Mémoires de Coco, de Louise de Vilmorin

Un violent besoin d’être aimée

Une enfance sans amour développa en moi un violent besoin d’être aimée. Ce besoin ne s’atténua jamais ; il est inépuisable et explique, il me semble, toute ma vie : ma force comme mes faiblesses. Je tiens à considérer mon succès lui-même comme une preuve d’amour et je veux croire qu’en aimant ce que je faisais on m’aimait, moi, à travers mes créations. Restée romanesque et légère, je me demande parfois si je ne me suis pas appliquée simplement à apprivoiser l’amour dont mes jeunes années ne connurent pas l’appui.

Voici le second livre de Louise de Vilmorin retrouvé l’autre jour en faisant du rangement, le premier étant ses articles de mode. Celui-ci est un peu particulier, car s’il parle également de mode, il le fait en racontant la vie de celle qui ne cesse de me fasciner : Coco Chanel.

En 1947, Louise de Vilmorin rencontre Chanel, et de cette rencontre naît un projet : celui d’écrire ensemble les mémoires de celle qui a révolutionné la mode. Chanel raconte, Louise de Vilmorin écrit. Il s’agit donc ici d’un récit à la première personne, la voix de Coco et celle de Louise se fondant en une pour nous raconter le début de ce qui est, à tout point de vue, un destin.

Ce qui est fascinant avec ce texte, c’est la manière dont Chanel réécrit son histoire, ce qui est particulièrement flagrant lorsqu’on met ce texte en regard avec celui écrit par Edmonde Charles-Roux, L’Irrégulière ou mon itinéraire Chanel

Jamais ainsi Chanel n’avoue qu’elle a été une enfant abandonnée, élevée dans un orphelinat, et s’invente donc une enfance autre, quoique pas heureuse pour autant, et en donne l’image qu’elle aurait dû avoir.

Parce que l’abandon est l’évènement constitutif de sa personnalité, qui n’aura de cesse de la poursuivre, elle le nie. Malgré tout, et c’est là que le récit touche néanmoins à une certaine vérité, elle réécrit son enfance en ne travestissant pas l’essentiel : le manque d’amour dont elle a été victime, et qui a fait d’elle une assoiffée de tendresse, une femme ayant un besoin désespéré d’être l’objet de l’admiration des autres sinon de leur amour, et pour qui l’argent n’a d’autres valeurs que celle de lui offrir la liberté.

Un destin de femme

C’est un personnage torturé et malheureux qui nous est donné à voir ici, habité par ses démons, et qui ne doit sa survie qu’à son imagination fertile, son orgueil démesuré et son ambition.

Et ce personnage est magnifiquement mis en valeur par le style impeccable de Louise de Vilmorin.

Quant à moi, à chaque fois que je lis un récit sur Coco Chanel, je ne peux m’empêcher d’être bouleversée par les échos produits en moi, non du point de vue des évènements (j’ai été une enfant aimée) que du caractère, cette soif de reconnaissance et d’amour et cette terreur de l’abandon (comme quoi certaines causes inverses créent pourtant les mêmes effets). Si ça se trouve, je suis sa réincarnation tant c’est… étrange.

Enfin bref, du coup à chaque fois je pleure (ce n’est pas une figure de style) sur ce destin malheureux de femme qui n’a jamais été heureuse en amour, et à qui le sort a arraché le seul homme qui sans doute l’ait véritablement aimée, comme si une malédiction avait pesé sur sa vie, l’empêchant de se réaliser pleinement en tant que femme et d’atteindre ce qui est pourtant la seule chose importante au monde : l’amour.

Mais ce récit s’arrête bien avant cet évènement douloureux, car, de fait, on reste malheureusement sur sa faim : les éditeurs n’ayant pas été intéressés par le projet (et je voue aux pires tourments de l’enfer ceux qui ont rejeté le texte, nous privant ainsi d’un document extraordinaire), le livre s’achève peu après les débuts de couturière de Coco, alors en pleine romance avec Boy Capel, le grand amour de sa vie (que d’ailleurs elle ne nomme pas).

Mémoires de Coco (lien affilié)
Louise DE VILMORIN
Gallimard, le Promeneur, 1999

4 réponses à « Mémoires de Coco, de Louise de Vilmorin »

  1. Avatar de Max Régnier
    Max Régnier

    « Je n’ ai rien à faire de ce que vous pensez de moi.
    Moi, je ne pense pas du tout à vous ». Le silence de l’ enfance et de l’ adolescence, dans lequel Gabrielle a vécu des années de solitude, dans une carence affective évidente, a fait don de l’ essentiel à la jeune fille; il lui a forgé un caractère d’ une force rare doublé d’ une volonté inébranlable pour vivre son fabuleux destin. Une femme à la volonté conquérante, une femme à l’ esprit incisif, au caractère acéré; une femme au génie créatif en perpétuelle effervescence, telle se présente Gabrielle Chanel. Née en 1883, Coco Chanel incarne la femme libre, curieuse de tout ce qui concerne l’ art et la vie, elle est dans l’ envie permanente d’ être et avant tout rester à l’ avant garde d’ un style, son style dont elle maîtrise la création, ce style à la fois souple et racé qu’ elle sait mener de manière à ce qu’ il anticipe son époque pour s’ imposer de lui-même aux femmes par l’aisance qu’il leur procure. Coco Chanel sait que pour devenir la Fondatrice, elle ne doit pas simplement oser mais elle doit ne pas avoir peur… et Gabrielle n’ aura peur de rien ni de personne. Gabrielle Chanel sait qu’ elle possède l’ art instinctif de ce qui va plaire… de ce qui va être. Pourtant une toile qu’ elle commande à Marie Laurencin, un portrait d’ elle, met en lumière un aspect de la personnalité profonde de Gabrielle Chanel: cette solitude, cette détresse vécues à l’ enfance qu’ elle s’ efforce de masquer dans l’ aura de mystère dont elle cache sa vie. Ce portrait d’ elle par Marie Laurencin, Gabrielle ne l’ accepte pas, elle refuse de se reconnaître sur cette huile sur toile dans laquelle elle ne perçoit en rien ni la force de caractère qui est le sien, ni le rayonnement qu’ elle sait exercer sur la mode et sur le monde. Comme Gabrielle Chanel, Marie Laurencin est elle aussi une artiste pétrie d’ un talent sûr, d’ un talent recherché et c’ est bien Mademoiselle Chanel que nous avons sous les yeux sur ce portrait; Gabrielle Chanel seule, belle mais lasse, loin des mouvements de sa passion créatrice, loin des échos suscités par les succès de son talent. Bien que Marie Laurencin, dans sa sensibilité, aie peint le visage de Gabrielle moins enjoué mais aussi plus authentique qu’ empreint de son esprit de création… et cela dans une volonté de vérité, l’ artiste a figuré cet esprit par la présence légère d’ une colombe glissant autour du visage de la créatrice et fondatrice géniale que fut Gabrielle Chanel.
    « Du XXe siècle en France, il restera trois noms: De gaulle, Picasso et Chanel ».
    André Malraux.

    Max Régnier Aniche.
    Max Régnier Perpignan

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  2. Avatar de Coco avant Chanel, d’Anne Fontaine – Caroline Doudet

    […] était d’autant plus intéressant pour moi de le revoir en ayant encore à l’esprit les Mémoires de Coco de Louise de Vilmorin, dans lesquelles Chanel édulcore un peu la réalité (ce qu’elle fait […]

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  3. Avatar de Beautiful People, d’Alicia Drake – Caroline Doudet

    […] A côté, Karl Lagerfeld apparaît froid, presque un robot, bourreau de travail tuant les émotions en lui. Et pourtant, non moins génial sans doute, et tout aussi touchant dans sa manière de chercher à entretenir sa légende et à réécrire son histoire, tout comme le faisait Chanel elle-même. […]

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  4. Avatar de L’Irrégulière, ou mon itinéraire Chanel, d’Edmonde Charles-Roux – Caroline Doudet

    […] j’en lisais quelques passages, mais je ne l’avais jamais vraiment lu (contrairement à d’autres ouvrages sur Coco) tant il […]

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