Les passions d’enfance

C’est amusant : plus je vieillis, et plus je retrouve (et donne de l’importance) aux activités qui me passionnaient lorsque j’étais enfant. Et que j’ai un peu laissées de côté durant une grande partie de ma vie d’adulte (à part la lecture : je n’ai jamais mis de côté la lecture). Essayant, tant bien que mal, de canaliser tout ça, parce qu’on ne peut pas tout faire. Il faut dire que tellement de choses m’intéressaient que choisir une voie a été un grand problème (et j’ai fait un mauvais choix). Je l’ai déjà écrit, mais j’aurais voulu être Jarod, Le Caméléon, et changer de vie tous les quatre matins. A une époque d’ailleurs, je voulais être comédienne : avoir mille vies, parce qu’une seule ne suffit pas.

Raconter des histoires, cela vient de là, aussi : explorer tous les possibles, sortir du réel étriqué. Les heures passées à inventer des aventures à mes Playmobil ou à mes Barbie. Et, une fois l’écriture acquise, coucher ces histoires sur du papier.

J’ai toujours aimé le papier. J’adorais découper et coller. J’en mettais partout. J’avais des cahiers entiers illustrés de photographies qui me plaisaient et m’inspiraient. Une tendance que je retrouve avec le Journal Poétique : je « coupigne » (c’est le mot qu’utilisait ma maman) tout ce qui me plaît dans les vieux magazines, et je colle.

Apprendre. Je crois que c’est ma plus grande passion dans la vie : acquérir de nouveaux savoirs. Enfant, mes livres de chevet, c’était le dictionnaire et les encyclopédies. Et aujourd’hui je ne cesse de lire des essais et de m’offrir des formations en ligne.

Il y a aussi la passion des collections. J’étais une collectionneuse de collections, et si je ne me surveille pas, avec moi, tout a tendance à se transformer en collection. J’achète un objet, et puis hop, un deuxième dans la même thématique… et le mouvement est lancé. Mais ce que je préfère en ce moment, ce sont les pierres, que j’ai toujours ramassées partout, et les coquillages bien sûr. J’étais très intéressée par la minéralogie et la géologie. Il y a aussi eu une période archéologie, mais ça je crois que c’est la faute d’Indiana Jones.

En fait, on devrait toujours suivre ses passions d’enfance, parce qu’elles sont la matrice de la personne que nous sommes et de ce qui nous fait vibrer. Il n’y a pas de triche, pas de faux-semblants. Pas de limites non plus. Et aujourd’hui, alors que la rentrée approche à grands pas et que je regarde avec effroi la porte de la prison de mon travail alimentaire qui va se refermer sur moi pour de longs mois, j’ai envie de garder ça, et l’espoir de bientôt me libérer et trouver le moyen de vivre une vie qui me ressemble et me nourrit.

Et vous, quelles étaient vos passions d’enfant ? Les avez-vous suivies ?

Lettres portugaises, de Guilleragues : je vous aime éperdument

Peut-on s’imaginer un état si déplorable ? Je vous aime éperdument, et je vous ménage assez pour n’oser, peut-être, souhaiter que vous soyez agité des mêmes transports : je me tuerais, ou je mourrais de douleur sans me tuer, si j’étais assurée que vous n’avez jamais aucun repos, que votre vie n’est que trouble, et qu’agitation, que vous pleurez sans cesse, et que tout vous est odieux : je ne puis suffire à mes maux, comment pourrais-je supporter la douleur, que me donneraient les vôtres, qui me seraient mille fois plus sensibles ? Cependant je ne puis aussi me résoudre à désirer que vous ne pensiez point à moi ; et à vous parler sincèrement, je suis jalouse avec fureur de tout ce qui vous donne de la joie, et qui touche votre cœur, et votre goût en France.

Le titre du recueil d’Elizabeth Browning, Sonnets portugais, a pour origine ce roman de Guilleragues, et je me suis dit à l’occasion que puisque je n’avais jamais lu ce classique de la littérature amoureuse, alors même que l’amour est mon sujet, il était temps. Aussitôt pensé, aussitôt fait (ou presque).

Nous avons donc là un roman épistolaire (présenté comme un recueil de véritables missives), composé de cinq lettres qu’une religieuse portugaise envoie à son amant français reparti dans son pays, et dont elle n’a plus tellement de nouvelles.

Le procédé est intéressant, et les lettres sont fabuleusement tournées, exprimant parfaitement la passion, et même la fureur d’une femme amoureuse, et ses incohérences. Néanmoins, j’ai trouvé ça un peu… court ! A peine 40 pages, j’avoue que je suis un peu restée sur ma faim : le caractère resserré fait qe, finalement, on ne comprend ni les tenants ni les aboutissants de cette histoire, et cela m’a un peu frustrée. Néanmoins, je suis contente de l’avoir lu, désormais je sais vraiment de quoi il retourne, et il est vrai que l’expression de la passion y est parfaitement réussie !

Lettres portugaises (1669)
GUILLERAGUES
Flammarion, GF

Lettre d’une inconnue, de Stephan Zweig

L’amour de toute une vie

Je n’ai que toi, toi qui ne m’as jamais connue et que j’ai toujours aimé.

Ce texte, cela faisait longtemps que j’avais envie de le lire, à cause de l’auteur bien sûr, Zweig, qui sait si bien analyser les tourments du cœur, et puis le sujet aussi. Alors vous pensez bien que lorsque le Livre de Poche a sorti cette si jolie édition illustrée par Christian Lacroix, cela m’a fait une raison de plus pour qu’il rejoigne rapidement ma PAL. Et ce court roman, je l’ai littéralement dévoré en une soirée !

Le jour de ses 41 ans, R., un romancier célèbre, reçoit une mystérieuse lettre, adressée à « toi qui ne m’as jamais connue« . Cette lettre, c’est une déclaration d’amour comme on en voit peu, venant d’une femme qu’il ne connaît pas, dont l’enfant vient de mourir et qui se confesse à lui avant de passer elle aussi de l’autre côté. Une femme pour qui, sans s’en douter, il a été l’objet d’une passion exclusive pendant des années. Une femme qui lui a consacré sa vie, comme on se consacre à Dieu, avec foi, sans le voir, et se contentant de savoir que quelque part il existait.

L’âme d’une femme amoureuse

J’ai trouvé ce texte absolument fascinant.

Cette plongée au cœur de l’esprit d’une femme m’a envoûtée. Il n’y a pas à dire, qu’est-ce que Zweig analyse bien les sentiments, la passion qui tend à la folie, comment un homme peut devenir pour une femme l’objet d’une dévotion totale, comment elle peut s’oublier totalement elle-même et s’anéantir dans cet amour, qui finalement la transcende et la comble presque dans son absolu.

Ce roman m’a vraiment touchée au plus profond de mon âme, et je ne peux que vous encourager à vous y plonger à votre tour !

Lettre d’une inconnue (lien affilié)
Stephan ZWEIG
Livre de Poche

Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, de Stephan Zweig

Les déraisons de la passion amoureuse

Je déclarai que cette négation du fait incontestable qu’une femme, à maintes heures de sa vie, peut être livrée à des puissances mystérieuses plus fortes que sa volonté et que son intelligence, dissimulait seulement la peur de notre propre instinct, la peur du démonisme de notre nature et que beaucoup de personnes semblaient prendre plaisir à se croire plus fortes, plus morales et plus pures que les gens « faciles à séduire ».

Il y a des moments dans la vie où une envie forte nous pousse à relire des grands textes, des classiques qui nous ont marqués, et c’est ce qui m’est arrivé ce week-end. Passablement énervée par une lecture en cours dans laquelle j’ai du mal à avancer, je me suis réfugiée dans un texte connu, avec lequel je savais que j’allais passer un bon moment, même si, l’ayant lu il y a longtemps, je ne me souvenais pas de tous ses ressorts.

Nous sommes en 1904, sur la Côte d’Azur, dans une luxueuse villa servant de pension de famille et attenante au Palace Hôtel, où vient d’éclater un scandale : Mme Henriette, une femme de la bonne société, s’est enfuie avec un jeune homme censément rencontré la veille, plantant là mari et enfants. Cet événement fait bien sûr l’animation de la conversation, tout le monde la condamne sans hésitation et trouve peu crédible que le jeune homme en question ait réellement été un inconnu pour cette femme.

Seul contre tous, le narrateur soutient qu’une telle folie est possible, et cherche à comprendre, à analyser les déraisons de la passion amoureuse, aidé en cela par une vieille Anglaise, qui lui raconte sa propre histoire.

L’existence du coup de foudre

Que dire de plus ? Ce qui se pose dans le roman, c’est la question de l’existence du coup de foudre, celui dont tout le monde parle mais que bien peu ont eu la chance de connaître vraiment. Une femme (mais j’ai envie de dire : un homme aussi) peut-elle du jour au lendemain tout abandonner pour suivre un homme qu’elle vient de rencontrer ?

Ou bien tout cela n’est-il qu’affabulation romanesque ?

A cette question épineuse, le roman nous pousse à crier oui, mille fois oui, on peut commettre cette folie, parce que l’amour est folie, et c’est ça qui le rend si beau !

Vingt-Quatre heures de la vie d’une femme (lien affilié)
Stephan ZWEIG