Lettres portugaises, de Guilleragues : je vous aime éperdument

Peut-on s’imaginer un état si déplorable ? Je vous aime éperdument, et je vous ménage assez pour n’oser, peut-être, souhaiter que vous soyez agité des mêmes transports : je me tuerais, ou je mourrais de douleur sans me tuer, si j’étais assurée que vous n’avez jamais aucun repos, que votre vie n’est que trouble, et qu’agitation, que vous pleurez sans cesse, et que tout vous est odieux : je ne puis suffire à mes maux, comment pourrais-je supporter la douleur, que me donneraient les vôtres, qui me seraient mille fois plus sensibles ? Cependant je ne puis aussi me résoudre à désirer que vous ne pensiez point à moi ; et à vous parler sincèrement, je suis jalouse avec fureur de tout ce qui vous donne de la joie, et qui touche votre cœur, et votre goût en France.

Le titre du recueil d’Elizabeth Browning, Sonnets portugais, a pour origine ce roman de Guilleragues, et je me suis dit à l’occasion que puisque je n’avais jamais lu ce classique de la littérature amoureuse, alors même que l’amour est mon sujet, il était temps. Aussitôt pensé, aussitôt fait (ou presque).

Nous avons donc là un roman épistolaire (présenté comme un recueil de véritables missives), composé de cinq lettres qu’une religieuse portugaise envoie à son amant français reparti dans son pays, et dont elle n’a plus tellement de nouvelles.

Le procédé est intéressant, et les lettres sont fabuleusement tournées, exprimant parfaitement la passion, et même la fureur d’une femme amoureuse, et ses incohérences. Néanmoins, j’ai trouvé ça un peu… court ! A peine 40 pages, j’avoue que je suis un peu restée sur ma faim : le caractère resserré fait qe, finalement, on ne comprend ni les tenants ni les aboutissants de cette histoire, et cela m’a un peu frustrée. Néanmoins, je suis contente de l’avoir lu, désormais je sais vraiment de quoi il retourne, et il est vrai que l’expression de la passion y est parfaitement réussie !

Lettres portugaises (1669)
GUILLERAGUES
Flammarion, GF

Lettres à Joséphine, de Nicolas Rey : l’amour inguérissable

Qu’est-ce que je faisais avant de te rencontrer ? Qui j’étais ? Je suis incapable de m’en souvenir. J’ai la sensation que j’ai commencé à vivre la première fois où je t’ai vue. Avant, il n’y avait rien. 
Avant, j’attendais juste que tu arrives. Je me rappelle de chaque minute de ces cinq dernières années. Mais je suis incapable d’évoquer les quarante années précédentes. En revanche, je me souviens de tous les trains que nous avons pris, de tous les dîners que nous avons partagés, de toutes les villes que nous avons visitées. J’ai la sensation que, dans une vie, on n’existe qu’une seule fois. Et pas toujours très longtemps. Moi, j’aurai vécu cinq ans. Le temps de notre histoire et ce n’est déjà pas si mal. 

A une exception notable près, j’ai aimé tout ce que j’ai lu de Nicolas Rey : il me touche, par sa sensibilité extrême et la manière dont il met avec la plus grande sincérité ses tripes (pour ne pas dire autre chose) sur la table. Il me touche aussi par la place qu’il donne à l’amour dans sa vie et donc dans ses romans. Son dernier le montrait en sursis avec Joséphine : cette fois, c’est définitivement terminé…

Joséphine n’aime plus Nicolas. Elle en aime un autre. Mais il en faudrait plus pour que lui cesse de l’aimer. Rien ne pourrait faire qu’il ne l’aime plus. Alors il lui écrit, et ressasse leurs cinq années d’amour, refusant de faire le deuil de l’amour, refusant de guérir.

Evidemment, le thème de la rupture amoureuse et de l’impossible deuil est un marronnier de la littérature, et le procédé de la lettre, prétexte à se parler à soi-même et à maintenir un dialogue avec l’autre plus que véritable échange épistolaire n’est pas nouveau non plus : je ne sais pas si c’est parce que je suis en train de l’étudier, mais cela m’a fait penser par moments à Laissez-moi de Marcelle Sauvageot. De loin néanmoins, car Nicolas Rey reste Nicolas Rey, et le texte alterne le charnel, cru, sauvage (on pourrait même aller jusqu’à pornographique), et un romantisme désarmant qui atteint parfois la poésie pure. L’Amour dans sa plus sincère expression.

Ce texte m’a littéralement déchiré le cœur…

Lettres à Joséphine
Nicolas REY
Au Diable Vauvert, 2019

Laissez-moi, de Marcelle Sauvageot : autopsie d’un amour

Il y aura le réveil au petit matin, quand la souffrance est là encore impuissante et qu’on prie le Seigneur de vous laisser dormir encore. C’est comme une tumeur enveloppée d’ouate : et tout à coup un élancement violent se fait sentir. C’est une image petite, précise, qui, deux jours plus tôt, aurait paru inoffensive ; c’est un geste, un regard, à peine remarqués autrefois, qui, vus en imagination, adressés à une autre, arrêtent les battements du cœur dans un spasme douloureux. C’est un projet imaginé en secret pour « lui » faire plaisir, dont l’inutilité se montre dans une grimace brutale. Dans la journée ou le soir, il y a les moments de calme, pendant lesquels on est étonné de ne rien sentir ; et l’on guette la phrase, le son, le parfum qui va brusquement faire renaître le mal. La moindre petite chose est prétexte à pleurer ; une phrase stupide lue dans un journal, qui, un autre jour, aurait fait hausser les épaules, jette dans un abîme d’attendrissement. Et l’autre, comment est-elle ? On lui donne toutes les qualités et on les voit tous les deux, heureux toujours d’un bonheur extraordinaire ; avant la nouvelle, ce bonheur-là paraissait anodin. Mais maintenant on se sent très misérable et on a envie de dire timidement : « Moi aussi j’aurais pu vous rendre heureux ».

Cela faisait plus d’un an que je tournais autour de ce petit roman sans me décider. Et puis, j’ai décidé que le moment était venu. Unique récit de son auteure, morte à 34 ans de la tuberculose un an après sa parution en 1933, il a joui à l’époque d’un succès modeste même s’il a séduit des gens comme Valéry, Gide ou Claudel. Mais lorsqu’en 2004 les éditions Phébus le rééditent, c’est un véritable succès et il suscite l’enthousiasme. Sans doute parce qu’il y a dans ce court texte quelque chose d’universel : l’expérience de la rupture amoureuse.

Alors qu’elle est au sanatorium pour essayer de soigner sa tuberculose, une jeune femme reçoit de l’homme qu’elle aime une lettre où il lui annonce qu’il va épouser une autre. Alors, elle se met à écrire, et à disséquer cet amour mort, passant par toutes les phases du deuil amoureux, du déchirement à l’acceptation et au dépassement.

Réflexion sur le sentiment amoureux et la rupture étonnante d’évidence, le récit parle directement à l’âme, au cœur, et à l’expérience universellement vécue : intense et bref, sublimement écrit, il prend la forme de lettres adressées au « vous », qui ne les lira peut-être jamais, et en cela tient donc plus du journal, quelque chose que l’on écrit pour se retrouver soi, rassembler les morceaux éparpillés et continuer à avancer.

En quelques semaines, toutes les phases sont traversées : la douleur, et puis, au fil des pages se construit le renoncement, à mesure qu’elle analyse cette histoire, avec de plus en plus de lucidité, et se rend compte qu’il s’agissait surtout d’une illusion — un amour pour un homme qui, peut-être, ne la méritait pas : s’il ne l’aime plus, en conclut-elle, est-ce parce qu’elle est trop sauvage, trop indépendante, trop consciente de ses défauts aussi, et que l’autre est plus soumise ?

Un très beau texte donc, émaillé de passages absolument sublimes sur l’amour, sur la douleur (cette légende japonaise : Une légende japonaise, je crois, prétend qu’à la naissance la lune attache par un ruban rouge le pied d’un futur homme au pied d’une future femme. Pendant la vie le ruban est invisible, mais les deux êtres se cherchent et, s’ils se trouvent, le bonheur pour eux est sur terre. Il en est qui ne se trouvent pas ; alors leur vie est inquiète et ils meurent tristes ; pour eux le bonheur commencera seulement dans l’autre monde : ils verront à qui le ruban rouge les attache. Je ne sais si je trouverai en ce monde le ruban rouge qui m’attache ; je crois que cette légende est, comme toutes les légendes, une consolation poétique. Celui pour qui on est fait, n’est-ce pas celui pour qui on accepte d’être fait ?). Mon seul regret est que je trouve que le texte se déploie trop peu, et qu’alors le renoncement, le dépassement vient trop vite pour que l’on puisse le ressentir vraiment, l’accompagner, et que le récit puisse être cathartique… Mais cela reste un texte magnifique, à lire !

Laissez-moi
Marcelle SAUVAGEOT
1933 / Phébus, 2004 (Flammarion, 2012)

 

Pour Sensi, de Serge Bramly : l’amour et l’écriture

La conviction de vivre en propre m’a longtemps fait défaut. Autrefois j’avais l’impression d’appartenir plutôt à l’espèce des « fausses gens » (ces gens qui n’ont que l’apparence de gens) que Carlos Castaneda prétend avoir appris à identifier grâce à l’enseignement d’un sorcier mexicain, don Juan Matus, un Indien Yaqui dont aucun anthropologue sérieux ne pense aujourd’hui qu’il a vraiment existé.
Figurant fictif d’une fiction, c’est ainsi que je me vivais. Sans m’alarmer outre mesure. Savoir ce que l’on est ou que l’on n’est pas ne modifie guère le cours des événements. J’habitais une fable cohérente, dont je n’avais pas conscience d’être l’auteur, et m’en accommodais : elle semblait la réalité même. 

Même si je n’en parle qu’aujourd’hui, ce roman est le premier que j’ai lu de la Rentrée Littéraire. Pourquoi lui, au cœur du mois de juin, très tôt donc ? Impossible de l’expliquer rationnellement, mais lorsque je l’ai reçu, j’ai eu l’intuition fulgurante qu’il allait me nourrir, et nourrir Le Truc (qui a un vrai nom mais que je continue toujours à appeler « le truc »). Et, de fait, ce roman, qui parle d’amour et d’écriture, a suscité plusieurs développements féconds. Mais parlons plutôt de lui…

Peu après la publication de son dernier roman, le narrateur est quitté par sa maîtresse. Incapable de s’atteler vraiment au roman suivant (puisqu’elle n’est plus là), il se sent aspiré par un grand vide…

Le roman s’ouvre sur une double perte : celle du roman qui vient de sortir et qui ne lui appartient donc plus (sorte de déprime post-partum de l’écrivain) et celle de l’amour. Et c’est à partir de ces deux nœuds que l’auteur part en quête de lui même : explorant sa jeunesse et son identité,  il interroge la création, le désir, la mort et l’amour. Beaucoup de choses dans ce texte extrêmement sensible m’ont touchée et émue, et notamment bien sûr ce lien amoureux qui se défait et le chagrin qui envahit l’être, et toute la réflexion sur l’écriture (est-ce un métier ?) et son pouvoir salvateur. Des thèmes qui font écho en moi, évidemment.

Une très belle découverte en somme, je n’avais jamais lu Serge Bramly mais je n’hésiterai pas à le faire dans le futur : j’ai vraiment beaucoup apprécié sa sensibilité et son écriture souvent sensuelle (autrement dit : il parle superbement bien d’amour) !

Pour Sensi
Serge BRAMLY
Lattès, 2018 (sortie le 29 août)

1% Rentrée littéraire 2018 – 3/6

 

Chagrin d’amour. Poèmes de l’amour triste (anthologie)

Chagrin d'amour. Poèmes de l'amour triste (anthologie)Le cœur humain est ainsi fait : les histoires d’amour qui finissent mal, les histoires d’amour qui portent regret, douleur, désespoir, l’émeuvent plus que les autres. Dans le domaine infini de l’imaginaire sentimental, la nostalgie est notre enfant chérie, que nous ne nous lassons pas de bercer. Le roman d’amour dont la fin serre le cœur, le drame « où Margot a pleuré », la chanson vécue qui fait verser des larmes ne sont pas de simples pièges affectifs destinés à désarmer les énergies et les révoltes, comme voudraient le faire croire les sociologues que la politique a corrompus. Ils touchent à des racines autrement profondes. Ils répondent en nous à je ne sais quelle rêverie fatale, satisfont je ne sais quel appel de vertige ressemblant à un besoin. Il y a, dans le malheur d’amour mis en récit, mis en poème — mis en légende ! — un pouvoir d’envoûtement que l’amour accompli, couronné, repu ne possède pas, ne possédera jamais.

L’autre jour, en faisant du rangement, je suis retombée sur cette anthologie et, l’humeur mélancolique aidant, j’ai eu envie de m’y replonger.  D’autant que cela pouvait m’être utile pour certains développements du Truc.

Dans ce bouquet de poèmes qui nous est offert sont présentes toutes les modalités de l’amour triste, puisque les causes du chagrin d’amour et de la douleur peuvent être très variées : l’absence, la trahison, la rupture, le départ et les adieux, la mort ; et puis tout simplement l’amour lui-même, qui semble être triste et douloureux par le simple fait d’exister, parce qu’il nous met face à nous-même et à notre propre fragilité. A nos peurs aussi. Même l’amour heureux est quelque part malheureux.

On ne peut pas dire que cette lecture fasse du bien : c’est comme écouter des chansons tristes quand on est triste, il y a comme une complaisance dans la souffrance, et ici chaque vers peut-être comme un coup de poignard ; mais cela fait du bien quand même, paradoxalement. Si les modalités de l’amour triste sont diverses, les poèmes de cette anthologie le sont tout autant, mêlant les voix d’époques différentes et de poètes connus et inconnus, qui tentent chacun à leur façon de mettre des mots sur le pire des maux. Le seul reproche que j’ai à faire, c’est qu’il est un peu trop dominé par les hommes, comme si seuls les hommes souffraient et l’écrivaient ; ce reproche est, je le sais, un peu injuste car Luc Decaunes, qui a sélectionné les poèmes, s’est attaché à proposer des voix féminines, et que ce n’est pas sa faute si on en trouve moins que de voix masculines dans l’histoire de la littérature, et on retrouve ainsi au fil des pages Louise Labé, Marceline Desbordes-Valmore, Renée Vivien, où Marie Noël qui m’a particulièrement touchée. Mais voilà, je n’étais pas d’humeur à écouter certaines complaintes masculines…

Cela mis à part, c’est une très belle anthologie, dans laquelle piocher au gré de sa mélancolie, qui touchera tout le monde tant le mal qu’elle évoque est universel et intemporel… La préface, sur la poésie et le pouvoir envoûtant des histoires d’amour qui finissent mal, est particulièrement intéressante.

Chagrin d’amour. Poèmes de l’amour triste
Luc DECAUNES
Cherche-midi, 1992

Les plus grands chagrins d’amour, de Julie Grède

L’amour est fait de musique, de notes, de chansons. La chanson de la rencontre, celle qui fait penser à lui. Le premier slow. L’ouverture de bal… Celle des premières larmes. La première chanson le matin de la rupture, à la radio. La chanson qui a bercé le chagrin d’amour.

Nous savons, tous et toutes, ce qu’est un chagrin d’amour, et l’épouvantable souffrance qu’il engendre. C’est un des motifs les plus récurrents de la littérature, du roman comme de la poésie ; de la chanson, aussi.

Mais on en trouve aussi beaucoup dans l’histoire : le chagrin d’amour est la chose du monde la mieux partagée, et les grands hommes, les grandes femmes qui ont marqué l’histoire et dont on parle dans les manuels scolaires n’ont pas été épargnés.

Le propos de cet ouvrage est donc de raconter l’histoire de ces chagrins plus ou moins célèbres, dont certains ont changé la face du monde.

Après une introduction dans laquelle l’auteure analyse LA chanson du chagrin d’amour, Ne me quitte pas de Jacques Brel, l’ouvrage recense donc, de manière chronologique, les histoires d’amour déçu. Pas toutes, bien sûr ; parfois on est étonné. Mais de Cléopâtre à JK Rowling, en passant par Marguerite d’Autriche, Henry VIII (oui, il a eu du chagrin !), Axel de Fersen, Jane Austen ou encore Jackie Kennedy et Roman Polanski, on a déjà une belle liste !

Le grand intérêt de cet ouvrage, littéralement passionnant, c’est que l’angle original permet de réviser ou d’apprendre beaucoup de choses sur l’histoire du monde, car chaque chagrin est particulièrement bien contextualisé et les chapitres vont au-delà de l’histoire d’amour centrale.

Outre une carte d’identité très précise de chaque chagrin, qui résume l’essentiel, chaque chapitre est en outre pourvu d’une playlist musicale et souvent d’indications biblio-cinématographiques pour en apprendre encore plus.

Captivant, cet ouvrage permet donc d’apprendre énormément de choses par un biais inhabituel. J’ai été particulièrement frappée par les histoires de Jane Austen (la pauvre !) et de J. K. Rowling, dont je ne savais finalement pas grand chose et dont le chapitre qui lui est consacré n’a fait que renforcer mon admiration !

Bref, une lecture que je conseille à tous les curieux !

Les plus grands chagrins d’amour (lien affilié)
Julie GRÊDE
La boîte à Pandore, 2015

Oona et Salinger, de Frédéric Beigbeder

Tout écrivain doit avoir un jour le cœur brisé, reprend Hemingway, et le plus tôt est le mieux, sinon c’est un charlatan. Il faut un amour originel complètement foireux pour servir de révélateur à l’écrivain.

Ce roman faisait partie de ma short list de rentrée littéraire. Si je ne l’ai pas lu plus tôt, c’est la faute de Beigbeder : pour des raisons qui lui appartiennent et qui sont somme toute parfaitement compréhensibles, il a refusé que son œuvre sorte en version numérique.

Nous n’allons pas lancer le débat, mais enfin le résultat est là, il s’est fait griller la priorité par plein d’autres auteurs pour des raisons bêtement logistiques. Mais bon, mieux vaut tard que jamais, n’est-ce pas !

New-York, 1940. J. D. Salinger est un jeune auteur de 21 ans, et Oona O’Neill une socialite qui en a à peine 15. Ils se rencontrent dans la boîte à la mode du moment, le Stork Club. Il ne se passe rien entre eux, mais ils se revoient quelques mois après. Et si pendant toutes ces semaines Salinger a été hanté par Oona, la jeune fille fait quant à elle semblant d’avoir totalement oublié leur première soirée.

Débute alors une amourette, qui restera platonique et prendra fin rapidement, lorsque Salinger partira libérer la France et que Oona s’installera à Hollywood, où elle rencontrera l’homme de sa vie, Charlie Chaplin.

L’hypothèse de Beigbeder dans ce roman, c’est la phrase que j’ai mise en exergue, et que l’auteur met dans la bouche d’Hemingway, qui avec Fitzgerald hante tout le roman : la déception amoureuse de Salinger comme expérience fondatrice et origine de son œuvre.

L‘amour est ici voué à l’échec, et Beigbeder fait d’une petite amourette d’adolescents un véritable mythe, transformant Oona en figure de l’éternel féminin adorable et adoré. Il faut dire qu’elle est belle à damner un écrivain, et on sent bien l’auteur tomber un peu amoureux de son personnage à travers son écrivain préféré.

C’est intelligent, voire brillant, et en même temps tout à fait dans le ton habituel de Beigbeder, désinvolte et primesautier, parfois cynique et un brin irrévérencieux. Tout tourne autour de l’amour (avec une réflexion assez pertinente sur la différence d’âge dans le couple) et l’écriture : le roman est émaillé de réflexions très intéressantes et à méditer sur la condition d’écrivain.

Qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux ? Finalement, peu importe : Beigbeder fait de la factionmélange de factuel et de fiction. Il se glisse dans les silences, les secrets, invente des scènes, imagine les lettres de Salinger à Oona envoyées du front (lettres qui existent mais que la famille Chaplin refuse de divulguer).

Ce roman m’a littéralement enchantée, même si je ne m’intéresse pas spécifiquement à Salinger. C’est une jolie histoire d’amour et d’écriture !

Oona et Salinger (lien affilié)
Frédéric BEIGBEDER
Grasset, 2014