de bas pour Diego Rivera.

Lumineux, magnifiquement interprété (Salma Hayek n’interprète pas Frida, elle est Frida, tant physiquement qu’émotionnellement, allant jusqu’à peindre réellement dans certaines scènes), le film est, malgré quelques longueurs, un régal, car il parvient à rendre parfaitement le caractère exceptionnel de cette femme libre qu’était Frida, Artiste avec un grand A, corps souffrant et âme souffrante qui parvient à insuffler à ses œuvres quelque chose de l’ordre de la pulsion de vie qui transparaît ici de manière évidente.

Très sensuel, très coloré, dégageant une réelle énergie, il fait la part belle aux tableaux, à la pulsion créatrice, mais se concentre aussi et surtout sur son amour/passion pour Diego Rivera, quelque peu étonnante d’ailleurs : mais chez Frida, la passion amoureuse et la peinture sont intrinsèquement liées, deux faces d’une même médaille, celle de la célébration de la vie qui transcende la souffrance.

Un très beau film, donc, que je regrette d’avoir mis si longtemps à voir !

Frida
Julie TAYMOR
2002

La Chambre des époux, d’Eric Reinhardt

J’ai travaillé pendant trois mois dix ou douze heures par jour. Sans fatigue. Porté par un élan inouï. Rien ne pouvait m’arrêter. Elle m’a donné la force d’écrire. Je lui ai donné la force de guérir. Elle a été ma force et j’ai été la sienne. C’est l’expérience la plus hallucinante que j’aie jamais vécue. Moi au sixième étage de notre immeuble, dans une chambre de bonne, ma femme au quatrième, dans notre appartement, les enfants à l’école. J’ai écrit la moitié des six cents pages de Cendrillon, c’est-à-dire environ 600000 signes, en d’autres termes quatre cents feuillets, en l’espace de trois mois.

Un des romans de la Rentrée Littéraire que je voulais absolument lire, Eric Reinhardt m’ayant totalement bouleversée avec son dernier roman, L’Amour et les forêts. Le Forum Fnac livres m’a donné l’occasion de me le procurer et de revoir l’auteur, avec qui j’avais déjà eu l’occasion d’échanger, et je n’ai ensuite pas tardé à me plonger dans cette histoire d’amour et de mort.

En décembre 2006, la femme du narrateur apprend qu’elle a un cancer du sein. Lui est en train d’écrire Cendrillon. Les deux se mêlent en un seul et même combat, une même pulsion de vie : pendant qu’elle se bat contre sa tumeur, il écrit comme il n’a jamais écrit afin de pouvoir publier son roman fin août, comme elle le lui a demandé. Et chaque soir, dans la chambre des époux, il lui lit ses pages…

Magnifiquement écrit, La Chambre des époux est de ces textes qui vous remuent jusqu’au plus profond de l’âme, car ils vont chercher au fond de la noirceur, celle de la mort et de la maladie, la lumière qui leur permet de rayonner, grâce au pouvoir magique de l’art, qui transcende le réel, la souffrance, la mort.

Par un jeu de mise en abyme au final vertigineux, l’auteur se met à distance à travers le personnage de Nicolas, compositeur, pour aller au bout de ce qu’il a vécu, car c’est l’avantage de la fiction que de pouvoir amplifier les situations par soi vécues, potentiellement intéressantes du point de vue romanesque, en exacerbant leur principe constitutif, à travers le roman qu’il aurait pu écrire, virtuel, potentiel, et qui existe bien, pourtant, dans le creux des pages.

Ce que devient l’auteur d’une œuvre où il s’est surpassé, transcendé, pour aboutir à quelque chose qui s’adresse directement à l’âme, la chute après la tempête, comme une digue qui lâche, un élastique qui casse d’avoir été trop tendu. Traversé par l’isotopie de l’intensité, le roman nous invite au cœur des pulsions, faisant s’affronter éros et thanatos — la maladie porteuse de mort, la pulsion créatrice, la pulsion érotique et amoureuse.

Ici, si l’auteur se dépasse dans l’écriture, c’est qu’il est porté par une force incommensurable : l’amour, pur et absolu. Interrogeant au passage la féminité, ce que ce cancer, qui atteint l’essence même du féminin, fait aux femmes, à leur corps, à leur rapport à leur corps et à la sexualité. Ce qu’il fait aux couples, dont certains volent en éclat. D’autres triomphent de cette épreuve, en ressortent grandis.

Un roman bouleversant et lumineux !

La Chambre des époux (lien affilié)
Eric REINHARDT
Gallimard, 2017

Le Songe du photographe, de Patricia Reznikov

Chaque ligne que j’écris, je la leur dois. Si chaque mot, tiré de mon misérable petit tas de secrets, se métamorphose en gemme, en cristal, si je suis capable aujourd’hui de m’adresser à mes semblables, c’est grâce à eux. Ils ont fait de moi un homme. Un Mensch, comme dirait Magda. Ils avaient ce pouvoir de semer de la poésie partout où ils mettaient les pieds et de convoquer la vie même. Grâce à eux, la beauté aura poussé dans mon cœur.

J’avais été très touchée par le précédent roman de Patricia ReznikovLa Transcendante, et c’est donc fort logiquement que j’ai eu envie de découvrir son dernier roman, d’autant que le résumé était particulièrement alléchant.

La vie de Joseph, lycéen de 15 ans délaissé par ses parents, bascule un jour de novembre 1977, lorsqu’il est en quelque sorte adopté par une tribu d’artistes bohèmes et cosmopolites. Tous sont des exilés, aux histoires douloureuses : Angel le peintre cubain, Magda la viennoise, Serguei le vieux russe, la mystérieuse Dorika, et Sándor, le hongrois, qui initie Joseph à la photographie.

Un très très beau roman initiatique, plein d’humanité et de beaux personnages, qui déverse dans le cœur du lecteur la mélancolie d’un monde enfui et les soubresauts de la vieille Europe qui se disloque dans la violence, les horreurs du nazisme, les horreurs du communisme.

Tous ces personnages qui offrent à Joseph la famille qu’il n’avait pas vraiment, profonds et généreux, sont liés par-delà leurs histoires singulières mais toutes tragiques, par leur expérience commune de la perte et de l’exil, qui sera aussi, finalement, celle de Joseph qui perd son enfance et son innocence — comme nous tous, ce qui donne à ce roman un sens symbolique très fort.

Construit sur deux temporalités, le passé et le présent dans lequel Joseph se rend tour à tour à Budapest, à Vienne et à Cologne pour une raison que nous ne comprendrons qu’à la fin, le roman est aussi un magnifique hommage à la photographieécrire la lumière — et à son pouvoir, et à la création.

Une très très belle lecture donc, un roman plein de délicatesse et de sensibilité, subtilement écrit, lumineux, une belle réflexion sur le monde : je recommande chaudement !

Le Songe du photographe
Patricia REZNIKOV
Albin Michel, 2017

Pourquoi je n’ai pas écrit de film sur Sitting Bull, de Claire Barré

Cette idée de « laisser une trace » fait partie de mes obsessions primordiales. L’art est, pour moi, un moyen de lutter contre la peur de l’inutilité de l’existence. J’ai toujours vu les artistes comme des guides, des passeurs, ayant embrassé « l’horrible travail », celui de toute une vie : la tâche ardue consistant à partager des clés de compréhension à leurs frères et sœurs humains, aussi égarés qu’eux. Les artistes m’ont plus appris à vivre que mes professeurs, à quelques exceptions près. Se reconnaître dans les œuvres d’un(e) autre est sans doute l’une des plus grandes émotions qu’on puisse éprouver. Ecouter une musique, contempler un tableau ou lire un texte qui nous dévoile à nous-même, qui nous murmure que nous ne sommes pas seuls à souffrir, à aimer, que d’autres, avant nous, ont vécu ces mêmes tourments, ont éprouvé ces mêmes splendeurs, n’est-ce pas le plus beau cadeau qu’un être humain puisse recevoir de ceux et celles qui l’ont précédé sur cette terre ?

Le précédent roman de Claire BarréPhrères, m’avait fait forte impression notamment par la manière dont il abordait certains sujets comme la dimension mystique de l’écriture ; j’étais donc très curieuse de découvrir ce dernier opus, beaucoup plus personnel, dans lequel l’auteure raconte ses expériences et ses voyages chamaniques.

Tout commence par l’apparition d’un visage d’Indien, qui s’interpose en transparence entre la narratrice et le monde. Pas n’importe quel Indien, d’ailleurs, puisqu’après quelques recherches elle découvre qu’il ne s’agit rien moins que du légendaire Sitting Bull. Alors, c’est comme si une porte s’ouvrait…

Une porte s’ouvre pour la narratrice avec cette apparition, et le texte lui-même ouvre des portes. Voyage au cœur de l’histoire des amérindiens et du chamanisme, il montre comment, finalement, tout s’organise, les expériences du passé prenant tout leur sens ; surtout, il met au premier plan toute une réflexion sur l’art, la création, l’écriture, déjà présente dans Phrères : à la fois rimbaldien et baudelairien, le roman fait du poète un guide, un voyant, un déchiffreur de symboles.

Rien que cela aurait suffi à faire de cette lecture une expérience passionnante. Mais pour moi, elle a été beaucoup plus intime, et, partant, bouleversante. Parce que, se mettant à nu, Claire Barré nous offre le récit de son cheminement spirituel, de ses interrogations, de ses voyages chamaniques au cœur des mondes cachés.

Cela pourra laisser certains lecteurs perplexes, c’est évident. Moi, ça m’a tout simplement bouleversée : par delà les différences concrètes, j’ai retrouvé dans ce récit certaines de mes expériences impossibles, certaines interrogations existentielles et positionnements spirituels (même si avec l’auteure nous ne sommes pas vraiment d’accord sur le sens profond de ce mot, puisqu’elle met « recherche spirituelle » et « foi religieuse » dans le même sac, alors que pour moi au contraire ils s’opposent) notamment en ce qui concerne les religions et la question du féminin sacré.

Même lorsqu’elle évoque son premier roman, Ceci est mon sexe (que je n’ai pas encore lu mais qui du coup a été placé en haut de ma liste) j’y ai retrouvé un peu de ce que je veux faire avec mes textes érotiques.

Bref : ce roman, original et sensible, m’a profondément chamboulée par l’écho qu’il a suscité en moi. C’est donc un coup de cœur !

Comment je n’ai pas écrit de film sur Sitting Bull (lien affilié)
Claire BARRÉ
Robert Laffont, 2017