Il meurt lentement celui qui ne change pas de cap lorsqu’il est malheureux

Toute à mon « projet poétique » (je sais qu’il suscite une vague curiosité, mais pour l’instant je n’en dis pas plus, mais c’est un volet de mon changement de cap professionnel), je cherchais un poème sur le voyage. Thème classique, il y en a des milliers.

Et le premier sur lequel je tombe, c’est ce poème de Martha Medeiros, souvent attribué à Neruda, qui, il faut bien être honnête, m’a fait l’effet d’un clin d’œil de l’Univers, puisque c’était un jour où justement je réfléchissais à la prise de risque, qui est un peu mon challenge actuel. Alors voilà, il faut savoir sortir de sa zone de confort. Changer de cap.

Il meurt lentement
celui qui ne voyage pas,
celui qui ne lit pas,
celui qui n’écoute pas de musique,
celui qui ne sait pas trouver
grâce à ses yeux.

Il meurt lentement
celui qui détruit son amour-propre,
celui qui ne se laisse jamais aider.

Il meurt lentement
celui qui devient esclave de l’habitude
refaisant tous les jours les mêmes chemins,
celui qui ne change jamais de repère,
Ne se risque jamais à changer la couleur
de ses vêtements
Ou qui ne parle jamais à un inconnu

Il meurt lentement
celui qui évite la passion
et son tourbillon d’émotions
celles qui redonnent la lumière dans les yeux
et réparent les cœurs blessés

Il meurt lentement
celui qui ne change pas de cap
lorsqu’il est malheureux

au travail ou en amour,
celui qui ne prend pas de risques
pour réaliser ses rêves,
celui qui, pas une seule fois dans sa vie,
n’a fui les conseils sensés.

Vis maintenant!
Risque-toi aujourd’hui!
Agis tout de suite!
Ne te laisse pas mourir lentement!
Ne te prive pas d’être heureux!

Martha Medeiros

Les vers glacés réchauffent nos émotions

Toujours plongée dans mon projet poétique, je cherchais un poème sur l’hiver et la neige, et j’ai trouvé celui-ci, qui ne correspond pas à ce que je veux pour plusieurs raisons, mais qui m’a touchée, alors j’ai eu envie de le partager avec vous !

à l’abime des incertitudes,
les frimas hivernaux s’enroulent
et cueillent toutes nos lassitudes
qui jonchent nos esprits en foule.

à la lisière des moments d’incertitude
il neige des pétales d’espoir en nos coeurs :
éclats de cristal ensorcellant nos heures
perdues dans la foule de nos habitude.

les vers glacés réchauffent nos émotions :
elles les remplissent de sanglots
et déverseront, sur la feuille des flocons
d’images passées en grandes eaux

Caroline BAUCHER

En attendant Noël : le plus beau cadeau

En cette veille de Noël, j’avais envie de partager avec vous ce poème d’un auteur que je ne connaissais absolument pas, Raymond Richard. Un poème de Noël, donc, pour les enfants on va dire, mais dont le message m’a touchée !

Le plus beau cadeau

Noël ! Que nous apportes-tu
Dans tes bras si fragiles ? 
Un cheval ? Une automobile ? 
Un Pierrot au chapeau pointu ? 

Noël, que nous apportes-tu ? 
Nous apportes-tu dans ta hotte 
Des oranges, du chocolat, 
du pain d’épices, des nougats 
Des pralines, des papillotes ?
 

Qu’y a-t-il au fond de ta hotte ?
Des joujoux, bien sûr, c’est parfait 
Et c’est si bon les friandises ! 
Mais, dans tes menottes exquises 
Trouverons-nous d’autres bienfaits ? 
Noël, apporte-nous la Paix ! 

Raymond RICHARD

Je vous souhaites donc un réveillon de Noël aussi beau que possible dans les circonstances actuelles. Que Noël, Sol Invictus, nous apporte la lumière, la paix, et l’amour !

Que serais-je sans toi qu’un cœur au bois dormant

Un peu de poésie aujourd’hui (ça faisait longtemps) et j’avais envie de partager avec vous ce poème qui est pour moi un des plus beaux du monde et qui m’a à un moment inspiré un des titres de roman n°1 (si quelqu’un demande des nouvelles : j’en suis à la 43e couche de corrections et il n’a plus grand chose à voir avec ce qu’il était au départ) où il est question de bois dormant et de cœur (et de belle aussi, enfin ça a varié et désormais c’est une autre métaphore mais qui veut dire la même chose). Donc : Aragon, « Que serais-je sans toi » (rien).

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu’un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.

J’ai tout appris de toi sur les choses humaines
Et j’ai vu désormais le monde à ta façon
J’ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines
Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines
Comme au passant qui chante on reprend sa chanson
J’ai tout appris de toi jusqu’au sens du frisson.

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu’un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.

J’ai tout appris de toi pour ce qui me concerne
Qu’il fait jour à midi qu’un ciel peut être bleu
Que le bonheur n’est pas un quinquet de taverne
Tu m’as pris par la main dans cet enfer moderne
Où l’homme ne sait plus ce que c’est qu’être deux
Tu m’as pris par la main comme un amant heureux.

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu’un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.

Qui parle de bonheur a souvent les yeux tristes
N’est-ce pas un sanglot de la déconvenue
Une corde brisée aux doigts du guitariste
Et pourtant je vous dis que le bonheur existe
Ailleurs que dans le rêve ailleurs que dans les nues
Terre terre voici ses rades inconnues.

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu’un coeur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.

Louis ARAGON, Le Roman inachevé

Et bien sûr, Jean Ferrat :

La vie est un poème

L’autre jour, l’idée de « poème tutélaire » est venue à moi alors que j’écrivais. Je n’y avais jamais pensé mais cela me semble bien sûr une évidence. Nous avons sans doute tous notre poème. Pas seulement celui qui nous touche et nous fait vibrer, ça nous en avons des centaines. Non, celui parle de nous, celui qui nous guide et nous raconte les secrets de la vie.

Celui grâce auquel nous habitons poétiquement le monde. Et peut-être que, parfois, la mission de toute une vie est de le trouver. Peut-être que d’autres fois, il nous est donné dès le départ. Peut-être aussi qu’il change, à mesure que nous avançons sur notre route.

Le mien, je l’ai déjà raconté, m’a été donné très jeune : c’est « Correspondances » de Baudelaire. Parce que la forêt de symboles (et oui, je crois que chaque jour je regarde le monde comme ça et j’écoute ses confuses paroles pour y mettre de l’ordre), parce que les sens.

Mais, de plus en plus, « Soleil et chair » de Rimbaud vient se faire une place. Le Monde vibrera comme une immense lyre / Dans le frémissement d’un immense baiser ! / – Le Monde a soif d’amour : tu viendras l’apaiser. Peut-être que j’ai deux poèmes tutélaires ?

Et vous, quel est votre poème ?

Alors l’homme et la femme en leur agilité Jouissaient sans mensonge et sans anxiété

Plus je lis Baudelaire et plus je me rends compte que non seulement il avait compris des choses essentielles sur le monde (ça, cela semble une évidence) mais aussi qu’il a bien plus profondément influencé ma propre vision du monde que je le pensais. Pas avec tous ses poèmes, mais avec certains.

Prenons celui-là, « J’aime le souvenir de ces époques nues », sur lequel je suis retombée l’autre jour. Pas par hasard : il se trouve que des éditions des Fleurs du Mal j’en ai une bonne quinzaine, et qu’il y en avait une que j’avais deux fois. J’ai donc décidé d’en sacrifier une pour mon journal poétique et je m’en suis donnée à cœur joie avec « Correspondances », qui est mon poème tutélaire. Enfin, un de mes.

Et le suivant dans le recueil est donc celui que je vous offre aujourd’hui, et qui dit tout sur notre monde en manque d’unité, d’harmonie, d’amour, de beautéd’immanence. Et le rôle du poète de se souvenir, et de réenchanter.

J’aime le souvenir de ces époques nues,
Dont Phoebus se plaisait à dorer les statues.
Alors l’homme et la femme en leur agilité
Jouissaient sans mensonge et sans anxiété,

Et, le ciel amoureux leur caressant l’échine,
Exerçaient la santé de leur noble machine.
Cybèle alors, fertile en produits généreux,
Ne trouvait point ses fils un poids trop onéreux,
Mais, louve au cœur gonflé de tendresses communes
Abreuvait l’univers à ses tétines brunes.
L’homme, élégant, robuste et fort, avait le droit
D’être fier des beautés qui le nommaient leur roi ;
Fruits purs de tout outrage et vierges de gerçures,
Dont la chair lisse et ferme appelait les morsures !

Le Poète aujourd’hui, quand il veut concevoir
Ces natives grandeurs, aux lieux où se font voir
La nudité de l’homme et celle de la femme,
Sent un froid ténébreux envelopper son âme
Devant ce noir tableau plein d’épouvantement.
Ô monstruosités pleurant leur vêtement !
Ô ridicules troncs ! torses dignes des masques !
Ô pauvres corps tordus, maigres, ventrus ou flasques,
Que le dieu de l’Utile, implacable et serein,
Enfants, emmaillota dans ses langes d’airain !
Et vous, femmes, hélas ! pâles comme des cierges,
Que ronge et que nourrit la débauche, et vous, vierges,
Du vice maternel traînant l’hérédité
Et toutes les hideurs de la fécondité !

Nous avons, il est vrai, nations corrompues,
Aux peuples anciens des beautés inconnues :
Des visages rongés par les chancres du cœur,
Et comme qui dirait des beautés de langueur ;
Mais ces inventions de nos muses tardives
N’empêcheront jamais les races maladives
De rendre à la jeunesse un hommage profond,
— À la sainte jeunesse, à l’air simple, au doux front,
À l’oeil limpide et clair ainsi qu’une eau courante,
Et qui va répandant sur tout, insouciante
Comme l’azur du ciel, les oiseaux et les fleurs,
Ses parfums, ses chansons et ses douces chaleurs!

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal

J’oublie, en revoyant votre heureuse clarté, Forêt, tourmente, et nuit, longue, orageuse, et noire.

L’autre jour, toute à mes découpages et collages, j’ai mis ce poème de Jodelle sur une page sans trop le lire. Et quand je l’ai enfin regardé de plus près, la page terminée, j’ai souri : d’abord parce qu’il m’a semblé être un signe vu qu’il correspond pas mal à certaines choses de ma vie. Et puis j’ai trouvé finalement que c’est un peu la suite du poème de Marbeuf : on a pris des risques, essuyé des tempêtes, mais à la fin tout est bien.

Espérons, en tout cas. Mais ce n’est pas au milieu du chemin qu’il faut faire demi-tour, de toute façon et ce poème est un magnifique texte sur l’absence de l’être aimé et les épreuves à traverser avant de trouver la joie !

Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde
Loin de chemin, d’orée et d’adresse, et de gens :
Comme un qui en la mer grosse d’horribles vents,
Se voit presque engloutir des grands vagues de l’onde :
 
Comme un qui erre aux champs, lors que la nuit au monde
Ravit toute clarté, j’avais perdu long temps
Voie, route, et lumière, et presque avec le sens,
Perdu long temps l’objet, où plus mon heur se fonde.
 
Mais quand on voit, ayant ces maux fini leur tour,
Aux bois, en mer, aux champs, le bout, le port, le jour,
Ce bien présent plus grand que son mal on vient croire.
 
Moi donc qui ai tout tel en votre absence été,
J’oublie, en revoyant votre heureuse clarté,
Forêt, tourmente, et nuit, longue, orageuse, et noire.

Etienne Jodelle, « Comme un qui s’est perdu », Les Amours (16e siècle)