J’ai travaillé pendant trois mois dix ou douze heures par jour. Sans fatigue. Porté par un élan inouï. Rien ne pouvait m’arrêter. Elle m’a donné la force d’écrire. Je lui ai donné la force de guérir. Elle a été ma force et j’ai été la sienne. C’est l’expérience la plus hallucinante que j’aie jamais vécue. Moi au sixième étage de notre immeuble, dans une chambre de bonne, ma femme au quatrième, dans notre appartement, les enfants à l’école. J’ai écrit la moitié des six cents pages de Cendrillon, c’est-à-dire environ 600000 signes, en d’autres termes quatre cents feuillets, en l’espace de trois mois.
Un des romans de la Rentrée Littéraire que je voulais absolument lire, Eric Reinhardt m’ayant totalement bouleversée avec son dernier roman, L’Amour et les forêts. Le Forum Fnac livres m’a donné l’occasion de me le procurer et de revoir l’auteur, avec qui j’avais déjà eu l’occasion d’échanger, et je n’ai ensuite pas tardé à me plonger dans cette histoire d’amour et de mort.
En décembre 2006, la femme du narrateur apprend qu’elle a un cancer du sein. Lui est en train d’écrire Cendrillon. Les deux se mêlent en un seul et même combat, une même pulsion de vie : pendant qu’elle se bat contre sa tumeur, il écrit comme il n’a jamais écrit afin de pouvoir publier son roman fin août, comme elle le lui a demandé. Et chaque soir, dans la chambre des époux, il lui lit ses pages…
Magnifiquement écrit, La Chambre des époux est de ces textes qui vous remuent jusqu’au plus profond de l’âme, car ils vont chercher au fond de la noirceur, celle de la mort et de la maladie, la lumière qui leur permet de rayonner, grâce au pouvoir magique de l’art, qui transcende le réel, la souffrance, la mort.
Par un jeu de mise en abyme au final vertigineux, l’auteur se met à distance à travers le personnage de Nicolas, compositeur, pour aller au bout de ce qu’il a vécu, car c’est l’avantage de la fiction que de pouvoir amplifier les situations par soi vécues, potentiellement intéressantes du point de vue romanesque, en exacerbant leur principe constitutif, à travers le roman qu’il aurait pu écrire, virtuel, potentiel, et qui existe bien, pourtant, dans le creux des pages.
Ce que devient l’auteur d’une œuvre où il s’est surpassé, transcendé, pour aboutir à quelque chose qui s’adresse directement à l’âme, la chute après la tempête, comme une digue qui lâche, un élastique qui casse d’avoir été trop tendu. Traversé par l’isotopie de l’intensité, le roman nous invite au cœur des pulsions, faisant s’affronter éros et thanatos — la maladie porteuse de mort, la pulsion créatrice, la pulsion érotique et amoureuse.
Ici, si l’auteur se dépasse dans l’écriture, c’est qu’il est porté par une force incommensurable : l’amour, pur et absolu. Interrogeant au passage la féminité, ce que ce cancer, qui atteint l’essence même du féminin, fait aux femmes, à leur corps, à leur rapport à leur corps et à la sexualité. Ce qu’il fait aux couples, dont certains volent en éclat. D’autres triomphent de cette épreuve, en ressortent grandis.
Un roman bouleversant et lumineux !
La Chambre des époux (lien affilié)
Eric REINHARDT
Gallimard, 2017