Daffodil Silver, d’Isabelle Monnin


L’idée est simple : elle veut écrire un livre qu’on mettra autant de temps à lire que Rosa a vécu. Il s’agit de reconstituer aussi précisément que possible chaque minute de la vie de ma tante, soit 26 années, 97 jours, 16 heures et 30 minutes. Chaque fois que quelqu’un commencera à lire Le Livre de Rosa, pense ma mère, la vie de sa soeur se trouvera prolongée d’autant. Ainsi Rosa vivra éternellement dans les yeux de ses lecteurs. On a les immortalités que l’on peut.

Il y a trois ans, Isabelle Monnin avait publié un très remarqué roman intitulé Les Vies extraordinaires d’Eugène, dans lequel le narrateur, un père dont le bébé venait de mourir, enquêtait pour retracer exactement chaque minute de la vie de son fils durant cette brève semaine, puis partait en quête de ceux qui auraient été ses camarades de crèche, et de ce qu’aurait été sa vie.

Et le moins que l’on puisse dire est qu’il y a beaucoup de similitudes avec le roman que publie l’auteur en cette rentrée littéraire, Daffodil Silver.

Ce roman, c’est d’abord l’histoire d’un lien fusionnel entre deux sœurs, Lilas et Rosa Faure, nées dans une famille un peu fantasque où la tradition est de donner aux garçons des noms d’arbres et aux filles des noms de fleurs.

Et puis, il y a la mort de Rosa, beaucoup trop jeune, d’une cause indéterminée, alors que Lilas a donné peu de temps auparavant naissance à la narratrice, Daffodil. Dès lors, Lilas ne va plus vivre que dans le souvenir de sa sœur, qu’elle souhaite garder vivante et dont elle finit par faire un mythe, passant à côté de sa propre vie et sacrifiant les siens.

C’est un magnifique roman que celui-ci, extrêmement sensible, poignant est triste, mais pas larmoyant pour autant : Isabelle Monnin compose avec la mort et en tire la majesté de la tragédie avec une grande délicatesse.

Le choix de la narratrice est pour beaucoup dans cette distanciation : Daffodil n’a pas vraiment connu sa tante et s’adresse, dans un dialogue à une voix, au notaire chargé de la succession de ses parents, et lui conte toute l’histoire qui, finalement, l’a empêchée d’avoir sa mère pour elle, tant cette dernière était obnubilée par l’érection de ce mausolée gigantesque et tentaculaire à la mémoire d’une morte.

Et tel est bien le nœud de ce roman : incapable de faire son deuil, Lilas sacrifie la vie, la sienne et celle de ceux qui l’aiment, à la mort ; le projet est beau, prend une ampleur inattendue avec la création d’une fondation où les artistes viennent « faire leur Rosa« , œuvre en mémoire d’une morte qu’ils n’ont pas connue mais à qui ils se donnent corps et âme et pour qui ils inventent des installations poétiques comme la « chambre des secrets ».

Le projet fait aussi avancer la science, avec la découverte d’une méthode de contraception sans danger, puisque Rosa serait morte à cause de la pilule.

Mais le projet prend toute la place, et le souvenir de Rosa, tel un vampire, aspire les énergies de tous et brise les amitiés les plus solides.

Avec une très jolie écriture, précise et sensible, Isabelle Monnin nous propose un roman sur la mort, la mémoire, le souvenir, et sur la vie. Un roman qui mérite pleinement d’être lu par beaucoup, et à qui je souhaite un grand succès.

Daffodil Silver (lien affilié)
Isabelle MONNIN
Jean-Claude Lattès, 2013