Labor Day (Last Days of Summer) de Jason Reitman

Ce n’est pas d’avoir perdu mon père qui a brisé le cœur de ma mère. C’est d’avoir perdu l’amour, tout simplement.

Un film au titre évidemment parfaitement accordé à la saison, et qui a été adapté d’un roman de Joyce MaynardLabor Day (Long week-end).

Depuis son divorce, Adèle vit avec son jeune fils Henry. Complètement brisée, elle ne sort presque plus de chez elle. Quelques jours avant la rentrée des classes, alors qu’ils font leurs courses mensuelles dans un supermarché, ils sont pris en otage par Frank, qui vient de s’échapper de prison à la faveur d’une opération de l’appendicite, et qui les oblige à les ramener chez eux.

S’ils ont d’abord peur de lui, ils se rendent vite compte de sa fragilité, et à mesure que les heures passent, il s’installe dans leur quotidien, devenant un père de substitution pour Henry, et réapprenant l’amour à Adèle

Un très beau film, très sensuel et en même temps émotionnellement dur à mesure que l’on comprend ce qui a fini par plonger Adèle dans une dépression dont elle ne parvient pas à sortir, et Frank dans une violence meurtrière : tous deux fragiles et blessés, ils trouvent en l’autre de quoi panser leurs plaies, réapprendre les sentiments, revenir dans le monde des vivants.

C’est, surtout, un magnifique portrait de femme, porté par une Kate Winslet éblouissante.

Un film sensible et bouleversant, à voir absolument !

Labor Day (Last Days of summer)
Jason REITMAN
2013

Et devant moi le monde, de Joyce Maynard

Dès ma plus tendre enfance, j’ai été élevée en observatrice. Mes parents m’ont encouragée à enregistrer les moindres détails de ce qui m’entourait avec une oreille et un oeil de reporter. Que cela me plaise ou non, toute ma vie j’ai pris mentalement des notes. Cette habitude fait partie de l’histoire racontée ici ; de plus, c’est grâce à elle que je peux lui apporter autant de précision. Ce dialogue de mon passé, je l’ai reconstruit au mieux de mes capacités.

J’avais envie de lire ce texte depuis que j’avais découvert Une adolescence américainecar, je l’avoue, j’étais très curieuse de « creuser » un peu la figure de Salinger, mais aussi parce que les autobiographies d’écrivains, qui racontent leur « naissance à l’écriture », me fascinent.

J’ai, de fait, laissé passer un peu de temps, mais cette relation entre Joyce Maynard et J. D. Salinger, racontée dans les grandes lignes dans l’avant-propos d’Une adolescence américaine, a si bien fait son chemin en moi que, ajoutée à d’autres éléments, je suis en train d’écrire un truc sur un thème un peu similaire. Enfin bref, il était indispensable que je le lise maintenant, donc je l’ai emporté avec moi à Amsterdam.

Comment devient-on écrivain ? C’est l’enjeu de cette autobiographie. Joyce Maynard y raconte son enfance et son adolescence avec des parents dysfonctionnels qui projettent sur elle et sa sœur leurs propres ambitions avortées, et l’encouragent à écrire ; sa première publication en 1972 dans le New-York Times Magazine, qui a fait grand bruit et lui permet de débuter une relation, épistolaire d’abord puis « amoureuse » avec Salinger ; et l’après Salinger, les hauts et les bas de sa vie de femme et d’auteure.

Ce texte, c’est une véritable entreprise d’exorcisme, de son enfance mais surtout du traumatisme Salinger.

Elle y parle avec beaucoup de sincérité de ses parents, l’alcoolisme de son père, les névroses de sa mère, ses problèmes d’anorexie, dessinant le portrait d’une jeune fille brillante, qui très tôt écrit toutes sortes de textes, vend des articles, précoce donc, mais en marge de sa génération, et surtout très fragile.

Sa confiance en soi apparente, et qui pourrait parfois passer pour de l’arrogance, et elle même d’ailleurs regarde avec beaucoup de sévérité le fameux article du New-York Times, cache en fait un vrai mal-être, qui la rend forcément vulnérable au premier manipulateur venu.

Et ce manipulateur, c’est Salinger, dont le fait de dire qu’il apparaît dans ce texte comme un odieux connard est encore un euphémisme : il se comporte comme un gourou, lui impose sa manière de vivre assez étrange en marge du monde et son régime alimentaire particulier, la façonne à son idée en se prenant pour un Pygmalion, tente de la couper de sa famille, pour finalement la rejeter violemment.

Comment se reconstruire après ça ? C’est l’enjeu de ce texte, qui permet à Maynard de se reconstruire, tout en interrogeant son lien avec l’écriture, qui toute sa vie n’a jamais été aussi essentielle que ça, sinon pour gagner de l’argent.

Durant toute ma lecture, j’ai pensé à cette phrase que Beigbeder met dans la bouche d’Hemingway s’adressant à Salinger : Tout écrivain doit avoir un jour le cœur brisé, reprend Hemingway, et le plus tôt est le mieux, sinon c’est un charlatan. Il faut un amour originel complètement foireux pour servir de révélateur à l’écrivain. 

Finalement, à son insu, et tout en essayant finalement de lui briser les ailes, Salinger a été pour Joyce Maynard ce qu’Oona avait été pour lui.

C’est fulgurant, passionnant, à lire absolument !

Et devant moi le monde (lien affilié)
Joyce MAYNARD
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pascale Haas
Philippe Rey, 2011 (10/18, 2012)

Une adolescence américaine, de Joyce Maynard

Même jeune comme je l’étais, je crois alors avoir compris ceci : la qualité d’une histoire tient moins à l’exotisme de son environnement, ou à la vivacité de l’action et de l’intrigue, qu’à l’épaisseur des personnages, aux pouvoirs de pénétration et de description de l’auteur et à l’authenticité de sa voix.

En 1971, Joyce Maynard, qui vient d’entrer à l’Université, écrit au directeur du New-York Times pour lui suggérer de lui commander un article où elle témoignerait de sa génération ; curieusement, il accepte, et cet article sera ensuite prolongé en livre. De 1962 à 1973, toute une décennie défile donc sous nos yeux, racontée du point de vue d’une adolescente américaine.

L’histoire est connue : à la suite de l’article, Joyce Maynard a reçu une lettre de Salinger avec qui elle s’est alors installée, abandonnant l’Université pour se consacrer à l’écriture et à l’écrivain. Mais de cela il n’est pas question ici, sinon dans le passionnant avant-propos écrit en 2010, et où le grand auteur américain apparaît, n’ayons pas peur des mots, comme un odieux connard.

Non, ce dont il est question c’est d’une jeune fille, et d’une génération. Et ce qui frappe d’emblée chez cette gamine, c’est son assurance et son culot, et la certitude de sa vocation littéraire. Sa lucidité et sa maturité, également : un peu en décalage avec ses contemporains, elle possède un véritable recul sur l’écriture et ce que c’est que d’être auteur, et sur ses expériences.

Et pourtant, cela reste une adolescente et au fil des pages elle nous dresse un portrait particulièrement vif et précis de ce moment de la vie où l’on devient adulte : le corps qui change, la pression du groupe, la télévision, la fascination pour la mort, la mode, les fêtes et l’alcool, la société de consommation, la marijuana, la quête de sens, la politique et l’engagement, le Vietnam, le féminisme, le futur.

C’est un véritable Jukebox à souvenirs : au-delà du chronotope précis (l’Amérique des années 60) qu’elle ressuscite et analyse à travers des faits culturels bien précis, il y a là l’universalité de la condition adolescente, dans laquelle chacun se retrouvera.

Assurément, il aurait été dommage que Joyce Maynard n’ait pas eu le culot d’écrire au directeur du New-York Times : on serait passé à côté d’un témoignage savoureux et d’un grand écrivain !

Une Adolescence Américaine — Chronique des années 60 (1973) (lien affilié)
Joyce MAYNARD
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Simone Arous
Philippe Rey, 2013 (10/18, 2015)