Cinq conférences Ted pour s’inspirer

Donner une conférence Ted (ou plutôt TedX ça sera un peu plus facile) est un des points de ma Bucket List. En fait, j’ai déjà le sujet, le point d’accroche, et il ne me reste plus qu’à oser poser ma candidature, et c’est là que, pour le moment, ça bloque. Je ne sais pas pourquoi : parler en public n’est absolument pas un problème pour moi, j’ai déjà donné des conférences, mais là, pour le moment, ça résiste. Peut-être parce que c’est plus engageant. Je ne sais pas. Pour le moment, je laisse faire, je verrai quand j’aurai le déclic. Le bon moment n’est peut-être pas encore arrivé.

En attendant, je trouve ce format de conférences vraiment très inspirant, et aujourd’hui je vous propose une petite liste de cinq talks, comme on les appelle, qui me semblent indispensables ou en tout cas qui m’ont beaucoup fait réfléchir :

Chimamanda Ngozi Adichie, Nous devrions tous être féministes, conférence à l’origine de son célèbre essai : j’aime énormément la vision du féminisme portée par Adichie, qui devient un véritable humanisme. Et j’aime beaucoup, également, son ton et son humour.

Elizabeth Gilbert, l’insaisissable génie créatif : Elizabeth Gilbert est un de mes mentors, elle a donné plusieurs conférences et celle-ci est ma préférée, car elle y parle de créativité et d’écriture et que sa manière d’aborder la question m’inspire beaucoup.

Susan Cain, Le Pouvoir des introvertis : une conférence que j’ai découverte l’autre jour, et qui aborde tout ce que les introvertis apportent au monde alors même que le monde n’est absolument pas fait pour eux, et que c’est peut-être quelque chose qu’il faudrait revoir :

Brené Brown, Le pouvoir de la vulnérabilité dont j’ai déjà parlé et que je trouve vraiment très importante (et à mettre en perspective avec la précédente).

Simon Sinek, Comment les grands leaders inspirent l’action : une conférence essentielle, qui nous explique qu’à la base de toute entreprise qui fonctionne, il y a la connaissance de la raison pour laquelle on fait ce que l’on fait. Cette conférence m’a beaucoup fait réfléchir ces derniers temps !

Voilà pour mes cinq préférées, mais le site est une mine d’or sur tous les sujets. Si vous en avez à me conseiller, n’hésitez pas !

Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe de Chimamanda Ngozi Adichie

Nous sommes tous des féministes, de Chimamanda Ngozi AdichieSi elle aime le maquillage, laisse-la en porter. Si elle aime la mode, laisse-la choisir ses tenues avec soin. Mais si elle n’aime rien de tout ça, laisse-la faire comme elle veut. Ne pense pas que lui donner une éducation féministe implique de la contraindre à refuser la féminité. Le féminisme et la féminité ne sont pas incompatibles. Prétendre le contraire, c’est misogyne. Malheureusement, les femmes ont appris à avoir honte et à s’excuser de s’intéresser à des choses considérées comme traditionnellement féminines, comme la mode ou le maquillage. Notre société n’attend pourtant pas d’excuses de la part des hommes qui ont des centres d’intérêt considérés comme typiquement masculins — les voitures de sport ou certains sports professionnels. De la même façon, un homme qui soigne son apparence n’est jamais suspect de la même manière qu’une femme qui soigne son apparence : un homme bien habillé n’a pas à redouter que, parce qu’il est bien habillé, on puisse en tirer des conclusions sur son intelligence, ses compétences ou son sérieux. Une femme, en revanche, aura toujours conscience qu’un rouge à lèvres de couleur vive ou une tenue raffinée peuvent très bien conduire les autres à penser qu’elle est frivole. 

Voici le dernier né des textes féministes de Chimamanda Ngozi Adichie.

Il s’agit d’une réponse en 15 propositions à la sollicitation d’une amie, qui lui demande comment donner une éducation féministe à sa petite fille qui vient de naître. Cette lettre permet en même temps à Adichie de structurer sa pensée féministe.

Toutes ces propositions, dans l’ensemble, reposent surtout sur le bon sens : être une personne pleine et entière et pas seulement une mère ; laisser sa place au père ; supprimer tous les rôles de genre ; refuser le « féminisme light » (qui consiste finalement à accepter comme une donnée de départ que les hommes sont supérieurs aux femmes ; lui faire lire des livres ; lui apprendre à questionner le sens des mots ; ne pas lui présenter le mariage comme un accomplissement ; lui apprendre à ne pas se soucier de plaire ; lui donner le sentiment de son identité ; la laisser gérer son apparence physique ; la pousser à questionner les normes ; lui parler de sexe ; lui parler aussi d’amour ; éviter le manichéisme ; accepter la différence.

Finalement, plus que féministe, j’aurais envie de qualifier cette éducation d’humaniste, car elle cherche finalement à former un individu heureux et complet, qui est vraiment lui-même. Le tout avec un humour mordant (savoir cuisiner n’est pas une compétence préinstallée dans le vagin) et beaucoup d’anecdotes. Il n’y a qu’un point sur lequel je ne suis pas d’accord avec Adichie, c’est la galanterie, mais sinon, encore une fois, cela faisait longtemps que je n’avais pas lu quelque chose d’aussi éclairant, intelligent, convaincant sur ce sujet !

Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe
Chimamanda NGOZI ADICHIE
Traduit de l’anglais (Nigeria) par Marguerite Capelle
Gallimard, 2017

Nous sommes tous des féministes, de Chimamanda Ngozi Adichie

Nous sommes tous des féministes, de Chimamanda Ngozi AdichieLes hommes et les femmes sont différents. Nous n’avons ni les mêmes hormones, ni les mêmes organes génitaux, ni les mêmes capacités biologiques — les femmes peuvent avoir des enfants, les hommes non. Les hommes sécrètent de la testostérone et sont généralement plus forts physiquement que les femmes. Il y a un peu plus de femmes que d’hommes dans le monde — elles constituent cinquante deux pour cent de la population mondiale —, pourtant les hommes occupent la plupart des postes importants ou prestigieux. Feu Wangari Maathai, lauréate kényane du prix Nobel de la paix, l’a résumé par une formule aussi simple que percutante : « Plus on s’élève dans l’échelle sociale, moins il y a de femmes. »

La lecture de la formidable nouvelle de Chimamanda Ngozi Adichie dans le dernier numéro d’America m’a opportunément rappelé que, depuis Americanah, j’avais envie de lire d’autres de ses textes, et notamment ses essais sur le féminisme, ce qui tombe bien car l’un d’entre eux vient de paraître. Mais soyons logiques, et commençons par We should all be feminists, soit Nous devrions tous être féministes.

Il s’agit de la version remaniée d’une conférence donnée en 2012 au TEDxEuston, un colloque annuel sur l’Afrique, dans lequel Adichie explique que nous devrions tous, hommes comme femmes, être féministes, car le féminisme libère finalement tous les individus. L’édition comporte un deuxième texte, « les marieuses », dans lequel, suite à un mariage arrangé au Nigéria, la narratrice vient d’arriver à New-York avec son « mari tout neuf », et découvre un nouveau monde.

L’essai We should all be feminists, travaillé par un humour souvent assez sarcastique et émaillé d’anecdotes personnelles, est sans doute ce que j’ai lu de plus intelligent sur le sujet depuis bien longtemps. Adichie part de l’idée que, pour bien des gens, le mot « féministe » est chargé de connotations négatives : les féministes sont malheureuses car elles ne trouvent pas de mari, il s’agit de toute façon d’un concept occidental teinté de colonialisme, et les féministes haïssent les hommes. Adichie, qui se revendique féministe africaine heureuse qui ne déteste pas les hommes, entend donc montrer combien, au contraire, le féminisme est indispensable à l’épanouissement de tous, et qu’il y a encore du travail, au Nigeria évidemment (où une femme, par exemple, ne peut pas réserver une chambre d’hôtel toute seule), mais aussi aux Etats-Unis et dans les pays occidentaux, à des degrés divers. Elle rêve d’un monde plus équitable pour tous : des hommes qui ne sont plus écrasés par l’impératif de virilité, des femmes libres. Et, bien sûr, pour que chacun puisse être lui-même, tout repose sur l’éducation, et c’est donc évidemment un problème qui nous concerne tous.

Le féminisme d’Adichie me parle, car il ne contraint pas les femmes à gommer leurs différences avec les hommes, et il n’est pas incompatible avec la féminité, au contraire : Adichie revendique aimer les vêtements, le maquillage et les talons hauts, et cela ne fait pas d’elle une mauvaise féministe voire une traître à la cause.

Quant à la nouvelle, elle est très intéressante : il y est question d’émancipation, d’identité et d’intégration. A lire par curiosité, mais ce qu’il faut absolument lire, c’est l’essai !

Nous sommes tous des féministes
Chimamanda NGOZI ADICHIE
Traduit de l’anglais (Nigeria) par Sylvie Schneiter et Mona de Pracontal
Gallimard, 2013/2015

America n°2

AmericaIl y a de vraies raisons de ne pas désespérer de l’Amérique. Car si l’on peut juger la vitalité d’un pays à la qualité de sa littérature, celle-ci est assurément une nation puissante.

Comme je vous l’annonçais dimanche, le n°2 de la revue Americacréée par François Busnel et Eric Fottorino et dont Julien Bisson vient d’être nommé rédacteur en chef, vient de paraître. Et il s’agit, encore une fois, d’un excellent numéro, riche et instructif. Outre l’édito de François Busnel et les chroniques d’Olivia de Lamberterie et d’Augustin Trapenard, je vous conseille de vous précipiter notamment sur :
– Un article de Salman Rushdie, « l’ami imparfait », en version bilingue, dans lequel l’écrivain étrille quelque peu le désir aveuglant de pureté en politique, et vante les mérites de l' »ami imparfait ». Un exercice de réflexion salutaire, qu’il faudrait que tout le monde lise.
– Une nouvelle inédite de Chimamanda Ngozi Adichie, « les Arrangements » : elle nous y raconte une journée dans la vie de Melania Trump avant l’élection, façon Mrs Dalloway. C’est totalement délicieux !
– Un entretien au long cours avec Don DeLillo, ainsi qu’un extrait de son roman à paraître à la rentrée littéraire, Zero K.

Tout le reste est également riche et passionnant : l’hilarante chronique du poisson rouge, les indispensables de la littérature américaine à savourer pendant l’été et notamment le lauréat du premier Prix America, William Finnegan, une nouvelle de Laurent Gaudé qui revient sur l’invention de fil barbelé, un voyage dans le mythique parc national de Yellowstone avec Joël Dicker, un article de Douglas Kennedy sur La Garçonnière de Billy Wilder, un extrait en avant-première d’un des romans de la rentrée, Underground Railroad de Colson Whitehead, un dossier sur Martin Eden de Jack London… Et bien sûr, à nouveau, infographies, cartes et chronologies !

Bref : encore une fois, que du bon dans ce mook qui donne la parole aux écrivains pour nous parler du monde. Parfait pour les longs voyages en train ou en avion, ou pour les heures de chaise longue au soleil…

America – L’Amérique comme vous ne l’avez jamais lue
n°2 – été 2017
Trimestriel. 19€

Americanah, de Chimamanda Ngozi Adichie

Mais s’il gagne, il ne sera plus noir, de même qu’Oprah n’est plus noire, elle est Oprah, dit Grace. Si bien qu’elle peut se rendre sans problème dans les endroits où les Noirs sont détestés. Il ne sera plus noir, il sera seulement Obama.

Qu’est-ce qu’être noir, aujourd’hui, aux Etats-Unis ? Qu’est-ce qu’être noir américain, qu’est-ce qu’être noir non américain ?

C’est une des nombreuses questions que pose ce roman de Chimamanda Ngozi Adichie, qui est en train de devenir un véritable phénomène. Tout le monde semble l’avoir lu, être en train de le lire ou projeter de le lire dans un avenir proche. Alors c’est un pavé, et il aborde tellement de thèmes qu’il faut avoir du temps devant soi pour pouvoir en profiter pleinement, mais franchement, il mérite son succès.

Lorsque le roman commence, Ifemelu, après de nombreuses années passées aux Etats-Unis, est sur le point de rentrer au Nigéria. Décision mûrement réfléchie puisqu’elle n’y est pas du tout obligée, et qui lui permet, alors qu’elle se fait faire des tresses dans un salon, de se replonger, sous forme d’analepse, dans son histoire : son enfance à Lagos, puis son départ pour l’eldorado américain qu’elle imagine comme un épisode du Cosby Show, ses études et les débuts de sa vie d’adulte.

La question des tresses n’est pas là par hasard, et c’est l’un des points d’achoppement du roman, comme un fil rouge qui permettrait de mettre en évidence la problématique essentielle : celle de l’identité. Après avoir beaucoup bataillé pour les défriser et les avoir raides, car c’est un moyen de donner une bonne image de soi, Ifemelu décide finalement de les laisser « naturels », et cette décision est finalement très symbolique. Elle veut être elle-même. Elle veut qu’on l’accepte pour ce qu’elle est.

Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne « s’intègre pas » : une Americanah, c’est au contraire celle qui s’est américanisée, en tout cas selon les critères de ceux qui sont « restés au pays ». Toute la question, finalement, est de savoir dans quelle mesure Ifemelu s’est, effectivement, « américanisée ». Il est vrai qu’en plusieurs années, elle s’est habituée à un certain mode de vie. Pourtant, elle garde toujours une certaine distance critique vis-à-vis de ce pays où elle a pris conscience qu’elle était noire.

Il n’y a pas vraiment de réponse à cette question de l’américanisation, pas non plus de jugement, et c’est bien ce qui est passionnant avec ce roman d’une grande richesse : il aborde de nombreuses problématiques complexes, mais ne les résout pas. Tout l’enjeu est dans la mise au jour de tout le processus de la race aux Etats-Unis (et, de façon moins nette mais importante aussi, du genre et de la place des femmes dans la société : féministe convaincue, Adichie a également écrit un essai qui sort aujourd’hui chez Folio : Nous sommes tous des féministes).

Les clichés et les stéréotypes. La dichotomie visible/invisible qui m’a d’ailleurs à de nombreuses reprises rappelé le chef d’œuvre de Ralph Ellison, Invisible Man. 

Un peu comme dans les Lettres Persanes, le point de vue est celui du regard extérieur : c’est un regard neuf et naïf qu’elle pose sur le fonctionnement de la société américaine, et elle en fait un blog, et tout ce qui tourne autour de cette question de l’écriture du blog et de la manière dont il devient un nouveau média de poids (au point qu’elle parvient à gagner sa vie avec, qu’elle est invitée à donner des conférences et qu’un magazine veut le lui racheter) est évidemment fascinante.

D’ailleurs, rentrée au Nigeria, elle en ouvre un autre et compte en faire sa profession. Le texte est émaillé de courts articles du blog en question, souvent assez amusants et irrévérencieux, tout comme l’est son nom, Raceteenth ou Observations diverses sur les Noirs américains (ceux qu’on appelait jadis les nègres) par une Noire non américaine.

Americanah est donc un roman d’une grande richesse et d’une grande profondeur, qui ne manque pas d’humour ni d’une certaine poésie à l’occasion, dont les problématiques peuvent parfois sembler complexes (et éloignées des nôtres car très américaines), mais passionnant, et qui n’est pas un roman à thèse ni un roman sociologique : ce serait, plutôt, un roman d’apprentissage, il nous raconte une histoire, celle d’Ifemelu, personnage extrêmement intéressant et attachant, libre et indépendante, de sa vie, de ses rêves, de ses amours aussi !

Americanah (lien affilié)
Chimamanda NGOZI ADICHIE
Traduit de l’anglais par Anne Damour
Gallimard, « du monde entier », 2015