Je voudrais que tu sois là que tu frappes à la porte Et tu me dirais c’est moi Devine ce que je t’apporte Et tu m’apporterais toi

Pour bien commencer cette semaine un peu particulière et y mettre un peu de tendresse et de poésie, j’avais envie de partager avec vous ce petit poème de Boris Vian, « Berceuse pour les ours qui ne sont pas là » (ou « berceuse pour les ours partis ») adressé à sa femme Ursula (d’où l’ours), et qui me fait sourire à chaque fois que je tombe dessus, d’abord parce que je le trouve délicat et mignon, à la fois triste (la tristesse du manque lorsque la personne qu’on aime n’est pas là) et léger, et aussi parce que, comme je l’ai déjà dit souvent, l’Univers m’envoie quotidiennement des synchronicités à base d’ours, que cette synchronicité veut dire beaucoup de choses, mais que j’aime lorsqu’elle arrive sous forme de ce poème.

Surtout qu’en ce moment, il est particulièrement adapté au contexte. Bref, j’espère que cette petite berceuse vous donnera aussi le sourire !

Oursi ourson ourzoula
Je voudrais que tu sois là
que tu frappes à la porte
Et tu me dirais c’est moi
Devine ce que je t’apporte
Et tu m’apporterais toi 

Depuis que tu es partie
j’ai de l’ennui tout autour 
ça me ravage le foie
beaucoup mieux qu’un vrai vautour
Et je ne sais plus quoi faire
Alors j’ai pris tes photos
je les pendues au mur
Et j’ai dit regardez-moi
avec vos yeux d’autre part
Ce sont les seuls yeux du monde
Dans lesquels j’ose le voir

Le Bärchen était au mur
Et il s’est mis à pleurer
parce que j’étais si triste
il voulait me consoler

Les autres peuvent me dire
des choses, des choses, des
choses mais que j’oublie vite
toi je sais ce que tu dis 
Je me rappelle ta voix
Je me rappelle tes mots

Je t’ai suivie à la gare
je suis monté dans le train
mais il est parti tout seul
Tu disais que je m’en aille
pour ne pas que je m’ennuie
en attendant sur le quai

Plus jamais une seconde
plus jamais sans te toucher
savoir que tu es si loin
ne pas pouvoir y aller
mais comme un pauvre imbécile
Je disais  pour quelque jours
se séparer, c’est facile
après tout, s’il arrivait
que tu partes en tournée

Il faudrait nous habituer 
mais tu vois si j’étais bête …
Car on ne s’habitue pas
à crever, même en six mois.
 

Oursi Ourson Ourzoula
Je voudrais que tu sois là
Tes talons dans l’escalier
feraient le bruit que je guette
et tu serais dans mes bras

C’est dimanche, il est huit heures
Et je ne veux pas sortir
Et je m’ennuie à mourir
Alors je t’écris, mon ange
Une chanson du dimanche
Une chanson pas très drôle
Mais on y rajoutera
Mardi soir, un grand couplet
Viens dormir sur mon épaule
et on ne dormira pas

Boris Vian, extrait de Berceuse pour les ours partis. 1951

Écrits pornographiques, de Boris Vian

Ceci est donc la justification de l’amour comme thème littéraire, et de l’érotisme par conséquent ; ceci, cette carence dans laquelle un Etat tient un sport que jusqu’à nouvel avis je m’entêterai à considérer comme plus rationnel que le judo et plus satisfaisant que la course à pied ou les barres parallèles, toutes activités dont il procède d’ailleurs, et avec lesquelles il a tant de points communs. Et puisque l’amour, qui est tout de même, je le répète, le centre d’intérêt de la majorité des gens sains, est barré et entravé par l’Etat, comment s’étonner que la forme actuelle du mouvement révolutionnaire soit la littérature érotique ?

J’avais trouvé ce petit volume chez le meilleur bouquiniste du monde. Mais vous savez comment ça se passe : je l’avais rangé dans un coin, puis totalement oublié. Mais comme les déménagements ont du bon, je suis retombée dessus en rangeant mes livres dans les cartons, et avant de l’oublier à nouveau, je l’ai mis en lecture.

L’essentiel du texte consiste en une conférence intitulée « utilité d’une littérature érotique » et prononcée par Vian le 14 juin 1948 au Club Saint-James. Il y définit ce que n’est pas la littérature érotique, ce qu’elle est (une « obscénité poétique » qui donne envie de faire l’amour) et finit par l’idée que l’érotisme est dans l’oeil de celui qui lit, et que tout texte, en fonction de ses lecteurs, peut donc se voir qualifié d’érotique.

Suivent quelques textes en vers, dont un pastiche du « Liberté » d’Eluard, et dans l’ensemble très paillards et potaches.

Enfin, une courte parodie de Dracula.

L’ensemble est passionnant, stimulant, souvent fort drôle car Vian a beaucoup d’esprit. Une curiosité à côté de laquelle il ne faut pas passer !

Écrits pornographiques (lien affilié)
Boris VIAN
Christian Bourgois, 1980 (10/18, 1981)

L’Écume des jours, de Michel Gondry

En avançant dans la vie, les espaces paraissent plus petits.

L’Ecume des jours de Boris Vian fait partie des romans que j’ai lus adolescente et qui m’ont construite. Je connais certaines scènes presque par cœur. Il va sans dire que le voir adapté au cinéma me faisait un peu peur, même si je considère Michel Gondry comme l’un des plus grands génies du cinéma actuel, et que si quelqu’un pouvait adapter Vian, ça ne pouvait être que lui.

La vie de Colin, qui mène une existence agréable de riche rentier hédoniste, bascule le jour où il rencontre Chloé. C’est un coup de foudre, et les deux jeunes gens ne tardent pas à se marier. Mais au cours du voyage de noces, Chloé tombe malade, et un nénuphar commence à envahir ses poumons.

Gondry a parfaitement réussi son pari et parvient à merveille à saisir l’âme de cette fable sur le passage à l’âge adulte et la perte des illusions et de l’innocence de l’enfance.

La première partie, euphorique, donne réellement le tournis : une trouvaille à chaque plan, dans une débauche de couleurs, de sons, d’inventivité, rendant parfaitement justice à l’univers poétique et onirique du roman.

La deuxième partie s’assombrit peu à peu, perd littéralement ses couleurs, et malgré la fantaisie qui demeure omniprésente jusqu’au bout, le film devient réellement inquiétant, oppressant, tout se rétrécit et comme les personnages le spectateur a le sentiment d’étouffer.

Les éléments qui m’avaient laissée perplexe dans la bande annonce m’ont convaincue dans le film et même le choix des acteurs, sur lesquels j’avais un doute, m’a finalement éblouie : si je trouve toujours Duris et Tautou trop vieux pour les rôles, leur prestation m’a séduite, leur couple fonctionne et ils sont touchants ; quant à Omar Sy, il se révèle très bon et apporte jusqu’au bout une dose d’humour salutaire.

Bref, un très bon film qui montre encore une fois que Gondry possède un vrai univers, qu’il sait mettre au service de celui d’un autre. Un génie, en somme…

L’Écume des Jours
Michel GONDRY
France, 2013

L’écume des jours, de Boris Vian

Ces romans qui vous marquent à vie

Elle est peut-être blessée, seulement, alors, il n’y aura rien du tout, demain, nous irons ensemble au Bois, pour revoir le banc, j’avais sa main dans la mienne et ses cheveux près des miens, son parfum sur l’oreiller. Je prends toujours son oreiller, nous nous battrons encore le soir, le mien, elle le trouve trop bourré, il reste tout rond sous sa tête, et moi je le reprends après, il sent l’odeur de ses cheveux. Jamais plus je ne sentirai la douce odeur de ses cheveux.

C’est un magnifique roman d’amour que celui-là. Un de ceux qui vous marquent de leur empreinte indélébile et qu’on n’oublie pas. Je l’ai lu pour la première fois lorsque j’avais quinze ans, et je me souviens de l’émotion ressentie à la lecture. Un mélange d’émerveillement et de tristesse.

Je ne l’avais jamais relu depuis, je ne sais pas pourquoi, mais il y a quelques jours j’ai ressenti le besoin de le faire.

Pendant que son ami Chick dilapide l’argent qu’il n’a pas pour s’offrir tout ce qui concerne le philosophe Jean-Sol Partre, Colin vit une vie paisible de rentier, dans un monde fantasque où le couloir de la cuisine est éclairé de deux soleils, où les souris gourmandes se taillent des sucettes dans le savon et où les portes qui claquent font « le bruit d’une main nue sur une fesse nue« .

Mais il manque quelque chose à Colin : Chick est amoureux d’Alise, et il voudrait bien, lui aussi, tomber amoureux. Lorsqu’il rencontre Chloé, c’est le coup de foudre, et très rapidement ils se marient. Mais Chloé tombe malade, un nénuphar pousse dans son poumon. Commence alors la chute : le monde de Colin, jusque-là vaste et lumineux, s’étrique et s’assombrit à mesure que la maladie progresse et que son argent disparaît.

Un roman d’amour et de mort

Je dois dire que je ne me souvenais pas que c’était si sombre.

Bien sûr, je me rappelais que ce n’était pas très gai, finalement, comme histoire, mais j’avais surtout retenu la fantaisie qui habite ce monde. Là, je me suis pris de plein fouet la mélancolie et le pessimisme de cette histoire qui dit la fin du monde de l’enfance et de l’adolescence. Je dois même avouer que j’ai versé de nombreuses larmes…

Au final, je pense que c’est un livre qu’on ne lit pas du tout de la même manière lorsqu’on est adolescent et à l’âge adulte, et qu’il grandit avec nous. Je suis donc très heureuse de l’avoir redécouvert avec un regard neuf.

L’Ecume des jours (lien affilié)
Boris VIAN