Érable, de Saskia de Rothschild

ErableJe vais aller droit au but. Pour ne rien vous cacher, je cherche un associé. Mon idée est de contrôler le hasard afin d’essayer de rendre les gens heureux… tout en leur donnant l’illusion que rien ni personne à part l’aléatoire n’est responsable de leur joie.

Einstein disait que le hasard n’était rien d’autre que Dieu qui se promenait incognito. Le héros de ce roman veut prendre la place de Dieu, ce qui n’est pas si facile.

Jean-Charles (J. C.) Érable est né sous le signe des coïncidences exagérées, le 1er janvier 1980 à minuit, dans un avion qui survolait à ce moment là l’intersection du méridien de Greenwich et de l’équateur. Pour lui c’est le signe que, nouveau messie, il est voué à un destin exceptionnel, et d’ailleurs son intelligence est remarquable. Réécrivant son passé et effaçant sa famille, qui lui fait honte, il se met en tête de contrôler l’existence des gens. Mais il apprendra  qu’on ne peut pas tout contrôler, et surtout pas le hasard.

Sur le thème séculaire du hasard, des coïncidence et de la nécessité, Saskia de Rothschild, dont c’est le premier roman, nous propose un texte en apparence totalement loufoque, mais qui ne manque pour autant pas de profondeur. Tout est construit sur ce drôle de personnage éponyme, Érable, qui parvient étonnamment à être totalement antipathique et en même temps attachant, en tout cas fascinant, génie sociopathe qui réinvente le monde en plus de vouloir le contrôler. Pour un être comme lui, la part d’aléatoire dans l’existence est totalement insupportable, et il veut donc donner à la vie la cohérence qu’elle n’a pas, la réduire à des algorithmes dans une matrices.

Mais n’est-ce pas, finalement, ce que fait le romancier, qui pour ses personnages joue le rôle d’un dieu tout puissant — ou du hasard, si l’on préfère ?

Un roman étonnant et divertissant, et une plume à découvrir !

Erable
Saskia de ROTHSCHILD
Stock, 2015

Le Testament d’Olympe, de Chantal Thomas

Hasard et Providence

Je répondis avec des vers de Racine, il me rétorqua par Marivaux. Lui en partisan du hasard, moi en servante de la Providence, nous avons continué de nous lancer des phrases qui nous donnaient raison. La bibliothèque était comme une volière de mots. Nous montions et descendions l’escabeau, allions d’un livre à l’autre, choisissions n’importe quel passage, nous interrompions en riant.

Ce roman, qui me faisait de l’œil depuis sa sortie et qui avait intégré ma PAL cet été, n’attendait plus qu’une occasion pour que je le lise enfin.

XVIIIème siècle, sous le règne de Louis XV. Apolline et Ursule sont sœurs. Nées à Bordeaux dans une famille pauvre dont les parents, et notamment le père, s’en remettent à la Providence pour subvenir aux besoins de leurs enfants (autant dire que ces derniers ne mangent pas souvent à leur faim), elles sont très différentes : autant Apolline semble plutôt soumise, autant Ursule est une âme rebelle. Un jour, elle disparaît…

Deux destins de femmes

J’ai fait court pour le résumé, sinon il m’aurait fallu raconter les trois quarts de l’histoire, et cela aurait été dommage, même si ce n’est pas le suspens qui fait l’intérêt de ce roman.

Non, l’intérêt est dans le talent incontestable de Chantal Thomas pour faire revivre une époque, en l’occurrence le XVIIIème, qui m’a toujours fascinée, aussi bien les fastes de Versailles et les turpitudes des courtisans que les milieux plus modestes. On a réellement l’impression d’y être tant l’ouvrage est riche et bien documenté.

L’intérêt tient aussi dans ces deux destins de femmes si opposées, et notamment celui d’Ursule/Olympe : toute la seconde partie du texte, où elle raconte ce qui lui est arrivé après sa fuite de Bordeaux sous la forme d’une sorte de testament (d’où le titre), où l’écriture devient presque un impératif vital, est un véritable roman d’apprentissage.

Olympe, c’est une héroïne de la révolte, qui refuse de se laisser étouffer et surtout qui refuse la médiocrité du destin que lui propose son origine pauvre ; elle rêve de plus, et obtient, du moins un temps, plus.

Apolline est plus réservée, plus soumise, et en même temps pas dénuée d’intérêt et de grandeur, et son amour pour Arnaud m’a touchée (ainsi que la chance dont elle jouit dans l’histoire, finalement) ; mon seul regret concernant ce roman, du coup, la concerne, car j’aurais aimé la retrouver un peu après le texte d’Olympe.

En tout cas, ce roman, qui interroge sur la Providence, le hasard et la nécessité, est une vraie réussite que je vous engage à découvrir si ce n’est déjà fait !

Le Testament d’Olympe (lien affilié)
Chantal THOMAS
Seuil, 2010