On ne fait pas pousser une fleur plus vite en tirant sur sa tige…

L’autre soir, j’étais un peu agacée (un euphémisme s’est caché dans cette expression, saurez-vous le retrouver ?). Disons que depuis le début je suis agacée par certaines choses, mais l’autre soir ça a débordé. C’était une histoire de réouverture des fast-food et de queue de plusieurs kilomètres. Et surtout, de ceux qui commentaient « ah ben avec des imbéciles comme ça, il n’est pas prêt à arriver, le monde d’après ».

Alors déjà, le monde d’après, comme on dit, ce n’est pas la marraine de Cendrillon qui change une citrouille en carrosse hein : c’est un processus, sans doute un peu long, qui vient de s’enclencher, avec une prise de conscience et un chemin différent pour tous.

Et ce dont il est question, à mon avis, c’est d’une chose bien plus importante que ce que chacun mange : c’est de notre attitude envers l’autre, et prioritairement d’arrêter de le juger à tout bout de champ parce qu’on n’est pas lui, qu’on ne sait pas ce qu’il traverse et que ses choix, ses actes qui nous paraissent incompréhensibles de l’extérieur ne le sont peut-être pas de l’intérieur.

Bref, chacun fait de son mieux, en fonction de ses possibilités, et ce n’est certainement pas en critiquant ceux qui n’agissent pas comme nous pensons qu’il faut agir (et qui n’est peut-être pas la bonne solution, en plus, et que si ça se trouve d’autres vont critiquer) que nous allons les changer (je dirais même que c’est l’inverse) : on ne fait pas pousser une fleur plus vite en tirant dessus. Par contre, on peut l’arroser et ne pas lui cacher le soleil !

Bref, un peu plus de bienveillance ne ferait pas de mal. Moins juger les autres. Ce qui n’est pas facile : moi-même là je suis en train de juger ceux qui jugent. Alors il ne s’agit pas bien sûr d’accepter sans ciller tous les comportements (enfin certains disent que si si, mais nous n’en sommes pas là).

La bienveillance est parfois difficile, de mon côté mon travail me fait petit à petit perdre la mienne et c’est une des raisons pour lesquelles je veux partir (une raison parmi beaucoup), et sans doute est-il difficile d’être bienveillant 100% du temps.

Sans doute est-ce difficile de ne pas juger et critiquer la manière dont les autres agissent, et leurs choix ; de ne pas se juger et se critiquer soi, aussi, d’ailleurs (et on me souffle à l’oreille que lorsque les actions de quelqu’un nous mettent hors de nous c’est parfois nous-même que nous jugeons) ; de ne pas être blessé par les jugements des autres, également, mais c’est un problème à part.

Alors arrêtons de tirer sur les fleurs : ça ne fonctionne pas. Arrosons-les, plutôt, et agissons comme nous pensons qu’il faut agir, et peut-être inspirerons-nous 2-3 personnes, qui inspirerons 2-3 et 2-3 et c’est comme ça (les bonnes idées peuvent se propager, tel un virus) que le changement viendra, s’il doit venir…

La bienveillance est une arme absolue, de Didier van Cauwelaert : de la sollicitude

De fait, à une époque où tout se radicalise — la bêtise, la ruse, la haine, l’ego, le politiquement correct et même les discours humanitaires —, la bienveillance peut apparaître comme une valeur obsolète, ringarde, inadaptée. Je pense qu’elle est au contraire la seule réponse thérapeutique à la crise morale que traversent nos sociétés. Une réponse qui, à défaut de changer le monde du jour au lendemain, lui redonne des couleurs et compense les déceptions qu’il nous inflige, tout en renforçant ce système immunitaire assez paradoxal qui s’appelle l’empathie. D’où l’urgence de radicaliser la bienveillance. Je veux dire par là : pratiquer cet état d’esprit sans peur, sans honte, sans modération et sans nuances.

C’était un dimanche triste et pluvieux. Je m’étais forcée à sortir et à aller visiter un « musée » dans lequel il n’y avait au final rien à voir, et en rentrant chez moi à pieds, de mauvaise humeur, sous mon parapluie, je me suis arrêtée au Relay de la gare.

Et quelle ne fut pas ma surprise de tomber sur cet essai dont j’ignorais totalement l’existence : un essai sur l’un des sujets que je travaille avec assiduité (la bienveillance, donc) par l’un de mes auteurs préférés, dont les livres suscitent toujours chez moi de fécondes réflexions, il n’en fallait pas plus pour me redonner le sourire (et pour avoir l’impression qu’on m’envoyait un signe d’encouragement).

Je suis rentrée chez moi, je me suis séchée (à cause de la pluie), me suis fait un chocolat chaud, et enroulée dans un plaid je me suis plongée dans cet ouvrage que j’ai lu d’une traite.

Il s’agit donc d’un plaidoyer pour la bienveillance, comme seule réponse adéquate aux misères de notre temps : l’amour sauvera le monde, j’en suis convaincue depuis toujours. Une bienveillance active, sans aucune dimension de condescendance qu’elle a parfois, mais qui consiste simplement à vouloir le bien de l’autre et agir en conséquence. Par l’exemple et de multiples récits personnels ou non, Didier van Cauwelaert nous invite donc à devenir des guerriers de la bienveillance.

J’ai ri, j’ai pleuré : c’est dingue comme cet auteur parvient en l’espace de quelques lignes à susciter des émotions variées, notamment la première moitié qui est assez autobiographique.

Il nous parle à nouveau de son père (ce que j’ai trouvé très intéressant comme synchronicité par rapport au récit que j’étais en train de lire et que j’ai abandonné pour une soirée le temps de dévorer celui-ci : cela m’a permis de comprendre certaines choses grâce à ce double éclairage), mais aussi, pour la première fois, de sa mère, qui est décédée très récemment.

Il nous parle également, comme c’est son sujet de prédilection, des animaux et des plantes (et là encore la synchronicité est fascinante car le même jour j’ai acheté L’arbre-monde de Richard Powers, dont je vous parlerai bientôt). Des sujets qu’il a déjà abordés ailleurs (et ses lecteurs fidèles reconnaîtront certaines anecdotes) mais qu’il prolonge souvent en nouveaux développements.

Un livre très réconfortant, d’abord parce qu’il est toujours réconfortant de lire un auteur qui a la même vision du monde que nous (ça donne un peu moins l’impression de venir d’une autre planète) mais aussi parce qu’un message aussi positif et optimiste, ça change !

La Bienveillance est une arme absolue
Didier van Cauwelaert
Editions de l’Observatoire, 2019