Vingt ans et des poussières, de Didier van Cauwelaert : les imposteurs magnifiques

On imagine les rapports entre un écrivain qui n’écrit rien et une comédienne qui ne tourne pas. Sandra a dix-huit ans et ses parents sont photographes. La seule figuration qu’elle ait faite, jusqu’à présent, c’est à la lettre F du Petit Larousse. Le fromager est un arbre d’Afrique, géant, de la famille des malvacées. Sur la photo on la voit, toute petite près d’une racine, pour bien montrer la taille du fromager. Un jour, peut-être, elle crèvera l’écran. En attendant elle est interne, passe son bac dans un mois, et il faut une loupe pour la reconnaître.

Voilà ce qui s’est passé : comme je suis toujours en panne de fiction (allez savoir pourquoi) et que Cauwelaert, ça fonctionne, je me suis dit que j’allais continuer. Mais j’ai tout lu, sauf 2-3 romans que j’ai du mal à trouver. C’est alors que j’ai pensé que comme je n’avais aucun souvenir de celui-là, j’allais le relire.

Vingt ans et des poussières est le premier roman. Le premier roman de Cauwelaert, publié en 1982 alors qu’il avait vingt ans. Le premier roman que j’ai lu de lui. J’ai déjà raconté l’histoire, et je l’ai prêtée à Johanne : alors que je cherchais au CDI du collège une lecture pour mon week-end, je suis tombée sur celui-là, coup de cœur, et j’ai ensuite tout lu ou presque de ce que l’auteur publiait. Chose amusante : le roman a bénéficié en 2023 d’une réédition, avec une préface inédite !

Ici, je voulais à la fois relire un roman dont je savais qu’il m’avait beaucoup touchée, et retrouver l’adolescente que j’étais.

Le roman raconte l’histoire dont un vieux metteur en scène à la retraite prend en main la troupe de théâtre amateur d’un lycée.

Tout est là : l’humour, l’inventivité langagière, la fantaisie qui rend la vie un peu moins ennuyeuse, un soupçon de fantastique. L’amour du théâtre dont je sais qu’il a sans doute été pour beaucoup dans le choix initial de cette lecture puisqu’à l’époque je jouais dans la troupe du collège et comme Sandra je voulais devenir comédienne. L’amour et la littérature. La vie qui commence et que l’on a devant soi.

Je n’avais aucun souvenir de ce roman du point de vue narratif, et pourtant les émotions intactes sont revenues, trente ans après. Et je trouve que c’est une magnifique expérience.

Vingt ans et des poussières (lien affilié)
Didier van CAUWELAERT
Seuil, 1982 (rééd. Point, 2023)

Attirances, de Didier van Cauwelaert : histoires d’obsessions

A chaque minute sur terre on tue, mais on a les mains propres. Moi non. J’ai de la couleur sur les mains. Je capture les âmes et j’élimine les corps. Dieu fait la même chose, non ? Mais le diable, au moins, il se dénonce. Il expie ses fautes, quand il se trompe. Ou quand il a une absence. Demandez à votre voyante.

Je suis toujours en panne de fiction. Non seulement je ne parviens pas tellement à en écrire, mais j’ai également beaucoup de mal à en lire. Pourtant, il y a quelques semaines, j’ai commencé à lire un roman qui me plaît plutôt, mais j’ai du mal à m’y plonger.

Aussi j’ai décidé de sortir l’artillerie lourde : Didier van Cauwelaert, dont les livres me font toujours sortir de mes blocages. C’est une solution que je réserve aux pires cas, parce qu’il n’en reste plus beaucoup que je n’ai pas encore lus (j’ai fait la liste : il m’en manque trois après celui-ci, et trois qui vont demander des recherches car ils ne sont plus disponibles). Et mon choix s’est porté sur ce recueil de nouvelles.

Trois nouvelles le composent : « Vous êtes mon sujet », dans lequel une étudiante harcèle l’écrivain qui est son sujet de thèse, en cherchant à déclencher les drames qui le font écrire ; dans « Attirance », un peintre s’accuse d’avoir tué deux de ses modèles, et obsède la juge d’instruction chargée de l’affaire ; enfin, « La maîtresse de maison » nous raconte l’histoire d’un homme qui tombe amoureux (au sens propre) d’une villa en bord de mer et du fantôme de son habitante.

Bien qu’indépendantes, les trois nouvelles sont liées, non seulement par la thématique de l’obsession, l’ambiance plus ou moins fantastique, mais aussi par des chemins plus souterrains et mystérieux, et certains personnages. Les trois sont formidables et encore une fois l’humour léger et la puissance d’écriture de Cauwelaert m’ont conquise, et la mission est parfaitement remplie pour ce recueil. Les trois nouvelles m’ont plu, mais alors la dernière est un véritable petit bijou de mystère, de désir, d’érotisme même, et m’a transcendée.

De plus, il s’est produit une petite synchronicité amusante avec ce recueil. Je l’ai commandé au « hasard », sans regarder de quoi il était question. Et. La première nouvelle, « Vous êtes mon sujet », je l’avais lue il y a des années, car elle était parue dans les nouvelles de l’été du magazine ELLE (je l’ai toujours d’ailleurs dans cette version). Et cette nouvelle, que j’avais plus ou moins oubliée, en tout cas consciemment, est un des nombreux éléments à l’origine de la nouvelle parue dimanche dans l’Escale Amoureuse (c’était prévu de longue date). Je ne sais pas trop quoi penser de cette synchronicité, mais elle m’a ravie.

Attirances (lien affilié)
Didier van CAUWELAERT
Albin Michel, 2005 (Livre de Poche, 2007)

La Vie absolue, de Didier van Cauwelaert : réparer les vivants

Je me ressaisis. Pas question de redevenir une âme errante corvéable à merci, comme aux premiers temps de mon trépas. Aucune envie de fragiliser cette autonomie relative qui m’a coûté tant d’efforts. La présence obligée qu’entraîne l’exhumation de mon corps ne sera, je suppose, qu’une parenthèse sans suite. Mon rappel sur Terre s’achèvera quand mon caveau sera refermé. Je ne fais plus partie de l’avenir de Fabienne : je dois accepter de ne rien pouvoir pour elle, quelle que soit la force de ses prières.

Chaque année c’est le même rituel, aux alentours du mois de mai : le dernier roman de mon auteur chouchou, que je lis d’une traite, en une soirée délicieuse. Chaque année la curiosité de découvrir ce qu’il a été inventer, mais toujours avec la même confiance, la certitude de passer un bon moment (j’en ai aimé certains moins que d’autres, mais il n’y en a aucun que je n’ai pas aimé du tout).

Ce roman est une suite de La vie interdite, mais on peut tout à fait le lire de manière indépendante car les événements sont clairement rappelés.

Mort depuis 25 ans, Jacques Lormeau (enfin, son corps) est exhumé pour une recherche en paternité, et son esprit se voit donc ramené auprès des siens, alors qu’il était bien tranquille, et se retrouve à naviguer d’un personnage à l’autre, sa femme, sa maîtresse, son fils, la jeune fille qui espère qu’il est son père, et quelques autres personnages.

Il y a tout de même, chez l’auteur, une obsession pour cette thématique de la filiation et de la paternité, mais traitée à sa manière. C’est profondément drôle, léger malgré le tragique, grâce au regard surplombant de ce fantôme qui va et vient de l’un à l’autre. Et surtout, c’est réconfortant, comme un doudou : plein d‘amour et de tendresse, et on sait que quoi qu’il arrive, cela va bien se finir (même si je suis un peu réservée sur un point, niveau honnêteté des personnages mais passons), et par les temps qui courent c’est plutôt bienvenu ! Et toujours, ce tour de magie qui consiste à allier la gaité, et la mélancolie !

La Vie absolue
Didier van CAUWELAERT
Albin Michel, 2023

Noces de sable, de Didier van Cauwelaert : l’amour et la littérature

On me l’a assez reproché, de ne parler que d’amour. Connards. Tout ce qu’ils sont capables de dire, à chaque fois, c’est que je me répète. Comme si la vie ne se répétait pas.

Un deuxième Cauwelaert dans le mois ? Oui. Il se trouve que l’autre jour, après avoir refermé son dernier roman, j’ai eu l’impulsion subite de lire un de ses anciens textes, puisqu’il y en a encore (mais très peu) que je n’ai jamais lu. Et mon choix s’est porté sur cette pièce de théâtre, je ne vais pas dire « je ne sais pas pourquoi » : je sais exactement pourquoi. C’est la grande magie, une nouvelle fois !

Sylvie Janin est romancière, et son sujet, c’est l’amour. Mais depuis que l’homme qu’elle aime l’a quittée, elle n’écrit plus et songe même à se suicider. Mais, dans un élan vital, elle essaie une autre solution : retrouver l’impulsion d’écrire en faisant renaître le désir. Elle recrute un jardinier, Bruno, et l’embarque avec elle en Normandie, dans sa maison de famille, afin qu’il crée un jardin dans le sable. Le but de Sylvie et d’en faire son personnage. Mais plutôt ne se laisse pas trop faire. Ou plus exactement, il est tellement emballé par l’idée qu’il se met à vouloir contrôler ce qu’elle écrit…

Comme de bien entendu, j’ai adoré : c’est drôle, spirituel, les échanges sont réglés parfaitement ; en même temps, la pièce aborde profonde des thèmes essentiels : des thèmes humains, la solitude et l’abandon, mais surtout l’écriture : le travail de l’écriture, la manière dont elle est liée au désir et au fait de se sentir vivant, la construction des personnages à partir du réel, et surtout l’accès par l’écriture à des connaissances, à des faits qui sont vrais, mais auxquels on ne devrait pas avoir accès. Bon. C’est là que j’ai failli tomber de ma chaise longue : tout cela, c’est exactement le sujet de mon deuxième roman, sur lequel je suis justement en train de travailler. Et avec des échos assez troublants dans la vie des personnages, certains que je m’explique, d’autres beaucoup moins mais ce n’est pas la première fois que je note ce type de coïncidences.

Alors certains vont me dire : tu l’avais déjà lu, ce sont des réminiscences. Il est certain que non : si je l’avais lu, il serait dans ma bibliothèque, avec les autres livres de l’auteur. Il n’y est pas. Il n’y a pas d’explication rationnelle : c’est de la grande magie, encore une fois !

Noces de sable
Didier van CAUWELAERT
Albin Michel, 1995

Une vraie mère… ou presque, de Didier van Cauwelaert : les liens du sang

On s’y croyait. Elle avait parfaitement capté la teneur de nos rapports, nos dissensions, les piques à fleuret moucheté par lesquelles son amour s’exprimait — ce mélange de fierté maternelle et de constat sans trêve de l’ingratitude filiale qui m’avait tant pesé.

Vous n’imaginiez tout de même pas échapper à la cuvée cauwelaertienne annuelle ? Si ? Et bien, c’est loupé car encore une fois, je me suis jetée dessus. Et me suis régalée.

Le narrateur, un calque de l’auteur, vient de perdre sa mère, avec qui il entretenait de ces relations complexes qu’entretiennent souvent les fils uniques et leur maman. Comme elle lui reprochait, de son vivant, d’avoir écrit sur son père mais jamais sur elle, il essaie de la satisfaire post-mortem, sans y parvenir : le roman résiste. Et voilà qu’à force de commettre des excès de vitesse avec la voiture dont il n’a pas changé la carte grise, il se retrouve face à un problème de taille : sa mère a perdu tous ses points et doit effectuer un stage de récupération. C’est là que la Providence met sur son chemin une doublure plus vraie que nature…

Ce que j’aime dans les romans de l’auteur, c’est m’y sentir comme à la maison : c’est mignon et tendre, et léger et plein d’humour, on retrouve les thèmes, les manies les « petits faits vrais » au milieu des inventions les plus originales. Et en même temps, il y a une vraie profondeur, ici pour analyser les liens entre un fils et sa mère, qui n’ont jamais su communiquer. Et j’avoue qu’encore une fois, j’ai été déstabilisée par l’émeute de synchronicités qui m’ont assaillie durant ma lecture (pour mon plus grand bien : j’ai compris des trucs !).

Alors ce n’est pas son meilleur, mais j’ai pris énormément de plaisir à cette lecture, et c’est déjà beaucoup !

Une vraie mère… ou presque
Didier van CAUWELAERT
Albin Michel, 2022

Le Pouvoir des animaux, de Didier van Cauwelaert : la conscience universelle

Dans la tête de Franck en revanche, on trouve simplement du vide qui explose pour créer de la vie par hasard. Original, aussi. Autrement dit, vous avez construit le développement de votre pensée non pas sur l’observation et l’empathie, comme moi, mais sur l’imaginaire — pour le meilleur et surtout pour le pire, d’après ce que j’entrevois. Et vous vous massacrez au nom de mythes incompatibles qui vous ont coupés de vos racines réelles. Curieuse conception du progrès. Ça marchait mieux chez les abeilles.

Certains d’entre vous l’attendaient, je sais : la livraison annuelle de Didier van Cauwelaert (cela dot, en ayant déjà eu une à la rentrée, j’ai été un peu surprise d’en voir arriver un autre en ce printemps, mais j’imagine que le confinement a rendu les écrivains prolixes). Un roman dans lequel on retrouve un des sujets majeurs de l’auteur : les animaux et leurs formidables pouvoirs. Mais il n’est ici question ni de chiens ni d’abeilles, mais d’animaux un peu spéciaux.

Wendy est la spécialiste mondiale du tardigrade, une étrange créature dont elle a la certitude qu’elle pourrait aider à guérir certaines maladies humaines, et notamment l’Alzheimer de son mari. Franck lui voudrait recréer génétiquement le mammouth afin de le réintroduire en Sibérie, afin d’empêcher la fonte du permafrost. Leurs univers entrent en collision lorsqu’au cours de ses recherches il découvre un tardigrade vieux de plusieurs milliards d’années, et le fait sortir de son hibernation. Mais leurs recherches entrent en concurrence.

Un roman assez amusant, au parti-pris narratif original, et qui se laisse lire avec beaucoup de plaisir. On se sent comme à la maison quand on connaît bien l’auteur et ses obsessions, les animaux comme je l’ai dit plus haut, la conscience universelle qui relie tous les êtres, et bien sûr l’amour comme force qui surpasse tout. Ce n’est pas son plus grand roman (mais ne me demandez pas lequel c’est, j’aurais un bug), mais c’est une lecture très plaisante !

Le Pouvoir des animaux
Didier van CAUWELAERT
Albin Michel, 2021

L’Inconnue du 17 mars, de Didier van Cauwelaert : l’amour sauvera l’humanité

Et donc je me nourris d’intelligence, d’imagination, d’amour, et je suis arrivée au bout de vos réserves. Vous ne produisiez plus de quoi assurer ma survie – pire : vous alliez causer la disparition de votre écosystème, que vous appelez prétentieusement « l’environnement » alors qu’il vous a créés. Et vous étiez sur le point de vous autodétruire par l’appât du gain, le fanatisme et la bêtise haineuse…

Evidemment. Je ne pouvais pas passer à côté.

Le 17 mars, 1/2 heure avant l’heure fatidique du début du confinement, Lucas, un ancien prof de lettres désabusé devenu SDF est enlevé par une femme surgie de son passé, qui l’emmène se confiner dans un château où il a grandi et qu’il a dû quitter 22 ans plus tôt après une tragédie. Là, elle lui confie une mission : trouver le message à transmettre à l’humanité.

Ce que j’aime avec les romans de Didier van Cauwelaert c’est qu’à chaque fois que j’en ouvre un j’ai l’impression de retrouver une sorte de famille, dans un univers réconfortant, plein de légèreté, de fantaisie et d’humour. Honnêtement, si celui-ci n’est pas son meilleur, j’y ai pris un plaisir fou et un sourire a plané sur mes lèvres tout au long de ma lecture. On retrouve évidemment les marottes habituelles de l’auteur, et ici j’ai aimé la manière dont il a canalisé ce que pouvait être finalement le virus, une sorte de test, de réajustement, la manière dont il se sert des thèses complotistes pour mettre au jour la logique à l’œuvre derrière ce qui semble dépourvu de sens. Et il montre surtout l’importance des émotions positives pour sauver l’humanité, et bien sûr l’amour, c’est d’ailleurs ce que je dis depuis toujours.

Alors, à un moment, j’ai ressenti une chose bizarre en lisant ce roman, comme si à travers son message général qui s’adresse à tous il y avait aussi comme un appel qui m’a à un moment submergée (mais vraiment, ça s’est mis à vibrer très fort et j’ai eu les larmes aux yeux). les temps qui arrivent impliquent un regroupement immédiat de ceux qui ont été sollicités. Alors puisque c’est ma mission aussi, je vous le redis : n’oubliez pas l’amour car rien d’autre n’a d’importance. Et c’est lui qui sauvera l’humanité.

LInconnue du 17 mars
Didier van CAUWELAERT
Albin Michel, 2020