Je n’étais pas épanouie, encore moins comblée. Mais j’étais, disons, tranquillement malheureuse et avec le recul, ce n’était pas si mal. Je vivais à la manière d’un chat d’appartement, dans la sécurité confortable d’un périmètre contrôlé, toute pleine d’habitudes, lovée dans la croûte dorée d’une délicieuse routine. La routine, je m’en rends compte aujourd’hui, est ce qui nous reste lorsqu’on a tout perdu. J’étais tellement perdue que je m’accrochais à des bribes de réel — la Rose de Titanic sur son morceau de bois, immobile, impuissante, regardant mourir ses rêves dans l’eau réfrigérée.
Roman après roman, Delphine Bertholon s’affirme comme une auteure de grand talent, dont j’ai énormément aimé les textes précédents. Quoi de plus logique, donc, que de me plonger dans le dernier, dont le titre laisse attendre une histoire dont on ne sortira pas indemne ?
Lyla (avec un y) est traductrice, et elle a le sentiment de passer à côté de l’existence. Elle n’est pas heureuse, mais s’accroche néanmoins à son morne quotidien comme à une bouée de sauvetage, et laisse filer la vie. Jusqu’à ce qu’un message sur son répondeur réveille un monstre qu’elle croyait avoir étouffé et la ramène à l’été de ses 16 ans. La ramène à Joris.
Tel un funambule, Delphine Bertholon passe de Lyla à Joris, du passé au présent, et tisse un roman qui secoue, qui serre la gorge, qui fait mal parfois.
Un roman dont, encore une fois, le thème central est celui de la famille, et de la reconstruction : des êtres cassés, abîmés, qui vivent tant bien que mal sur des fondations en sables mouvants. Une mère tyrannique et abusive pour l’une, un père alcoolique et violent pour l’autre, un amour de vacances a priori sans conséquences, et pourtant… Chacun fait ce qu’il peut dans cette histoire, chacun essaie de composer avec les démons du passé, à s’en libérer, chacun cherche à se réconcilier avec lui-même.
Cœur-Naufrage est un roman sombre, douloureux, mais finalement lumineux, porté par une écriture intense et une narration parfaitement maîtrisée : encore une fois, Delphine Bertholon fait mouche et nous parle au creux de l’oreille de nos propres cicatrices. A lire absolument !
Cœur-Naufrage (lien affilié)
Delphine BERTHOLON
Lattès, 2017