Tout écrivain doit avoir un jour le cœur brisé, reprend Hemingway, et le plus tôt est le mieux, sinon c’est un charlatan. Il faut un amour originel complètement foireux pour servir de révélateur à l’écrivain.
Ce roman faisait partie de ma short list de rentrée littéraire. Si je ne l’ai pas lu plus tôt, c’est la faute de Beigbeder : pour des raisons qui lui appartiennent et qui sont somme toute parfaitement compréhensibles, il a refusé que son œuvre sorte en version numérique.
Nous n’allons pas lancer le débat, mais enfin le résultat est là, il s’est fait griller la priorité par plein d’autres auteurs pour des raisons bêtement logistiques. Mais bon, mieux vaut tard que jamais, n’est-ce pas !
New-York, 1940. J. D. Salinger est un jeune auteur de 21 ans, et Oona O’Neill une socialite qui en a à peine 15. Ils se rencontrent dans la boîte à la mode du moment, le Stork Club. Il ne se passe rien entre eux, mais ils se revoient quelques mois après. Et si pendant toutes ces semaines Salinger a été hanté par Oona, la jeune fille fait quant à elle semblant d’avoir totalement oublié leur première soirée.
Débute alors une amourette, qui restera platonique et prendra fin rapidement, lorsque Salinger partira libérer la France et que Oona s’installera à Hollywood, où elle rencontrera l’homme de sa vie, Charlie Chaplin.
L’hypothèse de Beigbeder dans ce roman, c’est la phrase que j’ai mise en exergue, et que l’auteur met dans la bouche d’Hemingway, qui avec Fitzgerald hante tout le roman : la déception amoureuse de Salinger comme expérience fondatrice et origine de son œuvre.
L‘amour est ici voué à l’échec, et Beigbeder fait d’une petite amourette d’adolescents un véritable mythe, transformant Oona en figure de l’éternel féminin adorable et adoré. Il faut dire qu’elle est belle à damner un écrivain, et on sent bien l’auteur tomber un peu amoureux de son personnage à travers son écrivain préféré.
C’est intelligent, voire brillant, et en même temps tout à fait dans le ton habituel de Beigbeder, désinvolte et primesautier, parfois cynique et un brin irrévérencieux. Tout tourne autour de l’amour (avec une réflexion assez pertinente sur la différence d’âge dans le couple) et l’écriture : le roman est émaillé de réflexions très intéressantes et à méditer sur la condition d’écrivain.
Qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux ? Finalement, peu importe : Beigbeder fait de la faction, mélange de factuel et de fiction. Il se glisse dans les silences, les secrets, invente des scènes, imagine les lettres de Salinger à Oona envoyées du front (lettres qui existent mais que la famille Chaplin refuse de divulguer).
Ce roman m’a littéralement enchantée, même si je ne m’intéresse pas spécifiquement à Salinger. C’est une jolie histoire d’amour et d’écriture !
Oona et Salinger (lien affilié)
Frédéric BEIGBEDER
Grasset, 2014









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