L’arcane sans nom : élaguer ce qui ne sert plus

Mort symbolique et besoin de clarté

Il y a quelque temps, j’ai consulté une Tarologue. Je ne le fais jamais : je préfère me débrouiller moi-même, mais dans le cas présent, j’avais besoin d’avoir un regard extérieur. Pas pour me prédire l’avenir : pour m’aider à comprendre ce qui se passait dans le présent. Ma question était : pourquoi j’ai l’impression que ma vie reste figée et que je n’arrive pas à évoluer à l’extérieur ?

C’est quelque chose que j’ai déjà noté : ces dernières années j’ai vécu une profonde transformation intérieure, ce qui fait que ce qui me convenait à une époque ne me convient plus du tout. Pourtant, à l’extérieur, ma vie n’a, pour ainsi dire, pas changé d’un pouce, ce qui fait que je me sens bien souvent désaccordée, désalignée. Parce que je n’arrive pas à incarner tout ce qui se passe en moi.

J’ai donc demandé un tirage numérologique. Je ne vous dit pas à qui car je ne suis pas pleinement satisfaite de la manière dont le tirage a été présenté, qui manquait de bienveillance dans la formulation, et heureusement sur certains points que je connais bien le Tarot, même s’il s’agissait du Tarot de Marseille et que je travaille avec le Rider-Waite-Smith. Et le point qui est ressorti, c’est le Pendu, qui revenait beaucoup et marquait cette incapacité non à agir, mais à avoir des résultats.

Parce que je manquais de clarté, d’une véritable vision (la Justice, la Reine d’épée).

La solution ? La mort. Evidemment, présenté comme ça, cela peut faire peur. Mais je connais bien cet arcane et sa symbolique. Pourtant dans un premier temps, je me suis bien demandé ce que je devais encore faire mourir. Je comprenais bien l’idée : faire du tri pour y voir plus clair. Mais je ne voyais pas où.

J’ai donc mis ce tirage de côté, un peu fâchée, et j’ai continué ma petite vie.

Faire le tri dans le passé

Même si le printemps commence à pointer le bout de son nez (pour mon plus grand bonheur), nous sommes toujours en hiver, la saison propice à ce travail de tri, d’élagage, de mort symbolique. Et l’autre jour, j’ai fini par comprendre ce qui se jouait.

Tout est parti d’un désir subi de restructuration du blog et d’un grand bouleversement : j’ai décidé de le passer en autohébergé, pour plein de raisons. Chose que j’avais déjà vaguement envisagée d’ailleurs, sans trouver le courage de me plonger dans les arcanes du développement web.

Là, j’ai pris le taureau par les cornes, regardé des tutoriels pour installer WordPress en local, et l’opération s’est parfaitement déroulée jusqu’à ce que je veuille exporter le contenu d’ici sur le site en construction. Cet import/export, je l’ai déjà fait, je sais le faire et c’est d’ailleurs assez facile, mais dans le cas présent, cela ne fonctionne pas (pour une obscure raison que je n’ai pas encore identifiée clairement).

Que faire alors ?

La réponse m’est apparue dans un rêve. J’avais demandé une réponse, et je l’ai reçue : j’ai rêvé que je déménageais, mais que je n’emportais pas toutes mes affaires : certaines devaient rester là où elles étaient, elles n’avaient plus leur place.

C’est très symbolique, mais le fait est que depuis 14 ans (bientôt) qu’il existe et que j’y écris presque chaque jour, mon blog est devenu une sorte d’extension de moi-même. Et que faire le tri, me débarrasser de ce qui n’est plus aligné, de ce qui ne vibre plus, passe par-là.

Descente en rappel

Alors me voilà, plongée dans mes archives. J’ai déjà supprimé 500 articles qui ne correspondaient plus à rien. Je relis, j’optimise, je corrige (essentiellement les liens), j’élague si besoin est.

C’est la raison pour laquelle vous êtes parfois notifié de la publication d’un article, alors que celui-ci date de 2010.

C’est long. J’en ai pour des semaines (voire des mois, vu le nombre d’articles). Mais c’est fascinant : comme relire mes journaux, ce travail me permet de tirer le fil rouge entre celle que j’étais en 2010 et celle que je suis aujourd’hui. Constater l’évolution. Voir ce qui est mort, ce qui n’existe plus, ne vibre plus, n’est plus aligné, et le supprimer.

Prendre conscience de ce qui est encore là. Ce qui a toujours été là et que je ne voyais pas tant c’était noyé au milieu de tout le reste. L’essentiel étouffé par le superficiel. Et le conserver précieusement.

Supprimer les mauvaises herbes qui empêchent les belles fleurs de pousser.

Renaître au printemps ?

Je m’y suis peut-être prise un peu tard, pour ce travail de désherbage. Pourtant : tout me paraît déjà plus clair. Je sais où je veux aller.

Beauté cachée, de David Frankel : nous sommes tous connectés

Un film dont je n’avais, étrangement, jamais entendu parler jusqu’à l’autre soir, mais qui m’a profondément touchée… et fait réfléchir.

Howard Inlet est un publicitaire new-yorkais qui croit fermement à son rôle de créer du lien : pour lui tous les êtres humains sont connectés, car tous touchés par les trois abstractions que sont la mort, le temps, et l’amour. Mais survient une tragédie : la mort de sa fille, qui le plonge dans une profonde dépression dont ses amis et collaborateurs voudraient l’aider à sortir. Ayant découvert qu’il écrivait des « lettres thérapeutiques » aux 3 entités, ils engagent des comédiens pour les incarner.

Un très très beau film, touchant et délicat, qui m’a fait beaucoup pleurer mais aussi, je le disais en introduction, réfléchir. Et je pense écrire aussi à la mort, au temps et à l’amour (et à d’autres entités, je pense) : l’exercice ne peut être que salutaire !

Beauté cachée
David FRANKEL
2016 (disponible sur Netflix)

La mort n’est jamais comme, de Claude Ber : sauver une part de vie dans le chaos

Mais sur cette cendre, Loveliebe, la bouche clôt le regard. Des mots tus, des yeux morts naît un arbre noué à la chair et qui pousse des deux côtés du puits une frondaison d’yeux et de langues, un bosquet d’oiseaux jaseurs, un buisson brûlant de voix vivantes. Poignets greffés au rameau d’amandier qui fait au matin nos visages rieurs, dans l’assentiment de l’éveil accompli il sera temps, promis, pour que les mains se cueillent une à une. 

Publié pour la première fois en 2003 aux éditions Leo Scheer puis réédité en 2013 aux éditions de l’Amandier, La Mort n’est jamais comme de Claude Ber reparaît en ce mois de juin aux éditions Bruno Doucey. A l’origine de ce texte douloureux, la mort de la femme aimée, après un basculement dans la folie dont elle n’est pas revenue.

Un texte fort, puissant, bouleversant, immensément douloureux et en même temps lumineux, où s’affrontent une fois encore Eros et Thanatos. L’écriture comme survie, mais aux lieux où le langage se déstructure. Une poésie qui parle au corps plus qu’à l’intellect, et qui s’expérimente plus qu’elle ne se comprend — raison pour laquelle, au final, j’ai bien du mal à mettre des mots dessus.

La mort n’est jamais comme
Claude BER
Bruno Doucey, 2019

The haunting of Hill House, de Mike Flanagan : qui sont les fantômes ?

L’amour est un renoncement à toute logique. Le renoncement volontaire aux pensées rationnelles. On lui cède, ou on le combat. Mais nous ne pouvons pas faire de compromis. Et sans l’amour, nous ne pouvons pas vivre raisonnablement, ni longtemps, dans des conditions de réalité absolue. 

La série qui cartonne sur Netflix depuis sa sortie mondiale le 12 octobre. Habituellement, ce n’est pas trop mon truc, je suis beaucoup trop impressionnable et émotive et comme je ne suis pas spécialement masochiste contrairement à ce qu’on pourrait croire parfois, j’évite les films et séries qui pourraient me faire faire des cauchemars. Mais. Comme on était en période d’Halloween et que, tout de même, ça avait l’air d’une excellente série, j’ai jeté un œil par curiosité, avant de jeter tout le reste.

Steven Crain est un écrivain à succès, spécialisé dans les histoires de fantômes. Son premier livre était consacré à Hill House, la maison hantée la plus célèbre des Etats-Unis, où il a vécu enfant. Mais lui-même, contrairement à ses sœurs et à son frère, n’en a jamais vu, et d’ailleurs, il n’y croit pas. Jusqu’à ce que…

Une série qui mérite pleinement son succès, très éprouvante émotionnellement, mais parce qu’elle n’est pas, seulement, une série d’épouvante : d’une grande profondeur symbolique, philosophique et métaphysique, elle interroge nos liens avec nos peurs les plus intimes, la mort bien évidemment, mais aussi les regrets, les remords, les souvenirs… tout ce qui peut nous hanter. Pour autant, la dimension fantastique est bien là, avec un vrai travail sur le gothique et l’histoire du genre : un manoir qui s’anime la nuit, des bruits, des cognements, une pièce fermée. Au fil des épisodes, construits sur une alternance entre le passé de la famille Crain et son présent, la tension monte et la terreur avec. Au début, les phénomènes paranormaux sont suggérés, de manière à rester dans l’indécision propre au genre fantastique et qui est tellement difficile à rendre sur écran. Et puis ils se font de plus en plus envahissants, prenants, réels, à mesure que l’on met le doigts sur les secrets enfouis.

Je vais être honnête : je n’ai pas tout à fait tout compris, mais je pense que ce n’est pas grave : cette série m’a littéralement scotchée, remuée, pas mal fait pleurer, mais aussi beaucoup fait réfléchir sur mes propres fantômes… A voir donc, pas seulement pour se faire peur un soir d’Halloween !

The Haunting of Hill House
Mike Flanagan
Netflix, 2018 (une saison 2 serait en réflexion, centrée sur une autre famille)

L’ange de l’histoire, de Rabih Alameddine : la douleur de ne pas oublier

Oublier est bon pour l’âme, dit Mort. Non seulement bon mais nécessaire. Comment veux-tu qu’ils continuent à vivre si aucun souvenir ne peut s’estomper ? Nous devons oublier, tous nous le devons. Ne te rappelles-tu pas le garçon de Fray Bentos, Funès ou la mémoire ? Borges affirmait que le garçon se souvenait de tout, de chaque minute, du moindre détail sans intérêt : de la forme des nuages, mammatus le mardi après-midi à deux heures, de la rotation de la roue hydraulique et de sa circonférence, de la couleur de chaque poil de la crinière d’une jument. Le pauvre garçon avait besoin d’une journée entière pour reconstruire la précédente car il ne pouvait rien oublier. Dans le monde si rempli de Funès il n’y avait guère que du détail. Il ne pouvait rien créer, rien inventer. La douleur de tout cela, la douleur de ne pas oublier. 

Il y a deux ans, j’avais été particulièrement séduite par Les vies de papier, de Rabih Alameddine, et je n’avais d’ailleurs pas été la seule, puisqu’il avait reçu le prix Femina étranger. Il est donc somme toute logique que je me sois intéressée à son nouveau roman, qui nous plonge dans l’histoire d’un poète hanté par les souvenirs…

Pendant que Jacob passe la nuit aux urgences psychiatriques et que nous découvrons ses carnets, où il s’adresse à l’homme qu’il aimait, mort depuis de nombreuses années, Satan, Mort et quelques Saints ont un entretien à son sujet. Qu’est-ce que ce poète, libanais par son père et yéménite par sa mère, homosexuel, qui a passé son enfance dans un bordel du Caire avant d’être abandonné dans une institution catholique au Liban, puis de s’installer à San Francisco où tous ceux qu’il aime sont décimés par le Sida, qu’est-ce que ce poète, donc, a de si spécial pour intéresser toutes ces entités mythologiques ?

Prodigieux conte philosophique sur la mémoire et l’oubli, l’identité, l’amour, la mort, L’Ange de l’histoire a de quoi déconcerter de prime abord, de par sa construction complexe. Mais, très vite, on se laisse envoûter et entraîner dans ce vertige métaphysique, et on s’attache à Jacob, cet être fragmenté, clivé, torturé par son passé. Le texte oscille sans cesse entre l’ombre et la lumière, et pose une question essentielle : faut-il oublier pour vivre ? Chacun, sans doute, aura sa réponse, parce que chacun fait ce qu’il peut avec son passé, et choisira Satan, qui ne cesse de remettre Jacob face à ses souvenirs (et dans ce texte Satan n’est pas négatif, il se révèle même souvent sympathique et drôle), ou Mort, qui prône l’oubli.

Bref, un texte riche et complexe de par les questionnements qu’il suscite, fort irrévérencieux dans sa manière d’aborder la religion, mais qui n’oublie pas aussi, souvent, d’être assez drôle malgré l’omniprésence de la mort et de la douleur. Je conseille sans réserves !

L’Ange de l’histoire
Rabih ALAMEDDINE
Traduit de l’anglais par Nicolas Richard
Les Escales, 2018

L’avis (mitigé) de Jérôme

1% Rentrée littéraire 2018 – 6/6

La Part des anges, de Laurent Bénégui

La Part des anges, de Laurent BénéguiIl n’y pouvait rien, quelles que soient les circonstances, la cocasserie de la vie s’imposait à son esprit sans crier gare. Souvent, il aurait préféré ne pas appréhender la réalité au travers du prisme de cette imperceptible vibration de la raison. Ce jour-là, par exemple, alors qu’il venait d’apprendre le décès de Muriel et qu’il devait organiser les funérailles depuis Paris. S’il y avait une situation à prendre au premier degré, c’était bien celle-ci, mais il s’agissait sans doute du plus ancien et aussi d’un des plus précieux legs de sa mère. L’ironie est la semelle qui piétine le malheur, le bras tenu à distance de l’épaule du désastre. Au prix d’un sourire, on poursuit sa route. Et parfois même avec plus d’élégance.

J’avais beaucoup aimé les deux précédents romans de Laurent Bénégui, et notamment Naissance d’un pèrequi m’avait profondément touchée (d’ailleurs, si vous achetez celui-ci, vous trouverez un extrait de mon article sur le rabat). Quoi de plus logique donc que de me pencher sur le roman que nous propose Laurent Bénégui, un auteur dont à mon avis on parle trop peu, en cette rentrée littéraire ?

A 35 ans, Maxime vient de perdre sa mère, Muriel. Il se rend au Pays Basque pour les obsèques, choisit l’incinération et, parce que Muriel aimait profiter de la vie et de ses bonnes choses, une fois récupérée l’urne il décide, mû par une intuition subite, de l’emmener une dernière fois au marché, hommage somme toute assez sympathique. Mais à la terrasse du café du coin il tombe sur Maylis, l’infirmière qui s’est occupée de Muriel, à laquelle il ne s’est jamais intéressé mais qui, là, ne le laisse pas indifférent.

Sur un sujet douloureux, la perte d’un être cher, Laurent Bénégui nous offre un roman à la fois drôle et touchant, plein de tendresse mais aussi de vie. Finalement, ce dont il est question, c’est de la manière dont chacun fait son deuil et compose avec le tragique de l’existence, et si la manière de Maxime est peu conventionnelle il faut l’admettre, elle correspond pourtant bien à Muriel, figure maternelle particulièrement attachante dont le portrait émerge à travers Maxime, mais aussi ses propres paroles, venues de sa position désormais particulière. Une femme vive, gaie, dynamique, généreuse, qui aimait l’amour, les hommes, qui aimait la vie : alors quoi de mieux finalement pour lui rendre un dernier hommage que de déboucher une excellente bouteille de vin, déguster fromages de brebis et foie gras avec du bon pain, et faire l’amour ?

Un court roman, très beau, très sensible, une célébration de la vie qui nous réserve toujours des surprises !

La Part des Anges
Laurent BÉNÉGUI
Julliard, 2017

1% Rentrée littéraire 2017 — 28/30
By Herisson

La vie interdite, de Didier van Cauwelaert

Les chiffres du réveil à quartz se succèdent, rythmés par la respiration de Naïla qu’accompagne, toutes les dix minutes, le ronron du frigo. Le temps semble passer pour moi comme de mon vivant, mais la fuite des secondes ne signifie plus rien, ne me conduit nulle part. Je m’embête. J’ai essayé de prier, pour recommander mon âme à Qui de droit, avec un q majuscule, mais je me suis fait l’effet d’un client oublié qui essaie d’attirer l’attention du serveur, et j’ai arrêté, par respect humain. Dieu (s’Il existe ; pour l’instant je n’ai aucune information de ce côté-là…), Dieu que je m’embête. Et je pressens que ce n’est qu’un début.

Quoi, ça faisait longtemps ! 3 mois que je n’avais pas lu/relu un roman de mon auteur chouchou ! Une éternité, en somme. Et donc, comme en ce moment je suis d’humeur chagrine, j’ai décidé de poursuivre mon challenge personnel « je relis toute l’œuvre de mon romancier préféré » avec ce roman qui est l’un de mes préférés.

Cela commence mal : un beau matin, Jacques Lormeau, quincaillier et artiste-peintre, se réveille mort dans les bras de sa maîtresse. Enfin se réveille… disons que son corps est toujours dans son lit, mais que son esprit flotte au-dessus du frigo de la caravane où il a élu domicile.

Il ne se passe rien d’autre : pas de tunnel de lumière, pas d’accueil par ses proches disparus. Par contre, sa mort est tout de même le début d’une drôle d’aventure.

Le roman étant entièrement écrit du point de vue d’un mort, on ne peut pas dire que cela manque d’originalité ; du reste, l’après-mort et la survie de la conscience est un sujet qui fascine notre auteur et que l’on retrouve beaucoup dans ses réflexions.

Mais ici, il choisit de le traiter de manière burlesque et irrévérencieuse, notamment dans sa manière d’évacuer totalement la dimension religieuse : car, malgré ce point de départ plutôt peu gai, le roman est drôle, et j’ai éclaté de rire à de nombreuses reprises ; ce qui ne l’empêche pas d’être tendre et émouvant, notamment dans la peinture de la relation père-fils, et de susciter la réflexion.

Il y a, évidemment, un aspect satirique avec un portrait assez navrant de la mesquinerie de la bourgeoisie de province, ses bassesses, le rôle des apparences. Mais ce qui est surtout passionnant, c’est la réflexion sur la vie, ce qu’on en fait, nos choix et nos renoncements. Et le travail du deuil : laisser partir ceux que l’on a aimés.

Un roman que j’ai une nouvelle fois adoré, qui m’a fait du bien, drôle, attendrissant, émouvant, non pas tour à tour mais en même temps. A savourer sans modération !

La vie interdite (lien affilié)
Didier van CAUWELAERT
Albin Michel, 1997 (Livre de poche)