L’amour est là, qui aime

Je ne vous ai pas beaucoup parlé de ce projet qui est né soudainement un matin, il y a quelques mois. Ecrire de la poésie.

Je l’ai souvent dit : la poésie, pour moi, c’est une manière d’habiter le monde, beaucoup plus vaste que ce que l’on appelle habituellement « poésie », souvent réduite à un genre littéraire. Un genre littéraire que je lis, mais que, jusqu’à présent, je n’écrivais pas.

Jusqu’à un matin, je crois que c’était au mois de juin, peut-être avant (j’ai dû le noter quelque part) : je me suis mise à écrire en vers. Comme si quelque chose s’était débloqué (j’utiliserais bien une métaphore à base de tuyau qui se débouche, mais ce n’est pas très poétique).

Des vers libres. Il n’y a pas toujours de rimes. Certains sont très courts. Ils n’ont rien de renversant mais moi, je les aime. Ce sont bien évidemment des poèmes d’amour, et ils sont intrinsèquement liés au Truc. Et à l’Escale Amoureuse. Le projet est d’en écrire cent, une centaine d’amour. J’en ai dix-sept. Ne soyez pas trop pressés.

En voici deux.

Comme à l’aube le rose se mêle au bleu,
Mon âme se mélange à la tienne
Dans la naissance d’une lumière dorée.

*

Aucun de nous deux n’est mort.
Alors, il n’y a aucune raison de pleurer.
Aucune non plus de désespérer.

Aucun de nous deux n’est mort,
Et l’amour non plus.

Ce n’est qu’à la fin qu’on écrit le mot fin.

L’amour est patient. Il a toute la vie.

Aucun de nous deux n’est mort,
Et dans les recoins de nos âmes, encore,

L’Amour est là, qui aime.

(Oui, j’ai honteusement volé ce dernier vers à Hölderlin, à qui je vole beaucoup de choses).

Tous les actes d’amour et de plaisir sont mes rituels

Pour mes recherches actuelles, je suis en train de lire un ouvrage de Starhawk dont je vous parlerai lorsque je l’aurai terminé. Et dans ce livre (Spiral Dance) je suis tombée sur ce texte, la charge de la déesse, un des textes fondateurs de la Wicca, mais qui me semble en fait universel, au-delà de sa situation d’énonciation habituelle (être récité au cours des cérémonies, la grande prêtresse incarnant la déesse et son message).

En fait, sans le savoir, c’est déjà le message que j’avais mis dans la bouche de ma Déesse dans ma série Nous sommes les dieux (je croyais avoir tout publié ici, mais visiblement non, désolée, vous n’aurez que le premier). Et c’est aussi cette idée qui est à l’origine de Les Arcanes du monde. Finalement, les circonstances sont toujours les mêmes, malheureusement, que celles qui m’avaient poussée à écrire ces textes. Et j’avais envie de le partager avec vous, parce que je le trouve porteur d’un message de vie, et je crois que c’est tout ce à quoi nous devons nous raccrocher. La seule religion : l’amour.

Et vous serez libérés de l’esclavage ; et en signe de votre réelle liberté, vous serez nus dans vos rites ; et vous danserez, jouerez de la musique et ferez l’amour, tout cela pour me rendre hommage. Car mienne est l’extase de l’esprit, et mienne aussi est la joie sur terre ; car ma loi est l’amour pour tous les êtres. Gardez purs votre plus haut idéal ; efforcez-vous de tendre toujours vers lui ; ne laissez rien vous arrêter ni vous détourner de lui. Mienne est la porte secrète qui ouvre sur le Pays de la Jeunesse, et mienne est la coupe de vin de la vie, et le Chaudron de Cerridwen, qui est le Saint Graal de l’immortalité. Je suis la gracieuse Déesse, qui offre à tous les cœurs des hommes le présent de la joie. Sur terre, je donne la connaissance de l’esprit éternel ; et au-delà de la mort, je donne la paix et la liberté, et les retrouvailles avec ceux qui vous ont précédé. Je ne demande aucun sacrifice ; car sachez que je suis la Mère de tout ce qui vit, et mon amour se répand sur la terre. […] Je suis la beauté de la verte terre, et la blanche Lune parmi les étoiles, et le mystère des eaux, et le désir du cœur de l’homme, je t’appelle en ton âme. Lève-toi et viens à moi. Car je suis l’âme de la nature, qui donne la vie à l’univers. De moi, toutes choses proviennent, et à moi toutes choses doivent retourner ; et devant mon visage, bien aimé des Dieux et des hommes, que ton moi divin le plus profond soit enveloppé par l’extase de l’infini. Que mon culte soit dans le cœur qui se réjouit ; car sache que tous les actes d’amour et de plaisir sont mes rituels. Et pour cette raison, qu’il y ait en toi de la beauté et de la force, du pouvoir et de la compassion, de l’honneur et de l’humilité, de la gaieté et du respect. Et toi qui penses me chercher, sache que ta quête et ton ardent désir ne te serviront pas à moins que tu connaisses le mystère, car si ce que tu cherches, tu ne le trouves pas en toi, tu ne le trouveras jamais à l’extérieur de toi. Car sache que j’ai été avec toi depuis le commencement ; et je suis ce qui est atteint lorsque le désir prend fin.»

Un immense besoin de divine harmonie / M’entraînait malgré moi vers la sphère infinie

J’ai abandonné (pour l’instant) l’idée de commercialiser l’Oracle des poètes, mais je m’en sers toujours à titre personnel, dans mes tirages du jour. Et en ce moment il y a une carte qui revient assez régulièrement (alors que d’autres ne tombent jamais), c’est celle de l’Âme, que j’ai illustrée avec le très beau poème « Elan mystique » de Louise Ackermann, dont je ne me lasse pas de découvrir le travail. Et il m’est venu à l’idée que si cette carte revenait, c’était peut-être que le poème désirait non pas seulement me parler à moi, mais parler à tous. Donc je le partage avec vous aujourd’hui !

Alors j’avais quinze ans. Au sein des nuits sans voiles,
Je m’arrêtais pour voir voyager les étoiles
Et contemplais trembler, à l’horizon lointain,
Des flots où leur clarté jouait jusqu’au matin.
Un immense besoin de divine harmonie
M’entraînait malgré moi vers la sphère infinie,

Tant il est vrai qu’ici cet autre astre immortel,
L’âme, gravite aussi vers un centre éternel.

Mais, tandis-que la nuit marchait au fond des cieux,
Des pensers me venaient, graves, silencieux,
D’avenir large et beau, de grande destinée,
D’amour à naître encor, de mission donnée,
Vague image, pour moi, pareille aux flots lointains
De la brume où nageaient mes regards incertains.
— Aujourd’hui tout est su ; la destinée austère
N’a plus devant mes yeux d’ombre ni de mystère,
Et la vie, avant même un lustre révolu,
Garde à peine un feuillet qui n’ait pas été lu.
Humble et fragile enfant, cachant en moi ma flamme,
J’ai tout interrogé dans les choses de l’âme.
L’amour, d’abord. Jamais, le cœur endolori,
Je n’ai dit ce beau nom sans en avoir souri.

Puis j’ai soudé la gloire, autre rêve enchanté,
Dans l’être d’un moment instinct d’éternité !
Mais pour moi sur la terre, où l’âme s’est ternie,
Tout s’imprégnait d’un goût d’amertume infinie.
Alors, vers le Seigneur me retournant d’effroi,
Comme un enfant en pleurs, j’osai crier : « Prends-moi !
Prends-moi, car j’ai besoin, par delà toute chose,
D’un grand et saint espoir où mon cœur se repose,
D’une idée où mon âme, à qui l’avenir ment,
S’enferme et trouve enfin un terme à son tourment. »

Louise Ackermann, Premières Poésies, 1871

Oui, tout fait l’amour sous les ailes / De l’Amour, comme en son Palais

Aujourd’hui j’avais envie de partager avec vous ce très joli poème de Germain Nouveau, que j’ai trouvé dans une anthologie dont je vous parlerai bientôt, et qui m’a semblé parfaitement adapté à la saison et à ses énergies ! J’ai enlevé la dernière strophe qui est moins dans mon goût (et dont je trouve qu’elle brise la délicatesse de l’ensemble) mais vous pourrez la trouver facilement !

Le Baiser III

« Tout fait l’amour. » Et moi, j’ajoute,
Lorsque tu dis : « Tout fait l’amour » :
Même le pas avec la route,
La baguette avec le tambour.

Même le doigt avec la bague,
Même la rime et la raison,
Même le vent avec la vague,
Le regard avec l’horizon.

Même le rire avec la bouche,
Même l’osier et le couteau,
Même le corps avec la couche,
Et l’enclume sous le marteau.

Même le fil avec la toile
Même la terre avec le ver,
Le bâtiment avec l’étoile,
Et le soleil avec la mer.

Comme la fleur et comme l’arbre,
Même la cédille et le ç,
Même l’épitaphe et le marbre,
La mémoire avec le passé.

La molécule avec l’atome,
La chaleur et le mouvement,
L’un des deux avec l’autre tome,
Fût-il détruit complètement.

Un anneau même avec sa chaîne,
Quand il en serait détaché,
Tout enfin, excepté la Haine,
Et le cœur qu’Elle a débauché.

Oui, tout fait l’amour sous les ailes
De l’Amour, comme en son Palais,

Même les tours des citadelles
Avec la grêle des boulets.

Même les cordes de la harpe
Avec la phalange du doigt,
Même le bras avec l’écharpe,
Et la colonne avec le toit.

Le coup d’ongle ou le coup de griffe,
Tout, enfin tout dans l’univers,
Excepté la joue et la gifle,
Car… dans ce cas l’est à l’envers.

C’est beau non ?

Je ne vis que pour vous, pour vous je veux mourir

Je ne pouvais pas ne pas immédiatement partager cette merveille de poème que je viens de découvrir, et sa poétesse : Madeleine de l’Aubépine. Je vais finir par faire une anthologie des poétesses injustement tombées dans l’oubli, car j’ai l’impression qu’il y a vraiment des pépites à découvrir au fil de l’histoire.

Poétesse et traductrice, Madeleine de l’Aubépine est née en 1546 et morte en 1596. Elle a notamment été l’amie de Ronsard (et même sa fille spirituelle), et de Philippe Desportes, ainsi que la dame d’honneur de Catherine de Médicis.

Le poème que je voulais partager avec vous est celui-ci :

L’on verra s’arrêter le mobile du monde,
Les étoiles marcher parmi le firmament,
Saturne infortuné luire bénignement,
Jupiter commander dedans le creux de l’onde.

L’on verra Mars paisible et la clarté féconde
Du Soleil s’obscurcir sans force et mouvement,
Vénus sans amitié, Stilbon sans changement,
Et la Lune en carré changer sa forme ronde,

Le feu sera pesant et légère la terre,
L’eau sera chaude et sèche et dans l’air qui l’enserre,
On verra les poissons voler et se nourrir,

Plutôt que mon amour, à vous seul destinée,
Se tourne en autre part, car pour vous je fus née,
Je ne vis que pour vous, pour vous je veux mourir.

C’est absolument sublime !

Je meurs entre les bras de mon fidèle Amant / Et c’est dans cette mort que je trouve la vie

Nouvelle découverte dans le champ poétique féminin : Marie-Catherine de Villedieu. Il me semble que j’avais déjà entendu son nom, mais on va être honnête, il y a vraiment un gros travail de redécouverte et de mise en avant des autrices de l’histoire de la littérature à faire. J’enfonce une porte ouverte, en disant cela, j’en ai bien conscience, mais parfois, répéter les évidences ne fait pas de mal.

Poétesse, dramaturge et romancière française, Marie-Catherine Desjardins dite de Villedieu est née vers 1640 on ne sait pas vraiment où, et morte en 1683. L’année de ses 18 ans, elle rencontre Antoine de Boësset, sieur de Villedieu et commence alors une liaison passionnée qui la fait en quelque sorte naître à l’écriture, avec le poème intitulé « Jouissance » que je vous mets plus bas, et qui a été jugé et jugé scandaleusement libertin. Après une promesse solennelle de mariage, les deux amants rompent en 1667, peu avant le décès tragique de Villedieu au siège de Lille, et c’est grâce à cette promesse que Marie-Catherine put se faire appeler « de Villedieu » et se faire officiellement considérer, avec l’approbation de sa belle-famille, comme sa veuve.

Suit une vie d’écrivaine, très riche en publication, et elle était à son époque très reconnue sur la scène littéraire. Et c’est ce poème, « Jouissance », que j’ai envie de partager avec vous aujourd’hui :

Aujourd’hui dans tes bras j’ai demeuré pâmée,
Aujourd’hui, cher Tirsis, ton amoureuse ardeur
Triomphe impunément de toute ma pudeur
Et je cède aux transports dont mon âme est charmée.

Ta flamme et ton respect m’ont enfin désarmée ;
Dans nos embrassements, je mets tout mon bonheur
Et je ne connais plus de vertu ni d’honneur
Puisque j’aime Tirsis et que j’en suis aimée.

Ô vous, faibles esprits, qui ne connaissez pas
Les plaisirs les plus doux que l’on goûte ici-bas,
Apprenez les transports dont mon âme est ravie !

Une douce langueur m’ôte le sentiment,
Je meurs entre les bras de mon fidèle Amant,
Et c’est dans cette mort que je trouve la vie.

Je trouve cela absolument magnifique. Et vous ?

Souvent le cœur qu’on croyait mort / N’est qu’un animal endormi 

En faisant mes recherches pour l’Oracle des poètes, je suis souvent tombée sur des textes de Cécile Sauvage. J’en avais déjà entendu parler, mais je ne sais pas pourquoi, je m’étais persuadée qu’il s’agissait d’une poétesse contemporaine (non, je ne confonds pas avec Cécile Coulon). C’est intéressant d’ailleurs cette méprise : cela montre bien l’intemporalité et l’universalité de la poésie, puisque ses textes semblent avoir été écrits hier. Cécile Sauvage est une poétesse et femmes de lettres née en 1883 et décédée en 1827, après avoir eu une vie plutôt riche et avoir été une autrice reconnue. Je trouve vraiment dommage qu’on n’en parle pas plus aujourd’hui. Mais je vais creuser, car elle pourra nourrir, elle aussi, le personnage d’Adèle.

J’avais donc envie de partager avec vous ce poème, qui illustre la carte « Cœur » de mon oracle, qui tombe souvent en ce moment :

Souvent le coeur qu’on croyait mort
N’est qu’un animal endormi
 ;
Un air qui souffle un peu plus fort
Va le réveiller à demi ;
Un rameau tombant de sa branche
Le fait bondir sur ses jarrets
Et, brillante, il voit sur les prés
Lui sourire la lune blanche.

Cécile SAUVAGE, Mélancolie