Cassandra’s dream (Le Rêve de Cassandre), de Woody Allen

Family is family. Blood is blood. You don’t ask questions. You protect your owns.

Après Scoop et Match Point, Cassandra’s dream est le troisième film londonien de Woody Allen, et il était donc forcément en tête de ma liste de films à voir.

Deux frères qui n’ont pas du tout les moyens achètent un bateau qu’ils baptisent « Cassandra’s dream ». Très vite, ils se retrouvent face à de graves difficultés financières, pas seulement d’ailleurs à cause de cet achat somptuaire : Terry, qui travaille dans un garage, perd beaucoup d’argent au jeu et emprunte de grosses sommes à des usuriers. Ian, qui aide leur père dans le restaurant familial, rêve d’investir dans des hôtels en Californie et de faire fortune, et vient de tomber amoureux d’une jeune comédienne très ambitieuse à qui il a fait croire qu’il était très riche.

Tous deux sont donc obligés d’appeler au secours leur oncle Howard, qui a réussi dans les affaires. Celui-ci veut bien résoudre leur problème, mais c’est donnant-donnant : il a en échange un service à leur demander, et pas des moindres…

C’est encore une fois un film qui interroge la morale et les rapports de classe : les deux frères ont des rêves de grandeur, des rêves tout court : ne pas se contenter d’une petite vie minable, mais voir grand. Mais jusqu’où peut-on aller pour réaliser ses rêves et pour protéger sa famille ?

Si l’un a des scrupules, est rongé par la culpabilité et ne cesse d’en référer à Dieu, l’autre est purement amoral. Il y a dans ce film quelque chose de très biblique et de très mythologique avec dès le départ cette référence à Cassandre. L’engrenage et les ingrédients sont ceux de la tragédie grecque, et on ne peut qu’assister impuissant aux effets de la machine infernale sur les protagonistes, dont on se demande s’ils ont le choix ou non.

Malheureusement, cela n’a pas pris avec moi, et je me suis clairement ennuyée : objectivement, je n’arrive pas à trouver de défauts à ce film, c’est impeccable et implacable, mais très clairement je préfère Woody Allen dans le registre de la comédie que dans celui du drame…

Cassandra’s dream
Woody ALLEN
2007

 

Irrational Man (L’Homme irrationnel), de Woody Allen

So much of philosophy is just verbal masturbation.

Oui, le dernier film de Woody Allen est enfin disponible en VOD, inutile de vous expliquer la manière dont je me suis précipitée dessus vendredi soir…

Abe Lucas, célèbre professeur de philosophie cynique et désabusé mais aussi fascinant et séduisant, s’installe pour le semestre d’été dans une petite ville universitaire où son charme ne tarde pas à faire des ravages après des femmes. 

Rita, une collègue scientifique, s’intéresse tout de suite à lui, ainsi que Jill, une brillante étudiante qui, quoiqu’amoureuse de son petit ami Roy, a envie de redonner à Abe le goût de vivre. Un jour, alors qu’ils déjeunent ensemble, ils surprennent à la table voisine une conversation qui va redonner à Abe cette énergie qui lui manquait…

Ce dernier opus en date est des plus sombres : si, à l’occasion, on peut sourire, l’essentiel est assez pessimiste, et nous met face à la vacuité du monde, l’impasse de la réflexion intellectuelle et philosophique taxée de « masturbation verbale », et des relations charnelles.

Etre trop intelligent empêche-t-il d’être heureux ? C’est bien l’impression que l’on a une fois le mot « fin » apparu sur l’écran : à la fois très nietzschéen et kantien avec un peu d’existentialisme sartrien, ce drame finalement très intellectuel pose la question de la morale, mais n’apporte pas de réponse…

Selon moi pas un très grand cru, même si de fait un Woody Allen moyen reste supérieur à la plupart des autres films… à voir par curiosité néanmoins !

Irrational Man / L’Homme irrationnel
Woody ALLEN
2015

Manhattan, de Woody Allen

Why is life worth living? It’s a very good question. Um… Well, There are certain things I guess that make it worthwhile. uh… Like what… okay… um… For me, uh… ooh… I would say… what, Groucho Marx, to name one thing… uh… um… and Wilie Mays… and um… the 2nd movement of the Jupiter Symphony… and um… Louis Armstrong, recording of Potato Head Blues… um… Swedish movies, naturally… Sentimental Education by Flaubert… uh… Marlon Brando, Frank Sinatra… um… those incredible Apples and Pears by Cezanne… uh… the crabs at Sam Wo’s… uh… Tracy’s face…

Oui, encore Woody, et je vous assure que samedi soir, c’était une nécessité pour moi de m’enrouler dans un film doux comme dans un plaid…

Isaac Davis est un auteur de sketches comiques new-yorkais de 42 ans. Son épouse Jil vient de le quitter pour une autre femme, Connie, et envisage de publier un livre autobiographique dans lequel elle racontera leur vie conjugale. Isaac, quant à lui, a une liaison avec une jeune fille de 17 ans, Tracy, liaison dont il ne cesse de lui rappeler le caractère éphémère lorsqu’elle lui dit qu’elle l’aime.

Mais Isaac ne tarde pas à avoir le coup de foudre pour Mary Wilke, la maîtresse de Yale, son meilleur ami, par ailleurs marié…

Les femmes, les maîtresses, les maris, les amants… dans ce film, l’amour circule, se métamorphose, avec drôlerie, mais aussi sensibilité et tendresse. Le choix du noir et blanc accentue le côté poétique et un peu mélancolique, et donne à New-York un aspect magique : Woody Allen, ici, se sert magnifiquement des effets d’ombres, comme dans la si célèbre scène du pont utilisée sur l’affiche.

Les personnages sont, comme d’habitude, les parfaits représentants du milieu intellectuel new-yorkais : ils écrivent, sont scénaristes ou romanciers, courent les expositions d’art moderne et passent leur temps à refaire le monde.

Et à parler d’amour : car ce qui est en jeu ici, encore une fois, c’est cette étrange chose qui nous fait battre le cœur. Le choix des actrices est intéressant : Mariel Hemingway apporte une réelle touche de fraîcheur (même si elle ne joue pas très bien), Diane Keaton est évidemment magnifique, et Meryl Streep, que l’on voit peu, irradie…

Un très joli film, encore une fois assez intéressant à mettre en parallèle avec la vie de son réalisateur (cette histoire avec une très très jeune femme pose bien des questions), et qui fait du bien…

Manhattan
Woody ALLEN
1979

Scoop, de Woody Allen

S’il y avait plus de gens dans le monde avec le sens de l’humour, nous ne serions pas dans le triste état où nous sommes.

Je continue mon exploration de la filmographie de Woody Allen. A ce rythme là, j’aurai sans doute vu/revu l’essentiel avant la fin de l’année.

Le journaliste Joe Strombel meurt soudainement. Mais ce n’est pas un événement aussi bassement terre à terre que la mort qui va l’arrêter. Sur le bateau de la Grande Faucheuse, il fait ainsi la connaissance d’un témoin crucial concernant le mystérieux « tueur au tarot » qui, nouveau Jack l’éventreur, décime les prostituées londoniennes.

Joe s’enfuit du bateau et décide de livrer ses informations à une jeune étudiante en journalisme. Pour elle, ce sera son premier scoop, et pour lui, le dernier…

Second volet de la trilogie londonienne (après Match Point et avant Le rêve de Cassandre), Scoop est un millésime allenien : le résumé est totalement loufoque, et le reste est à l’avenant, flirtant avec le fantastique et le paranormal tout en reprenant les thèmes obsédants du réalisateur, qui incarne ici un pseudo-magicien complètement barré et maladroit, embarqué bien malgré lui dans cette drôle d’histoire.

Comme dans Match Point, on côtoie la haute société anglaise décadente, incarnée par un Hugh Jackman au charme ténébreux d’un Lucifer à qui on vendrait bien son âme. Le scénario est parfaitement ficelé, les dialogues font mouche, les scènes comiques ne manquent pas, et le tout est porté par une bande originale excellent, de Peer Gynt à Tchaïkovski.

Pourquoi s’en passer ?

Scoop
Woody ALLEN
2006

Le sortilège du scorpion de jade, de Woody Allen

Ne fais jamais confiance à une femme qui siffle ses taxis elle-même…

Pour bien commencer 2016, une petite comédie de ce cher Woody Allen, dont je me suis rendu compte en la regardant que je l’avais déjà vue (mais quand ?), ce qui du reste n’a rien enlevé à mon plaisir…

1940, New York. La jeune et dynamique Betty Ann Fitzgerald a été engagée pour moderniser et rationnaliser la compagnie d’assurances North Coast, ce qui n’est pas du tout du goût de C.W. Briggs, le meilleur détective de la boîte aux méthodes quelque peu obsolètes.

Entre le vieux détective misogyne et la jeune femme indépendante, les insultes fusent à longueur de journée. Afin d’apaiser les tensions, Chris Magruder, le patron de la North Coast (et amant de Betty Ann) les incite à participer à une fête organisée pour l’anniversaire d’un collaborateur de l’agence. Au cours de la soirée, le magicien Voltan hypnotise C.W. Briggs et Miss Fitzgerald à l’aide du scorpion de Jade

Parodie des films de gangsters des années 40 auxquels elle multiplie les références, cette comédie n’est sans doute pas ce que Woody Allen a fait de mieux dans sa carrière, mais qu’importe, cela reste un vrai plaisir : drôle, spirituel et cocasse, Woody Allen montre encore une fois son talent incomparable pour les dialogues qui font toujours mouche et les situations totalement improbables et décalées.

Il s’amuse, et avec lui les autres acteurs, et ça se voit : cela fait vraiment un bien fou, même si à titre personnel je préfère Allen dans un registre un petit peu plus doux-amer ! Mais ne boudons pas notre plaisir, ce film permet vraiment de passer une bonne soirée !

Le Sortilège du scorpion de jade
Woody ALLEN
2001

Hollywood ending, de Woody Allen

Ses grands films datent d’il y a dix ans… après ça, il s’est mis à jouer à l’artiste.

J’en vois certains au fond de la salle qui commencent à en avoir marre de mon obsession actuelle pour Woody Allen et mon projet de voir/revoir toute sa filmographie. Malheureusement pour eux, je suis encore très loin du compte (j’en suis à 13 sur 46…). Et puis bon, une bonne petite comédie allenienne, en cette veille de veille de Noël, quoi de plus savoureux ?

Val Waxman est un réalisateur qui a connu son heure de gloire dans les années quatre-vingt et a même obtenu deux Oscars ; aujourd’hui, blacklisté par Hollywood, il met en scène de simples spots publicitaires.

Il faut dire que sa réputation est assez mauvaise, entre ses caprices d’artistes qui font exploser les budgets, son égocentrisme qui le rend détestable, et son hypocondrie.

Mais son ex-femme, Ellie, qui se sent un peu coupable sans doute de l’avoir quitté pour un producteur bellâtre et surtout croit encore en son talent, se démène pour qu’on lui confie la réalisation d’un film qui s’annonce exceptionnel, The City that never sleeps, une ode à New-York. Le projet est de fait pour lui, dont les rues de New-York coulent dans les veines.

Il obtient donc (non sans mal) qu’on lui confie le projet, mais, à la veille du tournage, se retrouve aveugle pour de bêtes raisons psychosomatiques

Que dire si ce n’est que ce film est absolument jouissif et probablement un des meilleurs du Maître ? Drôle, loufoque, déjantée, cette comédie a comme personnage principal, finalement, Woody Allen lui-même qui, avec une bonne dose d’autodérision, se met en scène tel qu’il est et tel qu’on l’accuse d’être : névrosé, hypocondriaque, artiste intello, égocentrique, un peu mégalomane.

Et qu’est-ce qu’il est attachant, notamment lorsqu’il se retrouve aveugle, ce qui, pour un réalisateur, est un peu ennuyeux (même si, comme il le dit, Beethoven était sourd…) ; aveuglement évidemment très symbolique et métaphorique, qui permet à la fois d’interroger le cinéma et l’amour, et qui permet nombre de quiproquos  bien réjouissants.

Et puis, le film se clôt sur un hommage à la France (Thank God, the French exist) et à Paris, alors franchement, que demander de plus ?

Une comédie hilarante et intelligente, aux dialogues absolument excellents, à regarder d’urgence !

Hollywood ending
Woody ALLEN
2002

Annie Hall, de Woody Allen

C’est alors que m’est revenu cette vieille blague… Vous savez, ce gars qui va chez le psychiatre et dit : « Docteur, mon frère est dingue, il se prend pour une poule ! ». Et le docteur lui répond : « Ben c’est simple… faites-le interner ! ». Et le type dit : « J’aimerais bien, mais j’ai besoin des œufs ». Eh bien, moi c’est comme ça que j’ai tendance à voir les relations humaines. Au fond, elles sont totalement irrationnelles, dingues, absurdes… Mais il semble que nous faisons avec parce que la plupart d’entre nous ont besoin des œufs…

Woody Allen vient d’avoir 80 ans, l’occasion donc de revoir Annie Hall, considéré comme sont premier grand film et même un de ses meilleurs.

A l’aube de ses quarante ans, Alvy Singer fait le bilan de sa situation amoureuse, qui n’est guère brillante : Annie, sa dernière relation, vient de le quitter…

Avec ce film, Woody Allen prend réellement un tournant : plus adulte, plus profond, plus sérieux, il ne s’agit plus d’une suite de gags mais d’une vraie histoire cohérente et ordinaire — on tombe amoureux, on se sépare et on continue sa vie — très inspirée d’ailleurs de Diane Keaton, sa muse et compagne de l’époque.

Beaucoup d’émotion, de sentiments personnels, c’est parfois un peu cynique et désabusé, même si on reste dans le registre de la comédie avec des scènes hilarantes comme celles des homards, et le personnage d’Annie totalement fantasque et maladroite.

Mais on n’est plus dans la farce, faire rire n’est pas le but en soi, on est dans la grande comédie et le rire n’est que le corollaire du récit. Ça change tout : plus cérébral, plus intellectuel, le film fait aussi émerger les thèmes obsédants qui ne quitteront plus le réalisateur, le judaïsme, la psychanalyse (avec une formidable scène en faux split-screen — faux parce qu’ils ont mis une cloison sur le plateau et réellement tourné les deux scènes en même temps), l’identité, et les milieux cultivés new-yorkais.

Si je continue de préférer les films récents de Woody Allen, celui-ci est tout de même une pépite que je recommande chaudement à ceux qui ne l’auraient pas encore vu !

Annie Hall
Woody ALLEN
1977