Lire écrire jouir, de Camille Moreau : quand le texte se fait chair

La littérature elle-même regorge d’exemples de dons amoureux et érotiques de livres. La raison en est que le livre, par essence, est une voie vers la subjectivité profonde de celui qui l’a lu et aimé. Le don du livre est un don du langage, et l’exemple de Gilgamesh montre à quel point sexualité et langage sont liés. Voilà pourquoi lorsque je désire, ou j’aime, je veux offrir du langage, et la manière la plus effective de le faire (outre le « je t’aime » dont il sera question dans un prochain chapitre) est sans doute d’offrir son expression figée : du texte. La raison pour laquelle nous offrons des livres aux personnes dépositaires de notre désir, c’est parce que le texte est lui-même une dédicace, puisqu’il donne d’innombrables indices sur la personne que nous sommes et sur nos goûts et pensées. Ainsi le don d’un livre est comme une façon de dire : « Ce que je ressens à ton endroit ne peut s’énoncer que dans une expression artistique ».

La littérature, l’amour et le désir sont intimement liés. De fait, je suis un écrivain du désir, et pas seulement parce que j’écris de l’érotisme. C’est simplement que pour moi, la pulsion de vie a deux faces : aimer, et écrire. C’est d’ailleurs mon mantra, que l’on peut lire sur la boîte lumineuse dans mon salon : « Vis, Aime, Ecris ». Et quand j’aime, je ne me contente pas d’offrir des livres, non, j’écris des livres pour l’être aimé. C’est amusant, d’ailleurs : il y a des femmes, quand elles sont amoureuses, elles ont envie d’avoir un enfant avec celui qu’elles aiment. Moi, j’ai envie d’avoir un livre

Tout cela pour dire que j’étais très intriguée par cet essai, que Camille Moreau a adapté de sa thèse, et qui interroge les liens entre le texte et l’expérience érotique : comment le texte accompagne l’expérience érotique, mais aussi suscite cette expérience, voir la constitue, la lecture (et l’écriture) étant une activité charnelle, qui engage le corps et les sens.

Cela fait longtemps que je n’avais rien lu d’aussi brillant : passionnant, appuyé sur des recherches précises et des réflexions tant littéraires que philosophiques ainsi qu’un corpus riche et varié (je n’ai pas pu m’empêcher de penser que, vraiment, Camille Moreau a dû passer de fantastiques années de recherche), cet essai ouvre de très nombreuses pistes de réflexion et d’introspection sur le rapports que nous entretenons avec les textes et comment ils entretiennent l’amour et le désir. Il m’a également donné de nombreuses idées pour quelques textes, et pour autre chose aussi d’ailleurs. Plusieurs passages en particulier m’ont plongée dans des abîmes de réflexions métaphysiques, et notamment celui sur Anaïs Nin et l’écriture du journal, qui m’a bouleversée (oui) tant je me suis reconnue (mais ce n’est pas la première fois que j’ai cette impression avec Anaïs Nin…)

Un essai que je conseille vivement et pas seulement à ceux qui s’intéressent à la littérature érotique, mais plus généralement à ceux qui aiment les livres. C’est un parfait prolongement de l’essai de Belinda Cannone, qui est d’ailleurs souvent cité : L’Ecriture du désir (que j’ai envie de relire, tiens…).

Lire écrire jouir. Quand le texte se fait chair.
Camille MOREAU
La Musardine, 2022