Un parfum d’herbe coupée de Nicolas Delesalle

Sa respiration était lente. Il avait oublié d’ôter ses lunettes. Il avait tout oublié. Il avait oublié qu’il avait été chimiste. Spécialiste des teintures. Il avait oublié qu’il était un peu Belge, un peu Irlandais, un peu du Nord, un peu de Normandie, un peu barré. Il avait oublié qu’il avait vécu toute sa vie d’adulte en Argentine et au Chili, où mon père était né. Il avait oublié qu’il parlait espagnol couramment, mais avec un accent à débiter des bûches. Il avait oublié qu’il avait passé sa retraite à colorer des morceaux de coton avec lesquels il recomposait des toiles, des photographies, avant de les emprisonner sous une plaque de verre. Il accrochait ses œuvres au mur. Il y en avait partout.

La grand-mère de Kolia, le narrateur, vient de mourir. Quant à son grand-père, atteint de la maladie d’Alzheimer, il ne tardera pas à la rejoindre et dans un dernier sursaut de lucidité, il adresse une ultime pensée au narrateur : « tout passe, tout casse, tout lasse ».

Fort de cette maxime, Kolia tente alors de recomposer le puzzle de sa mémoire et de cette période où l’on passe de l’enfance à l’âge adulte.

En une succession de chapitres courts qui sont autant de souvenirs éparpillés, l’auteur fait revivre un monde, le sien, celui d’une enfance heureuse dont les souvenirs douloureux ne sont néanmoins pas absents.

Une enfance dans les années 80, le film X de Canal+ le premier samedi du mois qu’on regarde en cachette et en crypté et qui sonne le glas de l’innocence, How deep is your love des Bee Gees à la radio, les premières boums et les premières amours, l’autoroute dans la voiture familiale…

Il se dégage alors de ce court récit un subtil parfum de nostalgie, celui de l’herbe coupée, qui nous replonge dans nos propres souvenirs et les mystères de la mémoire des instants fugaces et sans importances qui, sans qu’on sache pourquoi, nous sont restés quand tant d’autres se sont envolés.

Un peu d’humour, mais surtout beaucoup de tendresse et d’émotion se dégagent de ce texte, dont, je l’avoue, le dernier chapitre m’a fait pleurer toutes les larmes de mon corps tant il a fait écho en moi.

Un Parfum d’herbe coupée
Nicolas DELESALLE
Préludes, 2015